Entretien avec Wong Kar-wai


A l'occasion de la sortie de My Blueberry Nights, Aurélien a pu s'entretenir avec le réalisateur hongkongais ; l'occasion de faire le point sur sa carrière et son oeuvre.

Interview


Aurélien Dirler – Quand j’ai rencontré Christopher Doyle, il y a quelques mois, je lui ai demandé s’il pensait que votre cinéma pouvait exister sans Hong Kong. Il a répondu « Tu sais, Hong Kong était également en Argentine. »

Wong Kar-wai – En effet.

Aurélien Dirler – Il a ajouté « je pense qu’un film de Wong Kar-wai sera toujours un film hongkongais. » Pensez-vous que cela est vrai ? Si tel est le cas, où est Hong Kong dans My Blueberry Nights ?

Wong Kar-wai – (Pause.) Je pense que cela est vrai. C’est vrai. En gros, le film entier est à Hong Kong. Je veux dire, pas physiquement, mais, spirituellement, c’est un film hongkongais. Tout particulièrement dans notre manière de travailler, avec une nouvelle équipe, avec un nouveau système, mais également parce que, quelque part, j’ai emmené mes collaborateurs avec moi. Certains membres étaient de Hong Kong, et la manière dont cela s’est fait est plus proche d’une production hongkongaise que d’une production américaine.

Mathilde Durieux – Vous tournez maintenant avec plus de ressources, plus de moyens. Est-il maintenant plus simple pour vous de faire un film ?

Wong Kar-wai – Je ne pense pas. C’est la même chose qu’avant. Parce que, par exemple, pour My Blueberry Nights, en raison des disponibilités de l’actrice, nous n’avions que sept semaines. Et il est très coûteux de faire un film aux Etats-Unis. Nous avons tourné avec un budget très réduit, et nous devions tourner dans quatre ou cinq villes en sept semaines.

Mathilde Durieux – Ce n’est donc pas plus simple qu’avant…

Wong Kar-wai – Non, cela revient à peu près à tourner Chungking Express à Hong Kong. C’est pareil.

Benoît Thévenin – Il y a de nombreuses similitudes entre Chungking Express et My Blueberry Nights. La chanson California Dreamin’, entendue dans Chungking Express, vous semble-t-elle constituer une transition naturelle entre ces deux films ?

Wong Kar-wai – En gros, My Blueberry Nights ne me rappelle pas particulièrement Chungking Express. Bien qu’une similitude soit que le film se passe dans une cafétéria, le reste est plutôt différent. Le film me rappelle plutôt In the Mood for Love, car l’idée originale provient d’un court-métrage, un chapitre de In the Mood Mood for Love.

Benoît Thévenin – On peut d’ailleurs entendre Yumeji’s Theme dans les deux films…

Wong Kar-wai – Oui, cette musique a été composée il y a quelques années, pour ce chapitre. C’est pourquoi je l’ai utilisée dans le film. Parce que ce chapitre n’a jamais été montré. Il n’a été projeté qu’une seule fois, à Cannes, en 2001.

Aurélien Dirler – Alors que vous rencontrez un certain succès en Europe, le public hongkongais n’a jamais vraiment plébiscité vos films. Pensez-vous qu’ils comprendront mieux My Blueberry Nights ? Pouvez-vous revenir sur cette différence d’appréciation ?

Wong Kar-wai – C’est la distance. De plus, tous les publics européens n’apprécient pas mes films. Et il y a également des gens qui apprécient nos films à Hong Kong et en Chine. Il est impossible de plaire au monde entier. La première chose à faire est d’être honnête avec soi-même, de faire le film en lequel on croit, et d’espérer que les gens partageront les mêmes sentiments. Mais on ne peut pas se dire « je voudrais faire un film que le monde entier apprécierait. »

Benoît Thévenin – Vous aviez donné un premier rôle majeur à Faye Wong dans Chungking Express, et vous faites ici de même avec Norah Jones. Peut-on y voir une certaine fascination pour les chanteuses ?

Wong Kar-wai – Non, je ne pense pas pouvoir considérer que je suis particulièrement intéressé par les chanteuses. C’est simplement que Faye et Norah sont naturelles, ce sont des personnes très intéressantes, qui ont une personnalité intéressante, et un visage intéressant également.

Aurélien Dirler – My Blueberry Nights a été tourné en sept semaines, c’est bien cela ?

Wong Kar-wai – Oui. Sept semaines en été, et une semaine en hiver. Cela fait donc plutôt huit semaines.

Aurélien Dirler – Il s’agit donc d’un tournage très court, comme celui de Chungking Express. Ces deux films ont d’ailleurs été tournés après deux projets qui ont nécessité un travail de plusieurs années. Peut-on y voir une sorte de pause ? Peut-on attendre un nouveau départ dans votre carrière, après ce film ? 

Wong Kar-wai – Non, c’est plutôt comme si vous aviez un énorme repas, et que vous aviez ensuite envie de quelque chose de plus léger. Vous devez vous rafraîchir. Et puis, concernant My Blueberry Nights, cela relève de l’accident, car nous n’avions pas du tout prévu ce film. Nous étions en train de faire des recherches pour un autre projet, et j’ai eu la chance de m’asseoir avec Norah. Nous nous sommes dit « bien, puisqu’elle a deux mois de libres, pourquoi ne pas faire un film ensemble ? » Cela s’est donc fait comme ça.

Benoît Thévenin – Les villes avaient un rôle important dans vos précédents films. Ici, au contraire, on a le sentiment que vous souhaitez échapper à tout attachement géographique. Est-ce un choix volontaire ?

Wong Kar- wai – Le film traite des distances. La distance, pour Norah, c’est le temps qu’elle gagnera pour se préparer. Et la distance entre elle et son ex, c’est la rue. Et la distance entre elle et Jude, c’est le comptoir, car ils sont toujours séparés par ce comptoir. Ainsi, le premier baiser est la première tentative de Jude d’atteindre l’autre côté, de passer cette frontière, de l’atteindre. Et la seconde fois, à la fin du film, c’est comme si elle faisait un effort, pour le rencontrer là. C’est pourquoi nous avons choisi de filmer le baiser en vue du dessus, afin que l’on puisse voir clairement la distance qui les sépare.

Mathilde Durieux – La nourriture semble avoir une certaine importance dans vos films. Il y avait les soupes de nouilles, dans vos deux précédents films, et les tartes dans celui-ci. Quel rôle joue la nourriture ? Est-ce un moyen de faire les gens se rencontrer ?

Wong Kar-wai – Non. Tout d’abord, j’aime manger. J’aime beaucoup la nourriture. Je pense que les gens qui aiment les repas apprécient la vie. Et, pour les Chinois, je ne sais pas vraiment pour les Occidentaux, une fille qui partage un dîner avec vous, c’est quelque chose d’important. On passe du temps ensemble, car un dîner peut durer une heure, ou plus. On fait donc un effort pour connaître la personne, ou pour partager ce temps avec elle. Il y a une certaine pression. Et si on ne s’intéresse pas vraiment à la personne, on propose de prendre un verre plutôt que d’aller dîner.

Aurélien Dirler – On retrouve dans My Blueberry Nights certains motifs et effets de vos précédents films. Je pense tout particulièrement au ralenti, qui est ici omniprésent. Autant cet effet me semblait faire sens dans In the Mood for Love, notamment pour mettre en évidence certaines textures qui sont autant de réminiscences de votre passé, autant j’ai du mal à leur trouver une utilité dans ce film. Est-ce un moyen de donner au public ce qu’il attend maintenant, ou y a-t-il un véritable sens ?

Wong Kar-wai – Non, cela marche pour moi… Nous avons filmé en 8 images par seconde. Ainsi, nous n’avions pas besoin de tant d’éclairages. Nous avons tourné dans un endroit très petit, particulièrement difficile à éclairer, car il y avait tellement de miroirs… Pour Darius, c’était un véritable cauchemar. Je devais donc l’aider à régler ce problème. Et, parfois, cela met en évidence un moment particulier. Pour moi, le personnage de Jude a un certain sens de l’humour, et il est, d’une certaine manière, comique. Mais on peut parfois sentir qu’il a une certaine sincérité.

Mathilde Durieux – La musique a une grande importance dans vos films. Savez-vous à l’avance les morceaux que vous allez employer ?

Wong Kar-wai – Non, pas tout le temps. Parfois, on sait. Parce que, pour ce film, nous avons beaucoup voyagé pour faire les repérages, et nous avons trouvé certaines musiques qui ont terminé dans le film. Mais pas tout le temps. Parfois, on doit changer. Quand on va à une fête et que les gens vont danser ensemble, il faut trouver la bonne musique pour ces personnes.

Benoît Thévenin – Quelle différence voyez-vous entre travailler avec Christopher Doyle et Darius Khondji ?

Wong Kar-wai – On s’amuse beaucoup, avec Darius, car il y a beaucoup de choses que l’on partage : nous aimons manger, nous aimons la musique, … Avec Chris, c’est différent. Car Chris ne mange jamais. Mais travailler avec Darius prend du temps, car tu dois lui expliquer ce que tu veux. Nous avons donc pris beaucoup de photos pendant le voyage, et je lui ai expliqué ce que je voulais. Avec Chris, on n’a pas besoin d’expliquer quoi que ce soit. Tout d’abord, nous avons travaillé ensemble pendant des années. Nous savons donc exactement quels sont nos goûts, et quels seraient les angles. Ensuite, pour Darius, il admire Chris, bien entendu. Il voulait donc tout le temps savoir « comment Chris travaille avec toi ? » J’ai dû lui dire « ne pense pas à Chris, c’est différent, tu dois trouver ton propre chemin, faire tes propres choix. » Il est très difficile de créer une amitié de 15 ans avec une si courte expérience.

Benoît Thévenin – Pourquoi ne pas avoir travaillé avec Christopher Doyle ?

Wong Kar-wai – Il travaillait sur le film de M. Night Shyamalan, The Lady in the Water, à cette époque.

Mathilde Durieux – Pensez-vous que n’importe quel acteur peut improviser ?

Wong Kar-wai – Donnez-leur une bonne raison, et bien sûr ils peuvent. D’ailleurs, je leur ai dit « vous n’êtes pas censés jouer un rôle, car vous êtes les mieux placés pour cela, cela a été écrit pour vous. » Un peu comme Rachel Weizs : il y a certaines scènes pour lesquelles nous avons improvisé tous les dialogues ensemble. C’est elle qui a créé cette vie avec moi.

Aurélien Dirler – Pouvez-vous nous parler de vos projets ? Il y a tout d’abord le projet sur le maître de Bruce Lee, avec Tonny Leung. Mais également le projet avec Nicole Kidman. Et puis, depuis peu, on entend parler d’un film sur une histoire d’amour entre deux femmes…

Wong Kar-wai – Où trouvez-vous toutes ces informations ? Sur Internet ?

Aurélien Dirler – Oui, et…

Wong Kar-wai – En réalité, le film à propos des deux femmes est produit par notre société. Il est d’ailleurs terminé. Il a été réalisé par un nouveau réalisateur taiwanais. Pour ce qui est du film sur le maître de Bruce Lee, que nous appelons The Grand Master, et de The Lady from Shanghai, ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons actuellement. Ces deux films sont compliqués, car l’un se passe dans les années 30, et l’autre dans les années 50. Cela nous demande donc du temps. Mais c’est ce sur quoi je travaille en ce moment.

Aurélien Dirler – Lequel de ces deux projets sera votre prochain film ?

Wong Kar-wai – Je ne sais pas encore. Cela dépend vraiment des disponibilités des acteurs.

Benoît Thévenin – On avait également entendu parler d’un projet de film sur l’ouragan Katrina…

Wong Kar-wai – En fait, ce n’était pas vrai. Quand nous préparions ce film, nous avons traversé le pays et visité de nombreux endroits. Et l’un d’entre eux était la Nouvelle-Orléans, juste après le passage de Katrina. Il y avait tellement de raisons de filmer dans cette ville… Tout d’abord, pour des raisons historiques. C’est également dans le Sud, une partie très importante du Sud. Ensuite, ils essayaient vraiment d’aider cette ville, et il y avait donc beaucoup d’aides financières pour filmer là-bas. J’ai été très impressionné par les gens : ils sont très proches, et, malgré les dommages importants, ils ont gardé un certain sens de l’humour face à ces événements. Au final, nous avons choisi de ne pas tourner là-bas. Tout d’abord, en termes de logistique, les choses auraient été trop compliquées. Ensuite, je ne voulais pas tirer profit de ce désastre. Nous avons donc choisi de tourner à Memphis plutôt qu’à la Nouvelle-Orléans.

Aurélien Dirler – Quand on voit le court-métrage There is Only One Sun, que vous avez réalisé pour Philips, on peut remarquer de nombreuses similitudes avec 2046 : même univers, même musique, mêmes couleurs… Peut-on vraiment dire qu’il s’agit d’un travail personnel ? Ce film n’est-il pas plutôt le signe de l’apparition d’un concept marketing, d’une signature que l’on vend ?

Wong Kar-wai – Non, non. Le concept de ce court-métrage, c’est une publicité pour une télévision. Ils sont venus vers moi avec un montage d’images de 2046, et ils voulaient même que Faye Wong soit dans ce court-métrage. Cela était bien entendu impossible, puisqu’elle a maintenant arrêté sa carrière. Le second point, c’est que je savais ce qu’ils voulaient en termes esthétiques, mais je voulais faire quelque chose de différent. C’est une autre histoire, je voulais créer une histoire sur la Guerre Froide. C’est pourquoi j’ai dit « bien, tournons-le avec des Russes », et c’est quelque chose de différent de 2046.

Aurélien Dirler – A propos de 2046, que pensez-vous de l’idée selon laquelle le film serait la somme d’un ensemble de trajectoires ? Votre trajectoire artistique, mais également votre trajectoire personnelle, de Shanghai à Hong Kong, et aussi celle de Hong Kong, de la Grande-Bretagne à la Chine.

Wong Kar-wai – Tu sais, Hong Kong est une ville qui change tellement vite… Quelque part, on perd le sens de l’Histoire, dans cette ville. La raison pour laquelle j’ai voulu réaliser une trilogie sur les années 60, à partir de Days of Being Wild…  Il y a dix années qui séparent Days of Being Wild de In the Mood for Love et 2046. C’est ce que j’appelle la trilogie des années 60. Bien que le film se situe dans les années 60, il s’agit d’un film qui parle plus d’aujourd’hui que de cette période. Il tente de trouver un sens à l’Histoire de cette ville, une manière de la regarder, et une façon de gérer les événements après 1997.

Aurélien Dirler – Pensez-vous être encore capable de faire un film à la manière de Chungking Express ? Aujourd’hui, tout le monde vous regarde. Pourriez-vous réaliser un film en quelques semaines, de nuit, sans autorisation ?

Wong Kar-wai – Je pourrais, mais je ne serais plus la même personne. Je me suis beaucoup amusé, en tournant Chungking Express. Nous avons enfreint toutes les règles : nous avons filmé sans permis, nous sommes allés tourner dans le métro… C’était comme un cambriolage. Après cela, nous avons fait Fallen Angels. Nous avons répété cette procédure. Et nous avons alors réalisé que c’était moins amusant. C’est comme lorsque nous faisions les repérages pour My Blueberry Nights. Tous les trois, Darius, moi, et le responsable des repérages, nous sommes montés dans le van et nous avons conduit. Cela nous a pris près de deux semaines pour aller de la Californie à New York. La première fois était particulièrement excitante, malgré la distance que nous avions à parcourir dans le Nevada. Mais la seconde fois, c’était devenu pénible. Parce que vous savez que vous allez conduire pendant dix heures, et que le paysage sera exactement le même. Il n’y a plus de surprise. C’est pourquoi je dis souvent aux gens « le premier à faire le voyage est un aventurier ; la fois d’après, vous êtes un touriste. » Vous savez exactement ce qui vous attend, et il n’y a plus de surprise. Ainsi, si je refaisais Chungking Express, je n’aurais plus cette énergie, cet amusement, car je connais trop bien cette procédure.

Mathilde Durieux – Cela vous manque-t-il, cette période, ces films ?

Wong Kar-wai – Non, j’essaie de rendre chacun de nos tournages aussi intéressant que possible. Il est très difficile de faire un film, et vous devez dédier une partie importante de votre vie à cette procédure. Vous devez donc rendre cela intéressant et mémorable. Après, c’est comme regarder dans un album des photos de soi à 14 ans. C’est vous. Mais ce n’est plus vous. Vous ne pouvez rien changer, mais c’est quelque chose qui s’est produit, et vous en gardez un bon souvenir.

Aurélien Dirler – Après avoir tourné Happy Together, vous avez dit qu’il était nécessaire de partir, car on imitait votre style. Pouvez-vous expliciter cette affirmation, et préciser qui vous imitait ?

Wong Kar-wai – Quand tu regardes les films faits entre 1994 et 1997 en Asie, mais également à la télévision, sur MTV, et aussi aux Etats-Unis, tu pouvais voir toutes ces caméras portées, ce montage… Les gens appelaient ça le « style Wong Kar-wai ». Ce n’était pas dit comme un compliment. A cette époque, nous étions pris pour des fous. Le public disait « ça donne le vertige, c’est du Wong Kar-wai. » On voyait cela de plus en plus, et certaines personnes s’inspiraient de nos histoires pour créer les leurs. J’ai donc pensé « il est temps d’avancer, de faire quelque chose de différent. » Je n’ai pas de problème particulier avec cela, car nous nous inspirons tous du travail des autres. Mais, il n’y a pas vraiment de raison de s’en satisfaire, et, quand cela se produit, il est temps de faire autre chose. Quand tout le monde essaie de faire la même chose, vous devez tenter de faire quelque chose d’autre.

Aurélien Dirler – C’est ce que je m’étais dit après avoir appris que vous alliez tourner aux Etats-Unis. Je m’attendais à un nouveau départ… Mais il n’y a pas vraiment eu de véritable changement. Quelle était la véritable motivation de ce tournage aux Etats-Unis ?

Wong Kar-wai – Quels changements attendais-tu ? Ce que je veux savoir, c’est, quand tu t’es demandé pour la première fois quelque chose comme « wow, ce gars va faire un film aux Etats-Unis, quel type de film est-ce que j’attends de lui ? », je veux savoir quelles étaient tes attentes.

Aurélien Dirler – J’espérais certainement être aussi impressionné que lorsque j’ai découvert chacun de vos films précédents. Parce que, découvrir un film comme Chungking Express, après Ashes of Time, c’est un véritable choc. De même pour In the Mood for Love, après Happy Together, c’est tellement différent… Mais, maintenant, tout ce que je vois dans My Blueberry Nights, ce sont les mêmes motifs, répétés, mais avec moins de sens, moins de subtilité.

Wong Kar-wai – C’est toujours comme ça, parce que vous ne pouvez pas travailler pour répondre aux attentes des gens. Et, quand on regarde la carrière de Ozu, on se rend compte qu’il a toujours fait le même film, encore et encore… Parfois, moi-même je confonds un film avec un autre. Et il y a toujours des similitudes que vous trouvez intéressantes. C’est un peu comme « cette histoire-ci est-elle liée à celle-là ? » Et l’on peut dire que c’est, comme Ozu, faire le même film, encore et toujours. Et il y a un moment où vous ne voulez pas faire ce que les gens s’attendent à ce que vous fassiez. C’est un peu « j’ai trouvé cette personne, et je veux faire un film avec elle. » Et vous devez être honnête avec vous-même, pour trouver ce qui vous attire chez cette personne, et ce qui compte dans le sujet.

Aurélien Dirler – Et qu’est-ce qui vous a attiré, donc ?

Wong Kar-wai – Je pense que la raison pour laquelle j’ai repris cette histoire tirée de In the Mood for Love est que je voulais voir ce que le langage pouvait changer. La perception. Le second point est que cela me donnait une bonne raison de visiter tous ces lieux, aux Etats-Unis.

Aurélien Dirler – Verra-t-on un jour In the Mood for Love 2001, aujourd’hui encore inédit ?

Wong Kar-wai – Oui, peut-être. J’en suis sûr, oui. Je pense qu’il serait intéressant de le voir avec My Blueberry Nights.

Aurélien Dirler – Pouvez-vous nous donner votre avis sur le cinéma hongkongais d’aujourd’hui, par rapport à celui que vous avez connu après avoir quitté la TVB ?

A l’époque, la Chine ne s’était pas encore ouverte. Ainsi, Hong Kong était le principal fournisseur de divertissements pour toutes les communautés chinoises à travers le monde. A cette époque, la télé était perçue comme un business branché. Les jeunes voulaient travailler pour les chaînes de télévision, entrer dans ce business. C’était un peu comme quand on dit aujourd’hui « mon fils voudrait travailler dans l’Internet. » C’est quelque chose que l’on sent arriver, on sent qu’il faut aller par là. Et puis, à cette époque, la façon dont les gens travaillaient dans l’industrie du film était plutôt simple. Par exemple, il n’y avait pas besoin de gérer les problèmes liés à la censure. C’était nettement plus facile. Je me souviens qu’à l’époque du tournage de Chungking Express, on pouvait décider de faire un film tel jour, et commencer le tournage la semaine suivante. Aujourd’hui, quand vous voulez faire un film, vous avez besoin de temps, la procédure est plus compliquée. Et puis, aujourd’hui, le cinéma hongkongais est également différent parce que vous devez prendre en considération le fait que la Chine est devenue le marché principal pour les films hongkongais. Et il y a comme une combinaison qui se met en place, une collaboration entre les réalisateurs chinois et hongkongais. Mais cela prendra au moins une génération avant que l’on puisse travailler ensemble dans cette industrie. Pour des raisons d’éducation, de goûts… Aujourd’hui, un réalisateur hongkongais peut faire des films historiques, pour les Chinois, un film avec des héros, mais il ne peut pas faire un film sur ce que les gens pensent à Beijing, car il ne vit pas là-bas. Il faut du temps. Et je crois qu’il y aura de nouvelles têtes. Dans 10 ans. Nous sommes dans une période de transition.

 

Crédits et remerciements

Propos recueillis par Aurélien Dirler, à Paris, le mardi 13 novembre 2007.
Chaleureux remerciements à Wong Kar-wai et à Michel Burstein.

 

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  • September 2021
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