C'est enfoncer une porte ouverte que de dire de Migiwa KAMIMURA, fille du célèbre gekigaka, qu'elle est en partie à l'image des héroïnes des mangas de son père : charmante. En visite en France lors du dernier Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, elle a bien voulu répondre à quelques questions sur le travail de son père décédé. Si l'oeuvre de Kazuo KAMIMURA, qui commence seulement à être distribuée chez nous avec deux titres en cours de parution (Lady Snowblood et Le fleuve Shinano), bénéficie de toute la popularité et le respect qu'elle mérite au Japon, elle gagne encore à être connue en France, au moins à l'image de celle d'un Jirô TANIGUCHI qui commença sa carrière comme assistant de KAMIMURA justement. Raison de plus pour lui rendre les honneurs. L'homme, malgré une vie abrégée par la maladie, a eu une carrière prolifique, accouchant d'une oeuvre dense, aussi bien en quantité que qualité, au graphisme empreint de sensualité et de poésie, une oeuvre au souffle romantique, dramatique et érotique essentiellement. Témoignage.
Oui, et aussi parce que j'étais curieuse de voir par moi-même ce qu'il en était du marché du manga en France.
Il était toujours très gêné lorsqu'on parlait de lui comme un mangaka ou un gekigaka, parce que quelle que soit la dénomination, la réalité c'est qu'il n'avait jamais vraiment cherché à faire carrière dans le manga et s'il avait suivi des études d'art dans sa jeunesse, c'était surtout pour devenir illustrateur. Lui-même, au début de sa carrière, ne se posait pas les choses en ces termes, simplement les gens ont commencé à l'appeler mangaka, et ensuite quand le gekiga (ndr : courant né dans les 60's qui prônait un manga plus réaliste, « dramatique ») a pris de l'importance, on l'a qualifié de gekigaka.
Personnellement je n'ai jamais vu mon père travailler donc je ne peux pas directement le confirmer, mais il paraît que c'était effectivement le cas. Ça a d'ailleurs été confirmé par les gens de la maison d'édition qui venaient chercher les planches. Mais il y a en d'autres qui en font plus...
Oui, il travaillait avec des assistants, dans un studio.
A la maison il ne parlait jamais de son travail, des ses mangas, puisqu'ils étaient destinés aux adultes. C'était un tabou chez nous.
Ce n'est pas la première fois qu'on me pose cette question... Il y a effectivement un côté sombre dans les mangas de mon père, et je comprends pourquoi maintenant que je connais l'enfance difficile qu'il a eu. Mais je crois que je comprends moins son oeuvre que ses fans. Mais quand je regarde les planches de mon père, je suis sensible à la force, à l'énergie de son dessin. Et ça me pousse à faire connaître son travail.
Déjà je ne pense pas que mon père désirait véhiculer un message féministe, sociale ou politique quelconque dans ses mangas. Vous savez, il est né quand son père était déjà très âgé, il avait 65 ans et il est donc décédé très tôt dans l'enfance de mon père. Il a donc été élevé par sa jeune mère, seconde femme de son père, et par ses grandes soeurs. Trois femmes qui étaient toutes des hôtesses de bar. Il avait à la fois du rêve et du respect pour les femmes, et en même temps il avait été témoins d'horreurs les concernant. C'est comme s'il avait endossé la sensibilité d'une femme pour exprimer les sentiments des êtres humains...
Il paraît que Mr. KOIKE donnait des indications plutôt précises. C'était lui qui définissait l'histoire, mais c'était mon père qui définissait le mouvement des personnages, le découpage de l'histoire, malgré le fait qu'il avait une formation d'illustrateur et qu'il avait appris le métier de mangaka comme un auto-didacte.
Oui, c'est exact. Lorsqu'on évoque les peintres d'estampes en parlant de mon père, il y a la dimension purement graphique, qui se rattache à son style, et aussi le genre particulier des estampes érotiques - « shunga » - qui se rattache à son univers thématique. Il y avait donc un double sens à son surnom.
A peu près 200...
Oui, oui, 200 histoires !
Mais comme il est décédé tôt (ndr : elle sort un catalogue bien épais avec l'ensemble des travaux de son père présentés...) il n'a pas travaillé pendant très longtemps... Et il faut préciser qu'un tiers de ses oeuvres sont des mangas dont il a lui-même écrit l'histoire, seul. Il ne laissait même pas à ses assistants le soin de dessiner des personnages, il définissait lui-même cet aspect, entièrement.
Effectivement, pour Le fleuve Shinano c'est l'éditeur français qui m'a contacté. Sinon, d'autres titres devraient paraître l'année prochaîne en France, 3 dont Dôsei Jidai (ndr : 1972/73, 6 vol., qu'on peut traduire par "l'époque où nous vivions ensemble) et Kiyôjin Kankei (ndr : 1973, 4 vol., titre qu'on pourrait traduire par "une relation démoniaque")... Quant au manga Maria (ndr : 1971, 2 vol.), c'est vrai qu'il est beau, avec une histoire intéressante. Je vais essayer de convaincre les éditeurs français pour la parution de ce titre(rires).
Mais je m'inquiète un peu de la censure éventuelle.
Vous savez il y a parfois des choses maladives – des déviances ? - dans ses histoires.
Lady Snowblood a déjà été traduit et édité en plusieurs langues, anglais, allemand... Mais pour ce titre ce sont les éditeurs qui sont venus, maintenant j'essaye de faire moi-même les démarches, surtout auprès des éditeurs français parce que je pressent que l'oeuvre de mon père est plus susceptible de toucher le public français.
Lorsque j'ai vu le film français Betty Blue (ndr : 37°2 le matin, de J-J Beinex, 1986), j'avais trouvé qu'il ressemblait beaucoup à l'univers du manga de mon père, Josei Jidai (1972).
Et bien les mangas d'action ne sont d'abord pas si nombreux que ça dans son travail. Sur l'ensemble de son oeuvre il a plutôt fait des choses qui avaient trait à ses goûts. Par exemple des hommages à des écrivains comme Ichiyô IGUCHI, Katai TAYAMA, Osamu DAZAI, ou encore TANIZAKI (Jun'ichirô). Ou bien en hommage au peintre HOKUSAI. Il a aussi utilisé des personnages qu'il respectait particulièrement.
J'ai vu Dôse Jidai, un petit peu parce que j'étais très jeune. Le film tiré du Fleuve Shinano je ne l'ai jamais vu, parce que je sais que le résultat ne doit pas être terrible (ndr : ces deux films comportent des scènes de nu. Dans le second, le personnage principal, interprété par Kaoru Yumi, y perd sa virginité. Une petite polémique s'en était suivie à l'époque, dans la foulée de l'impact d'un manga comme Dôsei Jidai. Pour l'anecdote, un lien vers une vidéo de la - sympathique - chanson thème du film interprétée sur scène avec en fond un dessin de KAMIMURA, témoignage de l'impact du manga en son temps : www.youtube.com/watch). Comparé aux dessins de mon père ça soutient difficilement la comparaison de toute façon. Les films de Lady Snowblood étaient réussis par contre. Pourquoi ne pas faire des films d'animation plutôt ? Je me pose la question.
Effectivement, il a réalisé de nombreuses illustrations. Il y en a à peu près 650 aujourd'hui.
Pas de souvenir particulier, si ce n'est qu'il buvait beaucoup. Vous savez, il était rarement à la maison, et puis il fumait beaucoup. Il en est mort d'ailleurs...
Propos recueillis par Anton GUZMAN en janvier 2008
Remerciements à SHOKO Takahashi et Sabrina LAMOTTE (Kana).