Panorama HK 98-2001

Panorama du Cinéma HK 1998 / 2001 est un dossier écrit il y a deux ans d'après une idée d'Anthony C. et complété par la suite par moi-même et enfin récemment par Christian D. A l'époque le cinéma de Hong-Kong traversait une période très difficile qui va de 1997 à 1999, deux années où les productions ont considérablement chuté et où la qualité des films a extrêmement varié. Pourquoi un tel dossier de nos jours (2001) ? Tout simplement parce que cette crise a encore des répercussions sur l'état actuel du cinéma de l'ex-colonie et qu'un regard sur les origines de ce "mal" permet d'éclaircir l'évolution de la production locale, bref de mieux comprendre ce cinéma.

 

Sonatine

I. L'EUPHEMISME ? (par Anthony C.)

C'est un euphémisme de le dire, mais le cinéma de Hong-Kong est dans une très mauvaise passe. Beaucoup d'épidémies le rongent et la situation semble quasi inextricable. Cet article débute ainsi un dossier fini par l'article de Sonatine. (Texte écrit en 1999)

Les productions cantonaises sont de moins en moins nombreuses à sortir dans les salles, au profit des productions américaines qui, comme ailleurs, cartonnent grâce à des campagnes de publicité monstrueuses que ne peuvent se payer les producteurs chinois, qui ont déjà assez de mal à produire des films décents.

En effet, si les films sont peu nombreux, leur qualité est très loin d'atteindre les sommets qui étaient les leurs au début des années 90, lors du règne quasi incontesté de la Film Workshop de Tsui Hark et des Hero Movies de John Woo avec un pas encore désintégré par l'industrie hollywoodienne. Les budgets sont de plus en plus faibles, les histoires de moins en moins originales car copiées sur les plus grands succès américains du moment et le public se détourne progressivement de son cinéma, pourtant l'un des plus intéressants au monde.

La situation serait peut-être moins grâve si les forces vives du cinéma de Hong-Kong n'étaient pas partis pour d'autres cieux afin de se faire connaître du grand public et tenter de nouvelles expériences qui aboutissent le plus souvent à des échecs cinglants. En effet, pour un John Woo qui a réussi un superbe volte-face hollywoodien, combien de Ringo Lam et de Tsui Hark se sont plantés avec l'aide d'un Van Damme certainement trop cocaïné pour se rendre compte de ce qu'il faisait. Ces derniers sont obligés de retourner à Hong-Kong où ils connaissent là aussi des destins divers : Tsui Hark accumule les projets avortés mais Lam en profite pour signer un de ses meilleurs opus avec Full Alert... Comme quoi, revenir simplement au bercail ne suffit pas, encore faut-il le faire avec la véritable envie que la situation change.

Le cinéma de Hong-Kong meurt donc progressivement pour des raisons artistiques mais aussi pour des raisons économiques : le piratage est en effet très présent dans l'industrie du cinéma, certainement plus qu'ailleurs sur la planète. La durée de vie moyenne d'un titre sur les écrans de Hong-Kong est d'une dizaine de jours et le film sort en vidéo (de façon officielle) seulement un ou deux mois plus tard. Le prix des places de cinéma étant assez élevé par rapport au salaire local, le public préfère attendre la sortie en vidéo. Entre-temps, le film est déjà présent sur les étalages des magasins de VCD pirates pour un prix défiant toute concurrence, les bénéfices ne tombant pas, bien entendu, dans la poche des producteurs, déjà mal lotis par ailleurs. Le marché du VCD est donc en pleine expansion, ce qui pousse l'industrie à produire des films directement pour ce support sans passer par la case cinéma, à l'instar des STV (straight to video) américains. Ces films sont le paradis des acteurs en fin de carrière qui viennent là cachetonner afin de payer leurs impôts. Des comédiennes comme Yukari Oshima ou Cynthia Khan les fréquentent régulièrement. Autant dire que la qualité est rarement au rendez-vous. Le piratage est à Hong-Kong un véritable fléau que le gouvernement n'arrive pas à endiguer, il faut dire que ce marché parallèle est aux mains des triades...

Le cinéma Hong-Kongais se meurt et rien ne semble pouvoir le sortir de sa torpeur et ce n'est pas la cessation des activités de la Golden Harvest qui va arranger les choses. A l'heure où le cinéma de Hong-Kong n'a jamais été aussi populaire en occident (voir le succès de la série télé de "Martial Law"), les fans de la première heure se désespèrent et la situation ne semble pas aller en s'améliorant.

La solution serait peut-être que les producteurs se lancent dans des projets très ambitieux artistiquement qui titilleraient les envies du public et ce par le biais de campagnes de marketing "à l'américaine". Ainsi, The Stormriders de Andrew Lau a connu un très grand succès public il y a deux ans en mélangeant des éléments traditionnels du Wu Xia Pian avec des effets spéciaux numériques dignes des plus grandes superproductions hollywoodiennes. A cette idée déjà commercialement forte était ajoutée une campagne de pub rondement menée. Mais pour cela, il faudrait aligner le chèque... Comme quoi la situation est vraiment inextricable.

II. LA RENAISSANCE ? (par Sonatine)

La situation à Hong-Kong est-elle aussi inextricable qu'on le pense ? Cet article tente de faire un bilan de la situation actuelle et des principaux problèmes qui ont diminué la production de films de 200 films en 1993 à 93 films cette année. Il complète l'article d'Anthony C. (Texte écrit en 1999)

 

Les causes sont nombreuses, tout d'abord la qualité des films produits. Les studios se sont trop longtemps contentés de servir des suites et des remakes de films à succès dans l'objectif de faire toujours plus de bénéfices. C'était déjà vrai avant la crise, mais ces dernières années on ne compte plus le nombre de films dont la qualité ne cesse de baisser. Pour prendre un exemple il suffit de voir le remake de Bodyguard tourné avec le très populaire Jet Li, inutile de dire que le résultat n'est pas réjouissant. Les scénarii sont d'ailleurs d'une médiocrité de plus en plus alarmante, les scénaristes seraient-ils en manque d'inspiration ? Cela semble bien être le cas.

Des raisons économiques viennent s'ajouter, les productions locales ne peuvent rivaliser avec les budgets exorbitants des films hollywoodiens. La promotion d'un film de Hong-Kong ne peut rivaliser avec celle d'un film américain, les campagnes publicitaires sont un moyen majeur d'attirer du public dans les salles obscures, les Américains l'ont bien compris. De plus la durée d'exploitation d'un film local ne dépasse pas une semaine, réduisant encore ses chances de rivaliser avec son grand concurrent. Enfin, la crise économique qui a frappé l'Asie dès 1997 a eu des répercussions évidentes sur le marché du cinéma, ce qui ne facilite pas la tâche des sociétés de production contraintes de réduire leur nombre de films. C'est triste à dire, mais l'argent reste le catalyseur du cinéma, peu d'argent signifie donc logiquement peu de films produits.

On ne peut aborder ce sujet sans s'attarder sur l'effet qu'a eu la rétrocession sur le marché local. Peu de réalisateurs sont d'accord sur le fait qu'elle n'a pas eu seulement un effet néfaste. C'est même le contraire qui se produit, en effet cette peur de la grande Chine a donné lieu à de nombreux très beaux films, on citera par exemple Lune d'automne de Claras Law ou encore le merveilleux Happy Together de Wong Kar-Wai, une peur dont les scénaristes de talents ont su profiter. Cela peut paraître paradoxal mais c'est un fait et la qualité de ces films sont là pour nous le prouver. Pourtant le mal est là, on assiste à une fuite de comédiens, réalisateurs et scénaristes qui ont bâti le cinéma de Hong-Kong, les noms sont là : John Woo, Ronny Yu, Tsui Hark, Jackie Chan et d'autres quittent la colonie et réussissent plus ou moins bien leur intégration dans le système américain. Tsui Hark est désormais rentré à Hong-Kong, Jackie Chan lui voyage entre les deux pays, pourtant John Woo semble s'attacher aux Etats-Unis pour le malheur de beaucoup de fans.

Ensuite il y a le piratage et c'est là ce qu'on peut appeler le fléau de Hong-Kong. Le pirate à Hong-Kong n'est pas chose nouvelle, en effet là est le paradis pour le marché noir de la fraude qui touche tous les domaines y compris et surtout le cinéma. Le marché du VCD pullule. Vendus à la sauvette dans les rues de Hong-Kong, les VCDs pirates ont pris des proportions alarmantes au point où un film à peine sortie dans les salles se retrouve en vente dans la rue. La place de cinéma relativement élevée à Hong-Kong ne fait qu'empirer les choses, le public choisit la solution la plus économique, surtout en pleine période de crise. Ce marché noir est contrôlé par les triades, on peut d'ailleurs en voir une bonne illustration dans A True Mob Story de Wong Jing avec Andy Lau en vedette dans le rôle d'un pirateur de VCD.

Pour prendre un exemple, la dernière grosse production Generation X Cops a été projetée en avant-première lors d'une soirée spéciale, le lendemain, le film était disponible dans les étalages. Sans oublier le fait que plusieurs versions sont proposées. En effet, les pirates ne se contentent pas de reproduire et de mettre en vente le film en question, ils créent eux-mêmes des sous-titrages pour les pays voisins. Et le piratage ne touche pas seulement la production locale, elle touche aussi de plein fouet les films américains. Le pays en question a d'ailleurs pris des mesures de répression contre la Chine pour violation de propriété. Bref un problème qui prend des tournures énormes et menace le cinéma.

Pourtant le cinéma de Hong-Kong est il définitivement perdu ? Ce serait vite l'enterrer, il reste encore des grandes maisons de production qui malgré toutes ces crises résistent et offrent des films encore de qualité. De plus pour faire face au cinéma envahissant de Hollywood, des films à gros budgets sortent durant l'été, ainsi des films comme ou le récent Generation X Cops sont des réussites commerciales, preuve que le combat n'est pas perdu d'avance. On assiste même à une certaine "renaissance", une nouvelle vague a fait son apparition ces deux dernières années, des films de qualité à petit budget qui sortent de l'ordinaire et redorent le blason du cinéma local. Prenons par exemple le très bon Full Alert ou encore les excellents films de UFO tels que Lost and Found ou Anna Magdalena.

De cette crise, le nombre de films produits a considérablement baissé c'est un fait. Mais les films sont toujours là, on pourrait s'inquiéter sérieusement si les films étaient quasi inexistants, mais ce n'est pas le cas. Le cinéma de Hong-Kong a encore beaucoup à offrir et des réalisateurs de talent comme Wong Kar-Wai, Ang Lee, Tsui Hark, Fruit Chan et bien d'autres seront là pour nous le prouver.

Sonatine

III. Une perte douloureuse

Ce texte, il n'engage que moi et mes opinions.

Ce texte, en sera un de nostalgie, car le cinéma a marqué chaque instant de ma vie. De l'époque où j'allais aux matinées pour jeunes pour 1$ voir les Kaiju Eiga, les westerns spaghetti et les kung-fu comédies de Sam Hui. Au temps où alors que je venais de redevenir célibataire, je redécouvrais le cinéma d'exploitation et celui de Hong-Kong. (Texte écrit en 2001)

La situation de Hong-Kong en est une de nostalgie, car il faut bien être honnête, la situation n'est plus ce qu'elle était.

Les années 60-70, comme vous le savez, sont d'après moi, la meilleur période pour le cinéma mondial. Le cinéma d'auteur comme celui d'exploitation était dans une période créative fiévreuse... Hong-Kong n'échappait pas à la règle. Mais c'est ici que les chemins se sont séparés.

À l'époque, le cinéma de sabre mandarin dominait le box-office de 65 à 71 et accessoirement Chang Cheh et King Hu. Mais l'arrivée du Petit Dragon a balayé les épées de la surface du palmarès. La mort du Petit Dragon par contre a coïncidé avec une petite période d'incertitude que les frères Huis, entre autre, ont contribué à détruire. Le mot détruire est juste, parce que cela a été le début du cinéma Cantonnais dominant et surtout de la domination du cinéma local au box office.

Dans les années 80, mis à part l'éternel James Bond qui a toujours eu la faveur des gens de l'ancienne colonie, le cinéma est "local".

A Better Tomorrow et son succès phénoménal dans le milieu 80, pourrait être le symbole de cet âge d'or Hong-Kongais. La fin 80 début 90 a vu la production de films à gros budget, de sagas (les Big Timer movies) historico-mafieuses, les comédies en costumes, les Wu Xia Pian aériens, les kung-fu en costumes. Entre 200 et 300 films étaient produits. Un état de fait qui a duré jusqu'en 1995 environ.

Mais pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut comprendre la situation du cinéma international.

"Blockbuster" et Multiplexe

Le cinéma européen est détruit, il ne faut pas qu'il se reconstruise...

À la fin de la 2nde guerre mondiale, Orson Welles raconte qu'il a été convoqué dans le salon Ovale où le président s'entretient avec plusieurs hommes de l'industrie cinématographique. C'est là qu'il aurait dit cette phrase (je paraphrase bien sur). Elle représente bien l'industrie américaine. Les USA ont vite compris le parti qu'ils pouvaient tirer du cinéma. L'image de l'"american way of life " dépeinte dans les films a, à mon humble avis, plus contribué à leur domination culturelle que n'importe quoi d'autre.

Leur méthode de distribution plus proche de la vente sous pression à porté ses fruits. Voici d'ailleurs un petit exemple fantasmé pour bien faire comprendre comment ça marche :

"la scène se déroule entre un propriétaire de salle et un distributeur"

- Hey tu le veux Titanic?
- Oui je le veux Titanic, m'a faire la piasse avec ce film, tout le monde va venir... Hé ! Hé ! Hé !
- Oui, mais si tu le veux, faut que tu prennes le reste du catalogue !
- C'est quoi le reste du catalogue ? "Poutpout et Moumoute chez les folles", "Gymkata contre les Ninja de L'espace", "Shaft se fait un Shaft". Mais c'est de la merde !
- Ouais, mais on les a produit, alors il faut les montrer.
- Mais j'ai que 5 salles, il restera plus de place pour les films locaux et étrangers si je fais ça
- Hé ! Hé ! Hé !

Mais maintenant, avec les systèmes de franchise, ce dialogue commence à déjà être passé de date. Tout appartenant aux USA. Ils ont d'ailleurs essayé de faire pression, lors de discussions sur le libre échange, sur l'aide monétaire gouvernementale apportée à l'industrie du cinéma. Ils partaient de la prémisse simple, que si eux ne subventionnent pas leur cinéma, les autres ne devraient pas le faire. La France et la Corée ont été parmi les pays qui ont dit F... (voir le groupe de cinéastes qui se sont rasé le crâne en public pour protester contre ça ).

Hong-Kong Flick

Le cinéma asiatique est en majorité un cinéma de genre. C'est un des trucs que n'ont jamais compris les critiques occidentaux. Par exemple pour eux Tabou est un film d'intello à propos du désir. Pour un Japonais, c'est un chambara. Ça parle de désirs et de pleins de choses, amis c'est un chambara. Les asiatiques ont toujours parlé de pleins de trucs au travers du cinéma d'exploitation. Ce qui explique, vu le peu de respect pour ce genre de film ici, pourquoi plusieurs séries et œuvres sont inconnues ici.

Qui dit cinéma de genre dit "exploitation", qui dit "exploitation" dit réseaux. Donc, pas le choix, il devra y avoir des compagnies et des distributeurs. C'est ce qui fait que le cinéma HK et indien a été si fort. Parce que ce n'est pas comme ici où il existe une barrière entre le cinéma commercial et celui d'auteur. Les auteurs qui font du cinéma d'auteur on généralement peu de succès. Kurosawa ? Pendant longtemps il a été considéré comme le "gars" qui réalisait les films de Toshiro Mifune. Ozu et Mizoguchi ? Eux aussi faisaient du cinéma de genre, car au Japon, il y a un genre pour tout. Il y a même un genre qui désigne un style de films de gauche. Ozu réalisait un cinéma qui nous parlait de famille et de société. Ce qui, au Japon, est un genre en soit. Un jour, il faudra que j'écrive un texte parlant des nombreux genres qui ont marqué le cinéma japonais, mais comme c'est un peu gros pour un humble gars comme moi, si ça vous intéresse, vous pouvez toujours vous référer aux volumineux bouquins de Sato Tadao (NDR : Le Cinéma japonais en deux volumes).

Tsui Hark à ses débuts s'est essayé à un cinéma plus sauvage, plus radical avec le manque de succès que l'on sait. Plus tard il trouvera la formule que l'on connaît. Offrir un spectacle, de l'action, du drame et en même temps parler de ce qu'il veut. Dans la série des Once Upon A Time In China (ou OUATIC, surtout les 3 premiers) il parle de nationalisme de façon assez subtile. Plus que Falardeau au Québec par exemple.

Multicentre, Jurassic Park, Crise économique et Rétrocession

N'en déplaise aux fans, le cinéma HK est dans une crise grave. Due à plusieurs facteurs.

Premièrement la rétrocession. Comme on le sait, le cinéma de Hong-Kong est dans un âge d'or, jamais les films américains ne se hissent aux premières places du box-office. Les producteurs sont donc confiants et produisent des films dans une logique hystérique qui consiste à faire le plus de fric avant la date fatidique. On produit donc vite souvent n'importe quoi. Vous avez aimé Swordman ? Paf voici les chevaliers volant. Vous aimez les comédies Molaytaux de Stephen Chow (la grosse vedette du début de la décennie, il dominait parfois jusqu'aux 4 premières places du box-office). Il semble aussi que les sympathiques triades ont pensé à la même chose. Il arrive aujourd'hui que les films parfois, sortent en VCD en même temps leur sortie en salle.

1997 ne change pas vraiment grand chose aux statuts des Hong-kongais... Mais c'était sans compter sur le tristement célèbre crash boursier d'octobre 1997, une crise économique qui balaya l'Asie. Sans tomber dans les détails, on sait le comment et le pourquoi de cette crise. On sait aussi la cible. Il est malheureux que des pays comme la Corée se soient trouvés dans les parages. Mais je ne veux pas faire de politique. Hong-Kong fut durement touché, surtout parce que plusieurs pays voisins furent ruinés. Une des forces du cinéma Hong-kongais repose sur l'exportation dans le sud-est asiatique : là les revenus générés chutent dramatiquement.


Bien sûr aussi, depuis Jurassic Park, les attentes du public sont plus fortes. Ils veulent du spectacle. Des CGI et Tutti Quanti. La rétrocession à quand même eu du bon. Pour ma part, je dois dire que le cinéma Hong-Kongais a toujours représenté le cinéma d'exploitation cool. Un spectacle dégoulinant d'imagination différente. La période de la rétrocession a coïncidé avec le festival Fantasia. À cette époque le monde découvrait le cinéma HK. Des types comme Tarantino et Scorsese avouaient leurs admiration pour la technique de John Woo, Wong Kar-Wai charmait le monde avec son Chungking Express.

Wong Kar-Wai est un cas, un genre à lui seul. Un "auteur" comme on dit ici. Nous avions l'impression qu'il se passait quelque chose à Hong-Kong. Fantasia nous faisait découvrir des films comme Beast Cops ou ceux de la Milky Way Image. Wong Kar-Wai, Fruit Chan et la Milky Way nous ont donné la fausse impression d'un cinéma rebelle et "auteurisant" qui se porterait bien. Mais en fait, on pourrait quasiment dire que c'était le dernier assaut.

J'ai été dupe, je l'admets. J'ai redécouvert le cinéma de Woo, que j'avais trop vite classé dans la catégorie "action pack". Je me suis réconcilié avec les films de genre. Mais surtout, j'ai trouvé un écho révolutionnaire dans les films de la Milky Way Image. Le label que Johnny To décrivait alors comme un collectif semblait engagé dans une déconstruction du genre polar / triades / film noir. En fait une reconstruction, car tout en ridiculisant certains stéréotypes propres au machisme ambiant des polars, le gang de To s'arrangeait pour quand même faire du mythe, du "cool" quoi. Déjà dès 1996 avec Beyond Hypothermia les éléments du film policier d'action mélodramatique étaient façonnés de façon plus originale. Mais c'est avec le triptyque de 1997 : Too Many Way to be Number One, The Odd One Dies et Longest Nite que les choses ont paru le plus radical. Ces 3 films sans concessions donnaient vraiment l'impression d'être une thématique de guérilla complètement pensée et réfléchie. Les thèmes comme la destinée (est-elle entre nos mains ou est-elle écrite ?), la femme, le machisme, les choix de vie, les triades etc etc soutenus par une recherche formelle et une musique ironique ont séduit les critiques. Mais hélas pas le public. A Hero Never Dies film qui va plus loin qu'il en a l'air, tout en ridiculisant certains aspects mâles et les gunfights à la Woo, en profitait pour quand même être baroque et "mythifiant". Expect The Unexpected sous le couvert d'une romance tournée à la façon des séries télé nipponne nous assenait le coup de grâce. Mais pour moi c'est le début de la fin. La Milky Way Image pourrait être le symbole, plutôt l'illustration de l'industrie cinématographique de Hong-Kong.

Expect The Unexpected était de facture beaucoup plus classique, mais je suis porté à croire que ce parti pris servait la cause et rend la fin plus puissante et significative. Mais les 3 films de To ont été plus inquiétant. The Mission porte encore l'ironie, la déconstruction des œuvres précédentes de la Milky. Le générique porte encore la mention de la Milky Team Creation (To et Wai Ka-Fai insistaient pour raconter à tous les journalistes de Montréal que la Milky fonctionnait comme un collectif où tout le monde avait son mot à dire et où on déterminait qui allait faire quoi en fonction de tout le monde) et le côté formel sert un propos subtil. La première moitié nous montre ce que d'habitude ont ne voit pas. Pendant que les "patrons" des triades font leur "meeting", que font les "bodyguard" ? En nous montrant seulement le point de vue du groupe de garde du corps, To réinvente les scènes d'action. La deuxième moitié est plus subtile, nous laissant l'interprétation des agissements des personnages à notre jugement (quoique la version en mandarin soit plus explicite).

Mais je ne peux en dire autant des deux autres. Where Good Man Goes est correct, mais sans envergure, tandis que Running Out Of Time est un film tiroir, bien léché mais sans ironie. La musique est belle et sert le propos de façon classique. En fait tout est à sa place. Comme la plupart des films du monde entier !

Sauf Comeuppance, un film ironique et le très sensible Spacked out de Laurence Ah Mon, les films Milky Way Image sont désormais des succès au Box-Office. Des comédies comme Help et Needing You, sans grande recherche comparé aux films précédents, remplissent les caisses. To le fait pour subventionner ses futurs films ? Ses futurs films comme Running Out Of time 2 ? Johnnie To fait maintenant partie de "100 Years Of Cinema", une nouvelle compagnie beaucoup plus commerciale.

La période 96-99 avec les films de la Milky Way, Beast Cops, Viva Erotica, Made In Hong-Kong par exemple, aura été une période riche, non pas en succès commerciaux, mais en terme artistique. Cela aura contribué à un gigantesque malentendu. Les critiques découvrant ces films auront cru à un renouveau du cinéma de Hong-Kong, couplé au fait que certains réalisateurs comme Woo, Kirk Wong, Lam et Tsui Hark, auront fait des tentatives Hollywoodiennes. En fait, les exilés sont le fait d'une crise et non d'un épanouissement. D'ailleurs Hark, et Lam retourneront dare dare à Hong-Kong (Lam en profitera pour réaliser certains de ses meilleurs films, comme Full Alert)

Le Cinéma HK maintenant

Il y a donc crise. Je sais ce que certaines personnes, fans Jacky Chanesque, frétillent de colère à cette évocation apocalyptique. Mais laissez moi évoquer le personnage de Simon. Simon est un parfait spectateur typique. Il va au cinéma comme certains regardent la télé. Pour se divertir, il va au cinéma au moins 5 fois par mois, sinon plus. Il voit surtout du cinéma US, car c'est ce qui passe dans nos salles. Simon est le spectateur idéal, les producteurs s'ils le connaissaient, lui offrirait sûrement un Camaro. Car Simon est le meilleur agent de publicité. Simon aime tout. Pas tout en fait, il n'aime pas les films chiant, mais tous les films bing bang US Action pack S-F cool dude ! Il aime tout. Pour lui le nouveau Star Wars est un événement, mais Donjons et dragons aussi, ainsi que Gone In 60 Second, le nouveau Arnold, le new Mel Gibson et il aime Jet Lee en autant qu'il joue dans des films proches de lui. Entre parenthèse, vous avez vu : Jackie Chan fait un malheur dans Rush Hour, mais quand on ressort Drunken Master II en salle, ça n'a pas le même succès. Y comprenez-vous quelque chose? Trop de jaune ? Ouais peut-être.

Anyway ! Pour en revenir à Simon. Le type aime les films de S-F. Donc pour lui, pas de différence, tout est au même niveau. Il aime les films de poursuite de voiture ? Donc tous les films de voiture se valent. Inutile de lui dire qu'une poursuite peut-être mieux tournée qu'une autre.

Un gars comme Simon ne remarque sûrement pas que les films sont moins de qualité. Les faits, mon ami. Les producteurs US ont adopté une logique similaire à celle des producteurs HK du milieu 90 : produire pleins de films, un peu n'importe quoi, de toute façon le public y va. D'après un sondage pan-américa, 2000 serait la pire année depuis longtemps au niveau qualité. Pourtant, les chiffres, les entrées sont bons.

C'est la même chose pour HK. Les fans lorsqu'ils voient un film moins génial se disent : "c'est pas si pire, au moins je ne me suis pas totalement ennuyé" ou "j'ai déjà vu pire". La loi du plus petit dénominateur, pourtant les choses sont loin d'être idéales. Le dernier Jacky Chan était trouvable en VCD pirate deux semaines avant sa sortie en salle. Et vous admettrez qu'on est loin de Project A.

Sauf Wong Kar-Wai qui continue sa conquête de l'intelligentsia mondiale, les grands de l'âge d'or HK sont traités comme les derniers des derniers. Le grand (et gros) Sammo Hung réalise n'importe quoi et les nouvelles gueules aussi. En fait, la tactique des producteurs est simple : faire du blockbuster à l'américaine. Et comme HK a toujours aimé les histoires d'espionnage à la James Bond et Mission Impossible, et comme l'enfant exilé à fait MI2, on se retrouve avec un paquet d'histoires de groupes anti-terroriste/flic de choc/espions/voleurs qui cherchent des formules secrètes/bombe/armes ou combattent des terroristes/tueurs à gages/espions. Ces films sont pleins d'action et/ou effets spéciaux. Tout ça pour en mettre pleins la vue madame ! Les ex-directeurs photos, maintenant réalisateurs, nous criblent de zoom in/zoom out, de slow motion speedé, de montage elliptique digne d'un vidéo techno rave... Et j'ai mal au cœur Madame !

Il faut être totalement lucide, je sais que Hong-Kong a toujours eu un côté bis, et a toujours fait des emprunts un peu partout. L'ironie déconstructive de la Milky Way tombait en pleine mode des polars tarantinesques. Les polars Lam et Woo ont puisé leur inspiration dans les polars US autant que dans Melville. Même les films de sabres Mandarins ont été faits au début pour répondre aux si populaire chambara japonais. Mais ces films, peut-être par manque de compréhension des genres copiés ou à cause d'une trop forte sino-personnalité, finissaient toujours par ne ressembler à rien. Il faut dire que la propension à tout mélanger dans le même film ou celle de faire dans le mélodrame (le genre sûrement le plus populaire en Asie) y était sûrement pour quelque chose. Mais la concurrence US en ce début de millénaire étant jugée trop forte ou déloyale, les producteurs n'ont rien trouvé de mieux que de singer les produits d'outre mer.

Même Tsui Hark, qui pourtant à ses débuts de jeune homme en colère, avait eu la bonne idée de puiser autant dans l'occident que dans la culture chinoise (en fait les thèmes étaient chinois et bien souvent la technique d'inspiration occidentale) nous donne du "groupe d'intervention". De jeunes beaux cools (souvent Ekin Cheng, Jordan Chan ou Sam Lee) accompagné de Cecilia ou de Hsu Chi, sortent de beaux flingues chromés et regardent des explosions de leur regard hébété dans des montages frénétiques.

Mais comme les gens y vont, ont-ils le choix ? Mon pote Simon aime aller au cinéma. Il ira, que se soit bon ou mauvais. Tiens, ça me fait penser à un slogan publicitaire de quand j'étais petit gars, un slogan pour les saucisses Machin : "Plus de gens en mangent parce qu'elles sont les meilleures, et elles sont les meilleures parce que plus de gens en mangent". Je sais que le cinéma est une industrie. Je sais que le cinéma est un produit. Mais je n'aurais jamais cru que Orson Welles serait un jour du domaine de la saucisse.

Comme dans Comeuppance, une des dernières productions Johnnie To, c'est au public de décider.

Christian D.

date
  • avril 2001
crédits
  • auteur
  • Anthony C.
  • Sonatine
  • Christian D.
Actualité