Sans être en compétition officielle, le dernier film de Patrick Tam After this our exile était présenté au 9ème festival du film asiatique de Deauville. Aurélien et Carth ont profité de la présence du cinéaste pour lui poser quelques questions sur ses travaux passés, son retour sur le devant de la scène du cinéma HK et sur sa vision du cinéma chinois actuel.
Entretien avec Patrick Tam
Carth - After this our exile signe votre retour au cinéma et plus particulièrement au genre dramatique. Pouvez-vous nous parler de ce retour après dix-sept ans de silence ?
Faire un film après dix-sept ans d’absence est pour moi une véritable joie, vraiment. Bien sure, je ne peux pas dire que j’ai accompli avec After this our exile un travail parfait, mais dans l’ensemble j’ai eu presque toutes les libertés pour travailler dessus ; c’est pourquoi le film est aussi proche que possible de ce que j’attendais.
Aurélien - Durant ces dix-sept dernières années, vous avez travaillé avec des cinéastes comme Wong Kar-Wai ou Johnnie To. Pouvez-vous nous parler de cette période ?
Durant cette période où je ne tournais pas, j’ai réalisé des spots publicitaires, étudié des scripts pour des sociétés de production, j’ai effectivement aussi travaillé pour Wong Kar-Wai et Johnnie To. Je peux vous dire que j’apprécie beaucoup leurs films car ce sont des cinéastes créatifs, particulièrement impliqués dans leur travail, affichant de réelles qualités, ce qui est plutôt rare. Mais ce qui est intéressant chez eux, c’est cette part d’improvisation. C’est spécial dans la mesure où lorsqu’un réalisateur est bien préparé, c'est-à-dire lorsqu’il possède avec lui un story-board ou lorsqu’il sait pertinemment ce qu’il a à faire au moment de tourner, le résultat est relativement décevant. Mais une part d’improvisation est plus intéressant pour moi, surtout quand je dois procéder à des sélections lorsque je construis mon story-board de toutes pièces, cela peut aller du changement des angles de caméra ou une variation de la mise-en scène de chaque scène en particulier.
Carth - Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir soudainement dans le domaine du cinéma après dix-sept ans d’absence ?
Je suis allé en Malaisie en 1995 et avec mes étudiants nous avons écris environ vingt scénarios, très complets, et celui de After this our exile est un des plus récents. Nous avions terminé l’écriture de la première version du script cette même année, ce qui veut dire qu’il était prêt. Durant ces années là j’ai passé beaucoup de temps à travailler sur d’autres scénarios, collaborations et projets sans nécessairement revenir à la réalisation. Après être retourné à Hongkong pour enseigner à l’université, j’ai eu la chance de recevoir des aides financières parceque des producteurs étaient intéressés par l’histoire de After this our Exile. Je me suis donc mis à travailler dessus. Je pense qu’il faut être prêt à temps lorsque l’on est en communication avec ses producteurs et qu’il est nécessaire de saisir sa chance quand on peut faire un film. Il ne faut pas se poser de questions surtout lorsque l’on voit le cinéma du même angle avec ses producteurs. Je me considère donc très chanceux surtout que mes producteurs ont été très enthousiastes à l’idée d’un tel projet, ils ont vraiment aimé le scénario et m’ont donné toutes les libertés pour le réaliser. Ils ont cru en ce projet et c’est pourquoi je me suis remis à la réalisation.
Carth - Autour de ce casting de qualité (Aaron Kwok, Charlie Young, Kelly Lam), on trouve la présence d’un jeune enfant interprété par Goum Iam Iskandar. Comment le dirigiez-vous sur le tournage ? Etait-ce délicat ?
En fait j’ai beaucoup discuté du scénario avec les acteurs, quelles étaient mes intentions, ce que j’attendais de leur personnage, même avec Goum Iam Iskandar, un garçon très intelligent et sensible, qui n’avait jusque là jamais pris de cours de comédie. Je suis persuadé qu’avant de tourner, Iam n’était pas intéressé et ne savait pas ce qu’était le rôle d’un comédien. J’ai donc essayé de parler avec lui, de lui dire pourquoi l’enfant se comporte ainsi dans le film. Il a donc eu l’intelligence de faire ce que j’attendais de lui
Aurélien - Quel a été votre sentiment après avoir terminé After this our exile, qui rappelons-le, a mis fin à 17 ans de silence ?
Un sentiment de grand soulagement. Un soulagement d’avoir fait quelque chose dont je suis satisfait du fait que cela représente un vrai travail, un travail que j’essaie de partager à présent avec le public.
Carth - On trouve un Aaron Kwok au sommet de sa carrière. Une interprétation très forte, loin de ce que l’on imagine de lui notamment lorsqu’il tourne dans un film d’action. Est-ce que vous lui donniez des conseils ou est-ce qu’il se gérait lui-même pour véhiculer au mieux ses émotions ?
Aaron est très intelligent, très concentré lorsqu’il interprète son personnage. Mais pour chaque scène j’ai essayé de lui dire ce qu’il devait faire, notamment au niveau de son comportement ou ses émotions. C’est très important pour un acteur de comprendre « l’émotion » de leur propre personnage. Alors nous avons beaucoup discuté et j’essayais parfois sur le tournage de capturer des instants, des moments où il ne savait pas que je travaillais sur lui. Lui et moi avons collaboré efficacement sur le tournage, une collaboration étroite. Il déploie une véritable énergie parce qu’il est avant tout danseur, très sportif, et j’avais besoin de cette énergie lorsque l’on tournait, une énergie qu’il libérait parfaitement.
Carth - Vous n’êtes pas sans savoir que votre film a reçu de nombreux prix, notamment au festival Golden Horses (meilleur film/meilleur acteur/meilleur second rôle masculin) et est nominé dix fois pour les Hongkong Film Awards. Un retour marqué et marquant ?
Vous savez, quand quelqu’un réalise un film il ne doit pas penser aux festivals et aux potentielles nominations. Ce n’est pas important. Je pense que le plus important est de toucher le cœur du public, c’est cela ma plus grande satisfaction. J’enseigne à l’université et si un jour je suis nominé ou récompensé lors d’un festival, je placerai cette récompense sous le signe d’un encouragement pour mes élèves. Ainsi, j’espère qu’ils contribueront grandement à l’industrie cinématographique. En fait vous n’allez pas réaliser un film uniquement pour la récompense, ce n’est pas du tout un facteur de motivation. Alors si je reçois un prix ou non, le plus important est d’aimer son film et de croire en lui. Qu’importe si les critiques apprécient mon film ou pas, ça ne me regarde pas.
Aurélien - Vous avez travaillé il y a une quinzaine d’années avec une nouvelle vague de réalisateurs comme Wong Kar-Wai. Pouvez-vous nous parler de cette période où le cinéma de Hongkong était très différent de celui d’aujourd’hui.
A cette époque le cinéma de Hongkong était très riche et varié, j’appréciais toute cette créativité et cette énergie. Il y avait une grande liberté, vous pouviez expérimenter énormément, j’avais l’opportunité de tourner et à cette époque le système de financement était assez différent. Je pense que le cinéma Hongkongais d’aujourd’hui est au plus bas et j’espère que les choses changeront à l’avenir, pour un futur meilleur. Par exemple nous avions environ une centaine de projets par année, à présent nous n’en avons pas plus de cinquante. Mais d’un autre côté, je pense que la quantité ne doit pas être le principal facteur quand on fait un film. La qualité est bien plus importante. Maintenant nous avons donc de moins en moins de projets de film et ceux qui ont la chance de travailler dessus doivent être d’avantage sérieux avant de s’y consacrer.
Carth - De votre côté, continuerez vous à travailler dans le registre du film dramatique, ou explorerez vous d’autres continents comme le film à message ou autre ?
C’est difficile à dire puisque je suis aussi intéressé par le documentaire et si j’ai l’opportunité d’en faire ou si je ressens la nécessité de me lancer dans ce genre de projet, je ne me gênerai pas. Si je suis amené à retravailler, je garderai ce même état d’esprit, cette même communication entre moi et les producteurs, cette croyance mutuelle que nous avions notamment pour After this our Exile. Le temps aussi est important, et je pense que je dois d’avantage me consacrer à mes élèves avant toute chose.
Carth - Quand vous tournez un film, avez-vous l’idée de faire passer un message à votre public ?
J’essaie de communiquer avec eux ma vision des choses. Ma vision doit vraiment être captée par le public. Mais je n’ai pas plus de contrôle que ça dans la mesure où les gens aiment mon cinéma, d’autres non. Mais par exemple lors de la projection de After this our exile il y a deux jours, nous avons rencontré des gens qui n’étaient pas des critiques spécialisées ou des journalistes, mais simplement des « êtres humains » qui m’ont confié avoir beaucoup aimé le film, très touchés par la situation des personnages. Mais attention, j’aime aussi les critiques, simplement ça n’a pas vraiment d’importance pour moi. Je n’ai pas besoin de savoir ce qu’ils pensent de mon film, s’il est bon, s’il ne l’est pas. J’espère en tout cas vraiment que le public en général aimera mon film.
Aurélien - Que pensez vous du cinéma Chinois de nos jours, le cinéma classique, le fait qu’ils produisent chaque années des films de plus en plus grand spectacle comme « La cité Interdite » ou « Hero » ?
Pour moi, des films comme The Banquet, The Promise (Wu-ji), House of flying dagger (le secret des poignards volants) ne sont que le fruit d’un phénomène lancé par Ang Lee et son Crouching Tiger (Tigre et dragon). Tous ces travaux sont bons pour l’image et la « création ». Crouching Tiger, le premier à avoir lancé cette mode, tout comme d’autres à présent, comptent principalement sur les effets spéciaux et les chorégraphies, mais en terme d’intensité émotionnelle je ne suis pas satisfait. Les metteurs en scène devraient aller plus loin que le simple projet du film « hors de prix ». Car plus le film est cher, moins la créativité du cinéaste est grande, c’est bien légitime.
Aurélien - Malheureusement, des cinéastes talentueux comme Lu Ye, Wang Chao ou encore Jia Zhang-Ke n’ont pas les mêmes libertés lorsqu’ils mettent en scène leur projet ou tentent de le distribuer…
Faire un film, c’est avoir un contact direct avec son public. Vous pouvez travailler sur un projet peu coûteux et faire peu d’entrées, l’essentiel est que le film soit bon. C’est pourquoi nous ne devons pas faire des films en se basant sur ce qui se fait actuellement et selon une mode dominante, surtout de nos jours où les caméras, DV et autres équipements sont accessibles à des prix défiant toute concurrence. Si quelqu’un à l’envie et la passion de faire un film ou encore de véhiculer ses idées par l’intermédiaire d’un film, il doit le faire.
Aurélien - Vous avez travaillé avec Wong Kar-Wai quand il est arrivé au cinéma. Il a travaillé pour vous en temps que scénariste pour Final Victory. Pouvez-vous nous parler de cette transition lorsque Wong Kar-Wai est passé de scénariste à cinéaste ?
Pour mes anciens travaux, je ne jugeais pas nécessaire d’écrire les scénarios tout seul. La méthode adoptée était simple, je travaillais avec des collaborateurs. Nous discutions beaucoup sur ce que je voulais dire ou faire passer dans mon film. Tout était abordé, l’histoire, les personnages, les rebondissements. J’ai dû écrire certaines scènes, mais des scénaristes comme Joyce Chan ou Wong Kar-Wai écrivaient d’avantage. Parfois j’apportais des modifications à leur travail, mais il y avait là aussi une petite part d’improvisation ce qui fait que nous étions libres. Il est primordial d’avoir une bonne entente avec son scénariste, tout comme il est important de parler le même langage quand on tourne.
Propos recueillis par Aurélien Dirler et Xavier Chanoine le 31/03/07 à Deauville.
Sincères remerciements à monsieur Patrick Tam pour le temps qu'il aura consacré à cette interview.