Annecy 2008 - Partie 2 : Asie et plus si affinités

Lien vers la Partie 1 : L'Inde, invitée d'honneur

« Animate or die ! »


"Anime ou meurs !" peut-on lire comme accroche de la boîte de production Indie Films dans les crédits du court métrage en pixilation (image par image) Tango Finlandia. Un court parmi tant d’autres, tant d’œuvres aux techniques différentes ayant toutes pour point commun la création. Par extension, on pourrait dire qu’il s’agit là d’un « crée ou crève » avec un « v » qui viendrait percer ce mot en son milieu comme la pointe d’une flèche perforerait l’art pour X raisons. L’abandon en premier lieu. S’il y a bien une élite au Festival du film d’animation d’Annecy, ce sont tous ces créateurs venus présenter leurs œuvres et/ou découvrir celles des autres. En découle une ambiance rarement vue ailleurs : celle d’un respect palpable à chaque représentation d’un film, chacun ayant droit à sa salve d’applaudissement. Même un long, lourd, usant, fatiguant, qui en aura éreinté plus d’un dans la salle. Les commentaires existent, bien sûr, mais se font discrets...

Bienvenue dans la tribu des animateurs : Annecy, un univers où tous sont les rois le temps d’une semaine, une rencontre au sommet où des monstres comme Matt Groening, créateur des Simpsons, et Bill Plympton, venu présenter son dernier long Idiots & Angels (pas vu, malheureusement), y sont comme chez eux, continuellement avec un grand sourire affiché, communicant leur passion avec une générosité sans faille à leur grande famille, leurs enfants et amis...

J'ai fait le tour des quelques oeuvres bridées montrées à Annecy en profitant aussi de ce qu'une conférence fut consacrée à la mocap (Motion Capture) pour creuser un peu cette technique là après qu'on en ait déjà papoté chez nous autour des films Appleseed Ex- Machina et Vexille. Quelques anecdotes et autres bidules hors Asie émaillent le CR qui suit. Les grands oubliés de cette semaine, en ce qui me concerne, car il y en a d'autres, sont l'hommage à Emile Cohl et non l'autre Emile, le Raynaud, tous deux à la base de l'animation il y a environ un siècle (dans le mille donc) ainsi que la venue du papa de Roger Rabbit : Richard Williams, venu pour une mini "master class" à l'occasion de la sortie de plusieurs de ses produits (un livre, The Animator's Survival Kit, et des Master Class en DVD).


Homer d'alors : Les Simpsons à Annecy !!


Ah c'est malin ! Commencer avec du hors sujet, quelle idée formidable ! Les Simpsons ont la peau jaune, certes, mais est-ce une raison valable pour en parler sur Cinemasie?

Ce fut l'un des gros évènements du Festival, la séance d'une heure trente donnée par Matt Groening (à gauche sur la photo) et David Silverman (devinez), respectivement créateur et réalisateur de la série, à une foule de fanas en délire. Avec une introduction surprise de Véronique Augereau et Philippe Peythieu, respectivement voix française de Marge et celle d'Homer Simpson, émotion, rires et ovations se sont succédés sous la maîtrise de créateurs sûrs de leur coup qui, en passant des extraits, revenant aux origines de la série et racontant quelques anecdotes répondaient à nombre de questions intéressantes et rendaient juste la séance complètement culte. Comment et pourquoi les Simpsons ? Et pourquoi qu'ils sont jaunes d'abord ? Et pourquoi qu'Homer y dit tout le temps "T'o !" ? Et au début ça ressemblait à quoi Les Simpsons ? Et si on n'aime pas les Simpsons on peut directement passer au chapitre suivant ?

Voilà, en vrac, les réponses pour les ceuces que ça intéresse et qui ne le savent pas déjà. La série est née sous l'impulsion du succès de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? au cinéma, qui donna un grand bol de confiance aux producteurs envers le support animé. Les personnages des Simpsons ont été inventés en 10 minutes sur un coin de table par Matt Groening, chacun d'eux ayant rapport avec un des membres de sa famille. C'est un coloriste qui eut l'idée de représenter les personnages en jaune, ce pour des raisons esthétiques mais aussi économiques : cette même couleur représente visages et cheveux sans qu'il n'y ait besoin de trait de séparation entre les deux. Donc non : Les Simpsons n'ont rien à voir avec Cinemasie. Ils sont juste blonds partout. Mais j'en cause parce que " Well, that's the Simpsons ! " comme qu'y disent là-bas. 

Le fameux [ T'o ! ] d'Homer, en anglais plus proche d'un [ Douh ! ], est repris d'une expression utilisée par de vieux comiques comme Laurel et Hardy pour ponctuer chacune de leurs bêtises. Comme tout anime ou toute BD fleuve, aux tous débuts les Simpsons n'avaient pas tout à fait les mêmes traits, certes, mais déjà l'essentiel était là. Et si on n'aime pas les Simpsons : oui on peut sauter au chapitre suivant, mais j'imagine que c'est déjà le cas et qu'en ce moment même j'écris pour rien. J'aurais pu mettre des trucs ensemble n'importe comment pour combler, c'est dommage. Quelle perte de temps. Par exemple : sdfsdfsdf du sfsdf sdf avec le sfdserb en ertn brthut betbertb le qz vz vr alors sjdgfjsgd pour kqzshh afin que dfauoprte et dans le même temps jfhs qhdldlkje par l'autoroute de Chartres.

Après cette session, Matt Groening a signé des autographe pendant prêt de quatre heures non stop dans le hall de Bonlieu. Les Simpsons - le film a été projeté le soir même sur l'écran géant, en plein air.


Long métrage en compétition : Piano Forest (KOJIMA Masayuki, 2007, Japon)


Une variation sur l'apprentissage du piano par deux adolescents talentueux venant de milieux différents. L'un est fils de bonne famille, l'autre est enfant des rues. Ils n'ont en commun que Mozart et Chopin...

Masayuki Kojima est un bon conteur, il nous l'avait déjà prouvé sur l'efficace série Monster, mais avec ce film on ne s'attendait pas pour autant à un exploit en devenir. Pourquoi? Parce que le concept un piano + une forêt = "Piano Forest", un pitch à l'attrait commercial évident fait d'une écologie Myiazakienne de bon aloi et de la  mièvrerie d'une musicalité à la pédagogie lourdingue. Oui mais non, car en effet et je le répète : "Masayuki Kojima est un bon conteur", il sait jongler comme peu de monde avec ses impératifs et obtient à l'arrivée un anime clair(ière)ement réussi, frais comme un soir au clair de lune et doux comme quand on marche pieds nus sur la mousse près des arbres.

Un an après on pense à La traversée du temps, souvent, parce qu'une belle histoire simple nous est joliment racontée, parce que Madhouse produit, parce qu'Eurozoom va le distribuer au ciné en France, parce que le character design y est commun et épuré, oui, mais plus logiquement parce que les personnages y sont forts, l'enfance décrite sans manichéisme aucun et l'émotion flagrante au détour de plusieurs scènes. Happy en parle très bien dans sa critique, insistons sur le dosage parfait qui est fait là entre divertissement et ode à la musique : les scènes d'apprentissages sont voluptueuses, les mouvements de doigts suivent réellement les partitions, via l'animation Kojima s'offre des contre-plongées depuis le piano sur les visages d'enfants concentrés sur des morceaux de musiques formidablement étudiés. La récurrence japonaise du dépassement de soi est appuyée par des résultats de jeu sans appel au piano. Ajoutons à cela une concurrence entre les deux amis traitée sur ton très adulte, une très bonne mise en image, l'humour hilarant apporté par une jeune pianiste stressée lors du concours (no spoiler, ce serait dommage, la scène vaut le détour !) et vous obtenez là une franche réussite. Merci Wendy !


Longs métrages hors compétition : Ken le survivant 1 - L'ère de Raoh (IMAMURA Takahiro, 2007, Japon) / Evangelion 1.0 You Are [Not] Alone (ANNO Hideaki, 2007, Japon)


Ils sont pratiques ces produits là, on peut presque en parler, lâcher diverses points de vue et hop, comme par magie les vannes sont valables pour l’un comme pour l’autre. En l’occurrence il s’agit de deux longs métrages reprenant des éléments de leurs séries respectives, deux inutilités qui le sont doublement puisqu’à quelques détails près elles existent déjà. Le Evangelion: Death & Rebirth rebirth once again avec un 1.0 peu justifié dans lequel notre héros Shinji continue d’écouter vaille que vaille sa musique avec un baladeur à cassettes. Bravo la mise à jour. Virons qui plus est l’aspect auteurisant de la série pour ne garder que les méchas et les fortes poitrines. Beurk. Quant à Ken, dégageons la violence et conservons juste… mais qu’ont-ils bien pu conserver ? L’imagerie barbare ? Même pas, le character design est une horreur sans nom et l’animation… Beurk 2, le retour et mieux vaut revoir, à la rigueur, ce vieux mix de la série. Bref, le ratage est total dans les deux cas, avec pour chacun un titre à rallonge, indicateur à 95% efficace d'un gros nanar à venir. Les projets étaient déjà bien faisandés à la base. Terminons avec le titre japonais de ce vieux-nouveau Ken pour rigoler : Shin Kyûseishu Densetsu Hokuto no Ken : Raoh den Junai no Shô.


Courts métrages en compétition


On devrait se féliciter de ce que La maison en petits cubes de Kunio Kato (photo de gauche) remporte plusieurs prix à Annecy, respectivement le très convoité Cristal d’Annecy et la seconde couche qu’est le Prix du Jury Junior pour un court métrage, mais une légère amertume subsiste, sans doute due à l’existence du transcendant Skhizein du français Jérémy Clapin (photo ci-dessous). Si le premier réussit l’exploit de produire chez chacun une grosse bouffée d’émotion en une douzaine de minutes seulement, le second, lui, pond en treize minutes un instantané cultissime du cinéma fantastique. Exagération caractérisée ? Non m'sieurs dames, et je le prouve. Le pitch, le voici le voilou : « Frappé par une météorite de 150 tonnes, Henri vit désormais à 91 cm de lui-même. » Et ? Et c’est traité magistralement, formidable de précision quant aux implications d’un tel événement, avec notre protagoniste allongé à 91 centimètres du fauteuil de chez son psy et qui, chez lui, trace des traits à la craie de 91 centimètres entre son téléphone et le papier peint pour pouvoir répondre à sa mère qui l’appelle, désespérée.

A l’arrivée il s’agit d’une métaphore explicite sur un dépressif gentiment à côté de ses pompes. Le court métrage est bouleversant et a obtenu l’aussi très désiré Prix du Public. Gros coup de cœur de mon côté, ce qui n’enlève rien à la réussite du court de Kunio Kato, son look européen proche des dessins de Sempé, sa poésie du même type dans laquelle un veuf âgé construit sa maison par-dessus sa maison précédente au fur et à mesure d’une montée des eaux inéluctable. Un beau jour, il décide de redescendre en scaphandre voir chacune de ses anciennes maisons comme il feuilletterait un vieil album photo. Un très beau film. Le reste de l’Asie en compétition dans cette catégorie n’était pas quantitativement très présent, à savoir quatre autres très courts métrages d’environ une minute chacun. Pas plus. 12 + 4 = 16 minutes d'Asie au total dans nos courts métrages, c'est pas la fête. Vibrant Gujrata de Mihir Upadhyaya est un trip musical indien dessiné avec comme couleur majeure un rouge envahissant et festif ; Crossing du chinois XIANG Li un sketch en 3D moralisateur efficace dont le but est de démontrer qu’il faut faire attention en traversant la rue, Attack of Higashi 2-chome du japonais Shinji Kimura (directeur artistique sur Amer Béton et réalisateur d’un court sur l’omnibus 4°C Genius Party), une aimable moquerie nous racontant une invasion d'extra-terrestres avortée en raison d'un trop faible budget ; et Neko no sukai un rapide complot de chats visant à déstabiliser le monde des humains, selon son réalisateur Makoto Shinkai (5cm par seconde). Qui nous reparle de chats après son She and Her Cat de 1999. Son meilleur film à ce jour que ce Neko no sukai : avec ses 60 secondes c’est le plus court. Merci à Annecy pour nous avoir présenté cet exploit.

Œuvre courte ne veut pas dire évincement obligatoire à la remise des prix, preuve en est l’hilarant KJFG No 5 du hongrois Alexei ALEXEEV (photo de gauche) qui en deux minutes aura réussi à plier en deux la totalité de la grande salle du Centre Bonlieu et obtenu ainsi le culotté Prix Sacem de cette année. Le résumé – ou scénario - : « Trois musiciens professionnels, l'ours, le lapin et le loup répètent dans la forêt. Soudain le chasseur arrive… ». La chose est inracontable, il s’agit d’un comique de situation géré au poil près grâce à une narration, un son et des dessins dévastateurs. Ils étaient nombreux les courts réussis. Dans le même genre, l’anglais John and Karen jouait sur un gros ours polaire s’excusant de tout et de rien auprès de sa p’tite femme pingouin sur fond de banlieue anglaise et de cup of tea. L’un peu plus long (5 minutes) Because you’re so gorgious est une parodie réussie du Roi Lion, avec ici le cochon sauvage se prenant pour le lion avec une fausse crinière blonde qu’il arbore fièrement tout en se tenant debout sur son gros rocher. Ne lui arriveront que des malheurs dignes d’un bip bip et le coyote, avec comme fond musical un décalage pertinent du morceau Hakuna Matata.

Toutes les techniques d'animation étaient représentés dans ces courts, les marionnettes via un Le manteau français (Orlanda Laforêt) se risquant au drame avec brio, la 3D, bien sûr, nombreuse, et un petit bijou de rotoscopie, Chainsaw, de l’australien Dennis Tupicoff, qui jouait avec maestria sur les ombres, couleurs, cadre et un scénario gonflé faisant se croiser un bûcheron, une tronçonneuse, un toréador de renom et Frank Sinatra. C’était là l’une des œuvres les plus adultes de toute la sélection. Et dans la série "on a encore moins de pétrole qu'avant mais on a des idées", le court Fantaisie in Bubllewrap de l'américain Arthur Metcalf se l'est joué slasher avec du simple papier à bulle en imaginant chacune de ces bulles que l'on aime exploser bêtement comme un personnage à part entière. Ce qui a donné lieu à un bon délire où ces personnages entendent des explosions et, inquiets ("- Cindy?..."), se demande s'il n'est pas en train de se passer quelque chose de grave et... PAF !! On s'éclate.

Je termine en parlant du français en 3D Berni's Doll (Yann. J., 2007) qui en plus d'être bon dans le genre  pourtant saturé du type "Brazil's like" aura fait marré tout son auditoire dans la grande salle le temps d'une joyeuse coupure d'électricité. Au début du film, on voit un rat chercher son chemin dans un labyrinthe. Il tourne, il avance, il tourne encore... Il aperçoit soudain une petite pièce au milieu de laquelle se trouve un gros morceau de gruyère. Affamé, le rongeur fonce dessus et se fait écraser par un piège cruel l'envoyant se tasser dans une boîte pour chat et... et là intervient la coupure de courant ! Les lumières se rallument, le public crie "OUUUUUUH ! " et les techniciens s'affèrent. Une fois le matériel en état, on reprend le film à son début. Le rat cherche donc son chemin dans le labyrinthe, il tourne, il avance et là les djeuns du fond de la salle se lâchent : "Attention le rat ! Non, va pas là ! Attention, y'a un piège  ! Noooooon !". Et PAF !! On a beau le prévenir, il se fait encore avoir le rat. Il doit sacrément avoir la dalle le pauvre vieux. Bref, moi y'en a m'être bien poilé.


Courts divers et variés


Parlons ici des quelques courts métrages hors compétition et films dits "de commande" visionnés.

Concernant les premiers je n'ai pu en voir qu'une partie, dont des morceaux assez notables bien que non asiatiques. On en parle brièvement : La vita nuova (France Belgique, Christophe Gautry, Arnaud Demuynk, 2008) est un hymne à cette poésie macabre tant appréciée chez Tim Burton. On y suit en une dizaine de minutes un poète dépressif sur fond de superbes marionnettes dans un non moins classieux noir et blanc. L'ambiance est parfaitement restituée grâce aussi beaucoup à l'utilisation à bon escient de la voix si particulière de Arthur H., ici narrateur. The Shock Doctrine : The rise of disaster capitalism (Jonas Cuaron, UK, 2007) est une dénonciation de 6 minutes sans appel d'un technique qui serait utilisée par l'état américain pour mettre son peuple en état de choc, 11 septembre à l'appui. L'accusation fait froid dans le dos, pour un scénario signé Alfonso Cuaron (Les fils de l'homme), père du réalisateur. Le titre est long mais le court est bon. On est là dans les 5% évoqués un peu plus haut sur Ken et Evangelion : l'exception confirme la règle.

Les pubs : elles s'enchaînaient comme toujours à vitesse grand V et à boire et à manger il y avait, à savoir des pubs pour des trucs à boire et à manger, donc, mais aussi quelques messages d'utilité public comme on dit (handicap international, préservatifs, droit à la différence etc). Voici le film que j'étais surtout venu voir sur grand écran au milieu de la masse : le Hairy Tale de NAKAZAWA Kazuto, un très bon haiku animé mais définitivement une publicité foireuse pour un shampoing.

Bonus: lors d'un programme TV, Annecy a rediffusé l'épisode de South Park avec ses clochards en guise de zombis affamés. C'est toujours une vraie perle d'humour noir en plus d'une réelle prolongation thématique du genre, une plaisanterie d'un excellent mauvais goût que Georges Romero n'aurait sûrement pas reniée.


Le MIFA


Quelques mots sur le MIFA. Doré mais un ton au-dessus. Non, ne levez pas la tête, je ne parle pas du boudin qui se trouve là haut, sur le balcon (et non sur la photo), mais bien du MIFA, musicalement un ton au-dessus de do-ré (hi hi) et accessoirement marché international du film d'animation. Déjà abordé dans la partie sur l'Inde, l'évènement proposait en matière asiatique quelques stands chinois, la société Chengdu Hengfeng Animation Co., Ltd y vantait sa série 3D en 520 épisodes Galaxy Lambkins (tout un programme), le Japon était là aussi avec la Toei et les coréens tenaient la distance en poussant le Puchon International Student Animation Festival (PISAF) un peu loin, là-bas dans le coin à droite. Je m'en suis allé y papoter de la gaufre de Wonderful Days au box office local pour tâter le terrain, et à une jolie coréenne de me répondre que la Corée est un petit pays, que l'export y est donc une priorité, tout comme l'import de compétences en la matière, nécessaires pour accroître la production qualitative et quantitative du pays. Merci m'dame !

En photo vous pouvez voir un stand vantant un système de motion capture pas cher (Animakit), ce qui me permet d'embrayer avec la conférence qui suit.


CONFERENCE : Où en sommes-nous avec la Mocap ?


Imaginons : vous vous êtes déjà tapé la session sur l’Inde et souhaitez, comme moi, en savoir un peu plus sur la Mocap (Motion Capture) après en avoir déjà papoté un peu stérilement au comptoir du bar du coin avec un fana de 2D remonté. En manque d’arguments et de cacahuètes, vous vous préparez à faire tournicoter votre stylo et avez fait le plein de crotte de nez pour la séance de plus de trois heures qui vous attend. Vous avez le matériel et l’état d’esprit adéquat, voilà, vous êtes fin prêt pour ce nouvel épisode. Sauf que, comme moi, vous n’êtes pas au fait de ces réalités techniques et savez que si vous en causez après, par exemple dans un compte rendu de festival, le risque est d’en arriver à raconter des salades. Je vais tenter d'éviter le drame mais ne garantis rien.

L’animateur, Cédric Guiard, Docteur en informatique graphique, expert et consultant indépendant, travaille sur des "missions relatives à la modélisation et la simulation d’environnements urbains peuplés, réalistes ou en prise avec le réel". Dixit le bouquin sur les conférences. Très vite, il laisse la parole à Rémi Brun, Directeur du secteur Mocap chez Attitude Studio (le film Renaissance, la série Skyland…) de 2000 à 2007 puis fondateur de Mocaplab, une « société qui propose toutes les formes de captation de mouvements ». D’amblée, il annonce le progrès énorme de l’outil ; le « scoop » du jour : la disparition des marqueurs et des combinaisons, déjà effective. Un logiciel importe des pixels filmés et s’en sert de données qui remplacent maintenant les anciens capteurs. Dans le même ordre d’idée, il est désormais possible de travailler la mocap dans des décors naturels. Fini le fond vert obligatoire. Mais selon Rémi Brun, fervent défenseur de la mocap, attention : l’utilisation de cet outil se doit d’avoir une raison artistique précise. Il le définit qui plus est, et c’est important, comme un outil proche du live, s’écartant ainsi volontairement du débat lié à l’animation, le même litige opposant l’art de l’animation au concept de la rotoscopie depuis moult années (et des frites).

A Kelvin Duckett de s’exprimer ensuite, vieux routard spécialisé dans la vente de compagnies de service très techniques (Virgin Mexico, Rushes…). Aujourd’hui il vante les mérite de la société Image Metrics, spécialisée dans l’animation faciale. Sans éprouver le besoin de s’étaler avec leur boulot pourtant monstrueux effectué sur GTA IV, il enfonce le clou du scoop précédent avec force vidéos et exemples visuels concrets en enchaînant sur d’autres possibilités encore plus vertigineuses, le tout sur le ton blasé du mec qu'en a vu d’autres. La routine de la révolution technique. Il reste axé sur les mouvements faciaux et démontre qu’on peut faire désormais tout et n’importe quoi avec n’importe quelle vidéo. Exemple avec un vieux film en noir et blanc dans lequel un homme et une femme, énervés, conversent violemment, de profil la plupart du temps et quelques rares fois en ¾ faces. Aucune expression « faciale de face » n’est présentée dans cette démonstration. Ce qu’il peuvent faire désormais avec ce matériau : retranscrire, de face, et pas nécessairement avec les visages originaux, TOUTES les mimiques et expressions utilisées par chacun, le tout pour un rendu possible à 360°. La claque. Ensuite, il s’amuse - et nous avec – à faire s’exprimer le visage parfait en 3D d’un indigène noir (photo) en utilisant les expressions faciales de vraies personnes, acteurs ou non, noirs ou pas. Impressionnant. 

Sans en imposer, Sung Yi, animateur professionnel et artiste 3D pour l’industrie des jeux vidéos depuis plus de 8 ans, actuellement chez Red Storm Entertainment, filiale d’Ubisoft, se jette dans l’exercice difficile de la démonstration technique en temps réel de l’animation d’un militaire lambda d’un jeu d’action tout aussi lambdesque. De ces hommes, vous savez, qui patrouillent autour d’une baraque et que vous vous apprêtez à zigouiller en salivant à l’avance en pensant à la façon avec laquelle vous allez procéder (silencieux ? Coup de couteau ? Etranglement ?…). Un « John Smith » à la Austin Powers quoi. A Sung Yi d’insister sur la nécessité de la maîtrise du Key Framing, à savoir la gestion des mouvements et des points clefs, le départ d’un geste, la fin d’un geste etc. Bref : un travail d’animateur pur et dur. Tiens tiens, le « proche du live » s’éloigne un peu tout d’un coup... Sung Yi bidouille son logiciel, on voit chacune de ses actions sur un grand écran, à savoir ce qu’il arrive à faire en quelques clics pour changer l’attitude de l’homme, en fonction de ce que son intelligence artificielle pourra détecter une fois le jeu lancé. Ici il reste au sein d’un plan d’ensemble, sans aucun zoom. Manuellement, le militaire passe de « négligent » (il marche tranquillement, le regard droit) à « aux aguets » (il marche un peu plus penché, la tête regardant attentivement à sa gauche et à sa droite) puis à « arrogant » (le torse est bombé, le fusil bien en main). Sur cet exemple le visage devient en retrait, le personnage est plus toonesque et le mélange animation/mocap lié à du pur entertainment – ce dernier mot est lâché de nombreuses fois par chacun des intervenants – où la notion d’art est des plus diffuse.

Andrew Tschesnok est allemand d’origine, diplômé en  réalité virtuelle à l’université de Tufts (US) et l’(un des ?) inventeur(s) d’un nouveau système de capture du mouvement sans marque et sans combinaison. Il vante son utilisation par la médecine, le sport, le divertissement de masse etc. D’un point de vue ludique il évoque l’évolution du karaoké (bouger au sein d’un clip), celui du « magic mirror » (bouger devant un écran et remplacer un personnage) et renvoie déjà la Wii aux pâquerettes en disant de sa Mocap que c’est une « Wii sous stéroïdes ». Bientôt nous n’aurons plus besoin d’avoir un bout de plastique dans la main pour jouer et, selon lui, « la Mocap simplifiée va, à terme, être massivement utilisée ».

Parag Havaldar prend maintenant la parole. Acteur majeur de la révolution en cours, il est ingénieur informaticien et architecte de logiciels chez Sony Pictures Imageworks, à savoir derrière les deux films de Robert Zemeckis : Polar Express et Beowulf (photo), ainsi que l'outsider Monster House. Il a créé un système de codification des mouvements du visage, et sans revenir sur ce que les autres intervenants ont dit sur la disparition des capteurs maintient et vante les mérites de l’Electro Oculography (EOG), une batterie de capteurs entourant les yeux d’un acteur pour rendre compte, précisément, de son jeu, des mouvements de l’œil, des contractions musculaires. Il s'agit ici d'une mise en avant de la notion de percap plus que de mocap, à savoir la "performance capture" à son plus haut niveau de restitution. La démonstration consiste ensuite à présenter une série d’extraits de Beowulf, plus ou moins explicites. A mon sens, Parag Havaldar semble n’avoir pas trop besoin de se justifier et préfère jouer sur le prestige que le métrage de Zemeckis apporte comme argument principal de vente.

Le français Marc Miance clôt la conférence. Il travaille avec Rémi Brun chez Attitude Studios. Il annonce un projet à venir : l’adaptation du livre La nuit des enfants rois de Bernard Lenteric, prévu pour une sortie cinéma en 2010, puis entame une réflexion sur la Mocap : selon lui un outil et une technique entre deux cultures. Il n’y a pas encore eu un film qui assurerait le succès et la reconnaissance de la Mocap comme un genre à part entière. Il trouve un gros intérêt de l’outil Mocap pour son apport à la « Digital Photography ». Je ne développerai pas ce dernier point : "lapin compris".

Que conclure sur une série d’exposés aussi techniques ? Les travaux sur les visages sont très largement mis en avant et personne ne se vante encore vraiment des mouvements du reste du corps, toujours autant perfectibles. A Sung Yi de souligner toutefois le travail de l'animateur clé pour une mocap, compétence peut être sous-estimée par rapport à son importance au sein de l'outil.

Mais à les écouter tous, il semble qu’il n’y ait pas d’uniformisation des avancées techniques. MIFA pas loin et, encore une fois, concurrence acharnée de tous ces acteurs spécialisés dans ce produit font que cette spécialisation revêt encore d’autres spécialisations selon les capacités et technologies de leurs auteurs et acteurs respectifs. Que ne ferait-on pas pour se rendre indispensable. Les créatifs disposent d’un nouvel outil, encore un, à ajouter aux anciens effets spéciaux classiques (maquettes, maquillages, animatronics et en passant : RIP Stan – Terminator – Winston), aux VFX etc. Tout semble question de choix et d’utilisation à bonne essient, sachant qu’il apparaît que les compatibilités entre VFX et Mocap sont loin d’être systématiques et qu’un spécialiste de Mocap peut être amené à facturer un décors à la Production. Bref, le créatif a intérêt à savoir exactement ce qu'il fait avec cette bête-là s'il ne veut pas se faire dépasser par la chose, crever son budget et même flinguer son visuel. 


Un bilan, calmement


Même si le palmarès met bien en avant le très beau La maison en petits cubes, le Japon n'était pas le roi du festival cette année. Invitée d'honneur, l'Inde a certes eu sa grosse part du gâteau mais qualitativement et quantitativement ce sont des oeuvres occidentales qui auront marqué les spectateurs plus que toute autre, en particulier les quelques courts métrages francophones évoqués ici, de vrais bijoux.

Le Festival en lui-même est un modèle de logistique perfectionnée, sur une semaine seulement le programme était excessivement riche - à chaque instant il se passait quelque chose d'important quelque part - , et il fallait soi-même s'organiser correctement pour, une fois sur place, apprécier sereinement cette fête de la créativité artistique, ce que sert l'animation avant toute autre chose. Chaque technique y avait un auteur chargé de sa mise en valeur : 3D, 2D, pâte à modeler, rotoscopie, idées farfelues et autres mélanges savamment dosés (Skhizein en 2D et 3D pour ne pas le nommer). Elles ont toutes été "défendues" l'espace de quelques oeuvres projetées. La motion capture ? Elle reste encore absente, d'un point de vue artistique s'entend, mais l'existence du bon rotoscopé Chainsaw, une technique pourtant longtemps - et à ce jour toujours - décriée laisse augurer une utilisation future pertinente de l'outil.

J'ai découvert le festival pour la première fois cette année aussi ne vais-je pas me lancer dans un comparatif déplacé, simplement l'aventure Annecy vaut la peine d'être vécue en premier lieu parce qu'elle a tout d'un voyage lointain en bonne compagnie, celle d'une bande de rêveur enfin sur leur planète à eux durant cette pause étrange du continuum espace temps. Même si beaucoup de langues étrangères y sont parlées, le festival dépasse largement un cadre juste international pour devenir le regroupement d'une tribu d'extraterrestres dont l'un des nombreux rites étranges consiste à lancer bêtement des avions en papier dans les salles de ciné. Et que çui qui gagne c'est çui qui touche le plus haut l'écran. Alors le bilan du bilan ? Roissy-Charles de Gaulle aux heures de pointe sur l'estrade en fin de séance (photo).




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date
  • juillet 2008
crédits
Festivals