Beaune 2015 - Un pare-balles n'arrête pas la pluie

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Les gouttes d'eau heurtent ton front, coulent dans ton dos, te refroidissent. Mais elles te rafraîchissent et lavent tes péchés.

Les polars que l'on voit à Beaune ne sont pas ce que l'on appelle communément des « Feel Good movies ». Le sale temps y accompagne les coups durs. Comme tout est affaire de palliatif, pour qui n'est pas excessivement cinéphile, après les drames aussi assommants que consternants qui nous sont tombés dessus dernièrement : Charlie Hebdo, Musée du Bardo, crash d'avion, élections départemental' bonjour d'Albert etc, on a peut-être davantage envie de revoir des vieux Pierre Richard ou même des crétineries dans la veine overdosée d'un Fast & Furious 7 qu'un polar torturé qui te montrerait les travers détestables de l'être humain.

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                                                             A Bittersweet Life under my umbrella - ah - ah...

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                                                       Démo d'une SWAT team - plus ou moins de L.A - à Beaune.

... avec Beaune 2015, place à l'auto-flagellation ! A part quelques bribes d'oxygènes éparses on te maintient la tête dans la baignoire avec une poigne de fer, et à toi, maso, de t'en aller voir dans la fiction d'autres gens se faire tuer. Ça va saigner ! Sous la pluie, toujours, qui emporte avec elle le sang qui s'en va couler dans le caniveau après avoir nettoyé tes cornées. En hommage à la thématique initiale évoquée pour Beaune 2015, à savoir le polar coréen, la météo avait décidé de s'adapter en balançant la sauce.

Niveau Corée, soyons francs je n'ai revu aucun des films passés lors de la rétrospective. Il s'agissait des valeurs sûres que sont le très beau Bad Guy  de KKD, le tortueux Old Boy de PCW, le fascinant Memories of Murder de BJH, le hard boiled A Bittersweet Life de KJW et le craspec The Chaser de Na Hong-jin, pas encore assez célèbre pour en passer par le case initiales. Re, rhaaa, ré et réchauffé pour les quelques aficionados qui traînent sur Cinemasie, même si l'on peut jalouser les quelques chanceux qui auront pu découvrir ces perles à cette occasion. Ces incontournables accompagnaient le Sea Fog de Shim Sung-bo comme un banc de dauphins suivent à la nage le dernier ferry à la page.

Sea Fog - Les clandestins (Shim Sung-bo)


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Capitaine d’un bateau de pêche menacé d’être vendu par son propriétaire, Kang décide de racheter lui-même le navire pour sauvegarder son poste et son équipage. Mais la pêche est insuffisante, et l’argent vient à manquer. En désespoir de cause, il accepte de transporter des clandestins venus de Chine. Lors d’une nuit de tempête, tout va basculer et la traversée se transformer en véritable cauchemar…

Haemoo vente ou Haemoo du genou ?

Après une mise en place quelque peu laborieuse, arrive le rebondissement phare et à l'histoire d'enfin larguer les amarres. Un phare. Comme on ne voit point de lumière à l’horizon à cause de ce satané brouillard, suit-on les directives du Capitaine en l’absence de cap, quelles qu’elles soient ? Le meilleur du film se trouve en son milieu, au creux de la vague. Une réelle magie naît de cette folie partagée. Le mélo y existe pleinement, la mise en scène jusqu’à présent d’eau douce ne manque soudain pas de sel et l’humour noir des deux co-auteurs crève l’abcès. Parce qu’il y en a un, d’abcès, Capitaine Achab says. La métaphore un chouia grossière de cette humanité coincée dans un bateau rejoint, via un transport combiné, celle du train du Transperceneige du même Bong Joon-ho, ici co-scénariste ; et l’on se surprend à déceler dans l’écriture de cette histoire abracadabrante mais redondante – inspirée d’une histoire vraie - celle d’une pièce de théâtre pour le moins étriquée. En l’absence de vent, l’aventure ne souffle pas dans les voiles de ce huis clos où des acteurs jouent littéralement sur les planches mais pas comme des manches. Restent les fantômes de Lampedusa qui s’expriment par procuration, le sang nettoyé au jet d'eau sur le pont et cette vision absurde si typique de ce duo d’auteurs quant à une humanité qui ne trouve - c’en est déprimant - aucune grâce à leurs yeux.

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En Corée, il pleut encore et il pleut en Corée, il pleut encore et il pleut en Corée, il...

Comme dans la plupart des polars coréens, dans Sea Fog on trouve une scène de pluie. De nuit. Ca nuit ? Pas forcément mais la répétition systématique peut agacer. Lors de son intervention pour le festival, après une brève question posée sur les quotas pour faire mon kéké qui sait, j'ai ainsi demandé son avis à Yves Montmayeur, documentariste motivé, sur cette pluie omniprésente. Anecdote : hors antenne, je lui ai aussi causé de ses projets en cours, donc de vous savez qui à propos de vous savez quoi. Il m'a dit quoi et même plus que ça. Eh bah vous savez quoi ? Je resterai coi.

- … Vous avez parlé de Peppermint Candy pour introduire la nouvelle vague coréenne. A peu près à la même époque, on pouvait découvrir en France Sur la trace du serpent où l'on se plaçait davantage dans l'entertainment pur. D'un point de vue esthétique, on trouvait ce qu'on allait voir après, c'est à dire des bastons à coups de poing et ces fameuses scènes de pluie nocturnes qu'on a retrouvé dans pratiquement tous les polars de là-bas jusqu'à maintenant. Avez-vous une analyse sur la question ?

Je ne l'ai pas évoqué mais vous avez raison d'en parler, de ce Nowhere to Hide - Sur la trace du serpent. C'est un film intéressant parce que il y a cette double composante de ce cinéma-là, c'est-à-dire d'un côté une veine très réaliste, de l'autre des passages très stylisés. On se souvient notamment d'une scène de meurtre dans de grands escaliers de la ville de Séoul, au ralenti, en slow motion et sur la musique des Bee-gees ! Quand on avait vu ça, on s'était dit « waouh ! ». C'était superbe, très prenant mais curieusement placé au milieu de scènes plus réalistes de polar. Alors effectivement, il y avait cette fameuse scène dont vous parlez de combats à mains nus sous la pluie, de nuit. C'est très animal. On rejoint d'ailleurs cet aspect animalier que l'on voit dans de nombreux affrontements dans le cinéma coréen, où l'on a plus l'impression de voir des combats d'animaux que d'humains. Ça se finit parfois à coups de dents, les armes vont du marteau à l'os de mouton ; on retrouve ce côté très barbare, très primitif à côté de scènes plus sophistiquées dans la mise en scène. Cette double composante était surprenante pour nous, spectateurs, quand on découvrait ce film.

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 Nowhere to Hide : 15ième prise, CLAP ! Ok elle est bonne, vous pouvez aller vous soigner votre crampe et prendre un p'tit café !

Concernant la pluie : il pleut beaucoup en Corée. On pourrait aussi parler du cinéma indien. La pluie est aussi un vocabulaire du polar. Dans le cinéma américain, le film noir, un peu de pluie permet au héros de porter le trench-coat et sert cette ambiance propre aux polars. S'il n'y avait pas de pluie on se demanderait pourquoi il le porte, ce trench-coat ! Ça a aussi un côté graphique, en effet. Mais il pleut plus en Corée que chez nous, on est parfois dans un climat semi tropical avec cette espèce de pluie chaude etc. Ca n'est pas les moussons indiennes mais enfin, bon... je ne suis pas un expert en météo asiatique mais elle fait partie de l'environnement coréen quotidien ; ça n'a pas les résonances d'un Seven, on est sur autre chose.

En parlant d'autre chose...

... et en revenant sur l'Inde, c'est pourtant vrai qu'il y pleut beaucoup.

Sunrise - Arunoday (Partho Sen-Gupta)

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L’inspecteur de police Joshi ne parvient pas à se remettre de la disparition de sa fille Aruna, kidnappée à l’âge de six ans. Malgré les années qui passent, Joshi poursuit ses recherches désespérément. Dans un rêve récurrent qui hante ses nuits, une ombre noire conduit Joshi au « Paradise », un bar de nuit où des adolescentes dansent devant un public libidineux. Joshi est persuadé que c’est là qu’il retrouvera Aruna pour la ramener à Leela, son épouse que le chagrin a brisée.

Certains ne jouent pas le jeu de la torture expiatoire et préfèrent se tirer une balle dans le pied plutôt que de vous montrer comment elle peut faire quatre rebonds avant d'exploser la tête de votre voisin. Avec son film Sunrise, l'indien Partho Sen-Gupta joue ainsi des codes du film de genre en vogue, parasité à l'excès par notre nouveau Charles Bronson qu'est Liam Neeson – ça finit pareil, avec beaucoup de son – en nous présentant son flic qui n'arrive pas à faire le deuil de sa fille kidnappée des années plus tôt. Partho Sen-Gupta a beau y mettre du sien, il n'arrive pas à trahir sa vision de l'humanité – le pardon plutôt que la vengeance sans pour autant dénigrer le combat. Avec peu de moyens, il privilégie autant la forme que le fond pour illustrer son propos efficacement en à peine 90mn. Il en paye le prix puisque son film n'est pas spectaculaire mais y gagne une ambiance moite – il pleut aussi beaucoup en Inde -, une certaine morale bienvenue et même une naïveté touchante qui s'en viendrait supplanter un cynisme si tant est que ce sujet - l'exploitation sexuelle des mineures à Mumbai – ait été choisi pour ratisser à la fois le cinéma d'auteur et celui de genre. En choisissant de montrer son dénouement hors champs à l'aide d'ombres inspirées du cinéma allemand des années 30-40 (dixit himself dans notre entretien à venir), il assume un parti-pris engagé dès la moitié de la péloche, à savoir embrasser le point de vue de l'enfance, de l'innocence retrouvée et non celui de la vengeance, du voyeurisme, du putassier. A deux enfants, pervertis ou non, de jouer à côté d'un cadavre et de son meurtrier comme on danserait, indifférent, sur les berges du Gange. Le courant fait défiler toutes les horreurs du monde. On rejoint à cet endroit les bouquins d'un Cormac McCarthy, c'est assez bien vu. S'il pleut dehors, au "Sun" d'alors "riser" dans ta tête !

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La forme lorgne vers Nicolas Winding Refn par endroits, l'acteur Adil Hussein (L'Odyssée de Pi d'Ang Lee) porte le projet comme Lau Ching-wan drainait le Loving You de Johnnie To... toutes proportions gardées puisque le réalisateur n'a pas toujours les moyens de ses ambitions, côté genre. Face intello, la belle évolution des deux parents meurtris est remarquable et, de ce que j'en imagine, le quotidien de toutes ces enfants séquestrées à des fins sexuelles semble paradoxalement aussi bien restitué que pudique. La scène la plus forte du film en devient non pas la catharsis du père mais celle où l'on voit une gamine heureuse de se faire coiffer et maquiller par une hypocrite mère maquerelle qui lui prépare son dépucelage. A l'amie plus âgée, déjà passée par là, de se révolter et de hurler sa rage au monde entier. Message bien transmis.

Hors Asie, sur le Festival on retrouve cette veine du polar social avec le français Jamais de la vie de Pierre Jolivet. C'est un excellent cru, porté lui par l'acteur Olivier Gourmet. De son côté, le sympathique film danois Miséricorde - disponible en VOD, qui précède l'encore meilleur Profanation à venir en salle mercredi, use d'un ressort scénaristique à mon sens largement emprunté à Old Boy. La boucle est bouclée.

La cérémonie de clôture

... a commencé avec un hommage rendu à Bertrand Tavernier qui, avec un naturel confondant, a souligné que tout ça sentait le sapin mais qu'il espérait bien si possible tourner encore deux, trois voire quatre films ! C'est tout le mal qu'on lui souhaite. Pour rappel, il avait obtenu le premier Grand Prix en 2009 pour son très bon Dans la brume électrique – je m'en souviens, j' y étais.

S'est ensuivi la remise de prix.

Le Jury SANG NEUF présidé par Santiago Amigorena , entouré d’Anne Berest, Didier le Pêcheur, Philippe Lelièvre et Nina Meurisse , a décerné son prix :

Prix Sang Neuf : Life Eternal (Autriche & Allemagne).

Le Jury de LA CRITIQUE composé de journalistes a décerné les prix suivants :

Le Prix de la critique a été décerné par des magasine ciné à l'espagnol Marshland (déjà reparti avec une 10aine de Goya dans sa contrée d'origine).

Le Jury SPÉCIAL POLICE présidé par Danielle Thiery, entourée de Eric Berot, Luis Moisés, Jean-Marie Salanova, Michel St Yves et Marc Thoraval a décerné son prix :

Prix Spécial Police – re-Marshland.

Le Jury LONGS MÉTRAGES présidé par Danièle Thompson, entourée d’Eric Barbier, Emmanuelle Bercot, Stéphane de Groodt, Philippe Le Guay, Laure Marsac, Jean-François Stévenin et Elsa Zilberstein, a décerné les prix suivants :

Prix du Jury : A Second Chance (DK), ex-aequo avec Hyena (UK).

Et enfin, le Grand Prix : Victoria (Allemagne) ; à savoir un plan séquence de plus de 2h qui a fait son petit effet.

La remise du Prix Claude Chabrol 2015 - qui récompense un bon film français affilié au polar sorti en 2014 - a été remis à La chambre bleue de Mathieu Amalric.

La remise des Grands Prix du roman noir a récompensé L'inspecteur est mort de Bill James dans la catégorie polar étranger (Pays de Galle) ; et Sara la noire de Gianni Pirozzi côté français.
Comme ces deux livres sont sortis - comme par hasard diront certains - dans la collection Rivages/Noirs de François Guérif, une personnalité incontournable du Festival, il est venu en personne récupérer ces prix en profitant de l'occasion pour défendre le format poche. Fait notable : ces deux œuvres ne sont en effet pas passées au préalable par la case gros liv' qui brille. 

Conclusion sous parapluie

Laissez-moi citer un petit dialogue fort à propos du livre Créance de sang de Michael Connely, par ailleurs invité du festival Quais du Polar à Lyon ce même Week-end (et, fait amusant, Mr Tavernier vient de là-bas) :

— Tu aimes les romans policiers ?
— Pourquoi aurais-je envie de lire des trucs complètement inventés alors que j'ai le nez dans le réel et que je ne supporte pas ce que je vois ?
— Ce n'est pas le même univers. Tout y est bien ordonné, le bien et le mal sont clairement définis, le méchant récolte ce qu'il mérite, le héros brille et tout se dénoue parfaitement à la fin. Bel antidote au monde réel, non ?
— Mais rasoir.
— Non, rassurant. Et maintenant, on va où ?


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 Ainsi SWAT-il !

 
Merci au Public Système, en particulier à Clément Rébillat, pour son soutien.

Merci à la ville de Beaune pour son accueil & hello aux quelques comparses blogueurs croisés ça et là.

http://www.beaunefestivalpolicier.com

date
  • avril 2015
crédits
Festivals