Ordell Robbie | 3 | One moins One |
Xavier Chanoine | 4.5 | Une merveille absolue. La définition du 7ème Art. |
Des scènes fortes, on ne peut pas dire que ce Journal d'un voleur de Shinjuku en manque. Sauf qu'une bonne part de ces dernières fonctionneraient encore mieux prises séparément qu'à l'intérieur du long métrage. Témoignage de l'éclectisme et de la grande créativité du cinéma d'Oshima à une époque où il a largué les amarres du système de studios, le film fait penser à certains Godard mineurs: ceux pour lesquels les conditions de tournage ne sont pas arrivées à faire émerger le sujet du film et où spontané et improvisé deviennent synonymes de décousu. Deux films cohabitent ici et se rejoignent trop rarement. Le premier, c'est le tableau par Oshima de la relation de deux êtres en plein début de la révolution sexuelle. La consultation chez un professeur disséquant cette relation et la discussion sur la place du sexe dans la société sont tout autant de beaux moments de cinéma que des témoignages d'une époque où l'on commence à théoriser la libération des moeurs. Le second, c'est la captation de l'effervescence du Shinjuku de son temps: effervescence festive, effervescence intellectuelle d'étudiants se ruant en librairie, effervescence artistique des spectacles théâtraux et de rue, effervescence contestataire...
Pas étonnant que le film soit dès lors placé sous le patronnage de Jean Genet, immense écrivain au carrefour de certaines luttes -Black Panthers, Palestine- d'époque. Comme Genet jeune, le héros du film a d'ailleurs la manie de voler des livres (le Journal du voleur de Genet justement) même si la référence ressemble ici à un simple clin d'oeil, à un élément pas du tout creusé. Et ces deux films ne dialoguent vraiment que dans la scène de théâtre de fin où l'artifice théâtral permet le commentaire de tout ce qui l'a précédé. Mais le film ne convainc pas non plus totalement dans sa recherche permanente de l'audace formelle. Le passage du noir et blanc à la couleur est gratuit tandis que les écriteaux indiquant horaires ou rappelant en reprenant le titre du film que tout ceci n'est que cinéma virent au tic, au procédé. La mise en scène convainc plus lorsqu'elle tente caméra à l'épaule de se faire synchrone de l'énergie de ses personnages. L'utilisation récurrente de certaines chansons n'arrive pas à produire de vrai dialogue image/score. Plans larges et cadrages penchés montrant les personnages sans repères, perdus dans l'immensité de Tokyo fonctionnent bien mieux (même s'ils sont devenus depuis des facilités formelles à force de reprise) et la combinaison citations en voix off/plans de la jeune héroïne errant dans la bibliothèque rend compte d'une jeunesse cherchant à saisir des concepts philosophiques, politiques qu'elle est incapable de maîtriser.
Trop dispersé, le film ne transforme pas vraiment son témoignage d'époque en oeuvre cinématographiquement aboutie. Il sent le désir de cinéma, ce n'est déjà pas si mal...
Oshima dépeint en 1968 au travers d'une mise en scène malade mais fascinante, toute une génération de tokyoïtes, toute une nouvelle mouvance sociale où le sexe prédomine dans la vie de tous les jours et où l'Art répond à d'innombrables questions sur l'existence humaine. C'est un peu fort, mais Diary of a Shinjuku Thief est un film médecin et politique, aussi ravageur que malade dans sa conception, jouant constamment avec l'image et son impact auprès du spectateur. Le métrage est en quelque sorte un dictionnaire du genre, étalant tout un tas d'informations -peu utiles quant à la compréhension du récit- à la manière des grammaires que l'on donne aux gosses pour apprendre à bien écrire. Et le journal que confectionne Oshima est un formidable ouvrage pour apprendre la notion même du cinéma : des gros écriteaux pour connaître la ville, sa température, son climat, son humidité (!), la date en question, le moment de la journée, des écriteaux dans le style d'un certain cinéma japonais classique des années 50, les films de Kurosawa, Ozu ou Mizoguchi commençaient généralement sur des fonds noirs ou autres matières granuleuses. Diary of a Shinjuku Thief est-il donc le recommencement d'un cinéma? Une nouvelle façon de réapprendre ses gammes par l'intermédiaire d'un scénario dont on a que faire, dans le fond? Sans doute, car Oshima pousse le vice jusqu'à changer la police de couleur de ses écriteaux, virant du blanc au rouge saturé lorsqu'il est question d'expliquer que la libraire vient de se faire violer dans la rue. Comme un livre avec des gros dessins explicatifs que l'on donne à un môme.
L'intrigue est légère, presque facultative, simplement Oshima filme les aventures de deux anarchistes de manière documentaire, constamment caméra sur épaule, allant même jusqu'à concevoir des plans-séquences dans des établissements où les figurants le sont sans le savoir. Intéressant message social où le sexe -tabou- est commenté de façon naturelle, et heureusement, comme le sera sept ans plus tard L'Empire des sens et son impact dans l'industrie du cinéma japonais et mondial. Diary of a Shinjuku Thief propose une approche du sexe, ou de l'acte pur et simple, assez déroutante. Les séquences de viol sur la pauvre libraire contrastent avec celles où cette dernière est consentante, filmées en couleur, de toute beauté. La dernière scène d'amour dans la neige artificielle du théâtre improvisé est d'ailleurs l'une des plus belles que j'ai pu voir chez Oshima. N'oublions pas les courses nocturnes folles dans les rues de Tokyo, les chansons récurrentes et entêtantes, les deux corps prêts à faire l'amour sur une pile de livres (pyramide du savoir) écrasée sous leurs poids (l'effondrement d'une étique du savoir) démontrant sans difficulté l'anarchisme d'un cinéaste fascinant et au style débridé. Politique, social, déstructuré, déréalisé, brouillon, bancal, Diary of a Shinjuku Thief est l'un des films cultes -oubliés- de Oshima Nagisa.