Une ruine bouleversante 
C'est comme une ruine pré-historique, quelques pierres dans un champ. Ça peut laisser totalement froid, mais comme ces pierres sont parmi les premières qui ont construit le monument "Cinema japonais", comme elles sont les seules connues à dater d'avant 1900, on regarde, tremblant d'émotion, à l'unisson du film. Car ces quelques minutes sont chevrotantes, elles ont le teint brouillé d'une peau centenaire, on ne comprend pas ce qu'elles disent (un homme bouge, quoi), c'est même pas bien cadré, on peut faire chier en disant que c'est nul du point de vue cinéma, mais peut on dire que le premier dessin d'un bébé est nul? Et même, parlons cinéma : ce brouillage fantomatique des acteurs, leur démarche accélérée parce qu'ils sont décalés, d'un autre temps, les scories de la pellicule, ces couches des ans qu'on peut presque compter, cela a une beauté venue d'outre tombe. C'est à pleurer d'émotion parce que c'est là, c'est fragile, tellement fragile, si ça casse c'est une catastrophe diplomatique, c'est une copie unique, un incunable qui n'a pas de prix ("L'arroseur arrosé" a t-il un prix?), venu on l'imagine sous grande escorte comme un trésor national. En voyant le film, on pense aussi au projectionniste qui a eu ça entre les mains et on a eu peur pour lui. Si par hasard et chance vous avez l'occasion de voir ce film, vous pourrez dire : "On y était".
