Ghost Dog | 2.25 | Un OVNI exigeant |
Ordell Robbie | 3.75 | Objet surprenant |
Xavier Chanoine | 3.5 | Tout simplement prenant |
Yann K | 4.25 | A la recherche du shmilblick |
Après Tropical Malady, Mystérieux Objet à Midi confirme que les débats passionnés autour du cas Weerasethakul ont tendance à occulter ce qui en fait un des cinéastes asiatiques les plus excitants du moment. Soit on loue sa radicalité, les ponts jetés par son œuvre entre cinéma et art contemporain. Et on le proclame grand cinéaste d’avant-garde. Soit on le rejette en lui reprochant de faire un cinéma élitiste et hermétique quand on ne l’accuse pas d’esbroufe. Il est vrai que c’est par Blissfully Yours, film où primaient surtout les travers auteurisants de son cinéma, que Weerasethakul s’est fait un nom auprès de le critique française.
Mettons donc de côté toutes les pistes de réflexion théorique que pourrait susciter le dispositif brouillant paresseusement la frontière fiction/documentaire de Mystérieux Objet à Midi. Mettons aussi de côté ses caméras à l’épaule en forme de néo-académisme du cinéma d’auteur. Mettons de côté sa tendance à se reposer sur ses longs passages contemplatifs respirant la pose artiste. Car ils font oublier à quel point ce projet de cinéma est aussi un projet de cinéma populaire. D’abord parce qu’il s’agit d’un cinéma sur le peuple. Chacun des « participants » à ce cadavre exquis appartient ainsi à cette Thailande des villages, des coins reculés que le film sillonne. Et on sent là dedans un regard du cinéaste d’une profonde affection sur le petit peuple thaïlandais. La tradition orale en action que le film donne à voir est d'ailleurs tout autant quelque chose permettant au dispositif du film de fonctionner qu'un élément de la culture populaire d(')u(n) pays. Populaire, Mystérieux Objet à Midi l’est aussi parce que malgré ses longueurs il correspond aussi à une idée du cinéma populaire déjà entrevue du côté de Hk comme de Bollywood. A savoir naïveté, incapacité à reculer devant le n’importe quoi et goût du rebondissement aussi inattendu que jouissif.
Des surprises, Mystérieux Objet à Midi n'en manque pas. Surprises dans les réactions des interviewés, dans ce qui est raconté oralement ou en images, dans la manière dont les personnages le racontent. Surprises parfois hautement jouissives: les gamins qui se mettent à broder une histoire d'extraterrestres, le speech du gouvernement thaïlandais demandant aux prostituées de faire des tarifs préférentiels aux touristes américains comme gage de réconciliation avec les Etats-Unis, les personnages qui "mettent en musique" ce qu'ils racontent... Ou touchantes comme les sourdes-muettes racontant leur propre version du récit. SPOILERS Et un Apichatpong Weerasethakul ne serait pas un Apichatpong Weerasethakul sans son fameux tic auteurisant du double générique. Une amorce de générique de fin surgit donc une fois que le film a épuisé son "pitch". Mais le film continue... Remplissage que cette prolongation du film par une partie de football? Probablement mais elle est assez inattendue pour faire son petit effet d'étonnement. Et pour faire du film une oeuvre qui surprend alors meme qu'elle était censée etre déjà achevée. FIN SPOILERS Comme Tropical Malady, ce Mystérieux Objet à Midi est donc l’œuvre d’un cinéaste qui aime aussi bien la culture populaire de son pays que le cinéma expérimental. Et qui les mélange sans passer par la case postmodernité.
Ce qui s'est d'ailleurs confirmé avec The Adventures of Iron Pussy concentrant la composante « culture populaire » de son cinéma comme Blissfully Yours en concentrait le versant auteurisant. Et celui qui veut qu’on l’appelle Joe annonce déjà que son prochain film ne comportera que des animaux. On rêve déjà d’un croisement entre Annaud, Mekas et Jeff Lau. Tout en pensant qu’il en serait tout à fait capable…
Premier film/documentaire du génial cinéaste Apichatpong Weerasethakul, Mystérieux objet à midi sonne le renouveau du cinéma thaï alors guère convoité à l'époque par les festivaliers. Il faudra attendre le particulier Blissfully Yours pour que le cinéaste thaïlandais se fasse remarquer et remporte ainsi ses premières récompenses méritées. Méritées car même si l'aspect "film d'auteur et rien d'autre" sort le plus souvent de Mystérieux objet à midi ou Blissfully Yours, ils n'en demeurent pas moins audacieux, originaux et décalés dans le sens où peu de cinéastes ont osé une telle démarche. Déjà le pitch du film évoque une certaine idée de liberté à la fois de ton et de mise en scène puisqu'on ne sait jamais sur qui l'on va tomber. Le fait est qu'ici, ce sont les villageois qui font le film par leurs récits hauts en couleurs, souvent imaginatifs ou alors complètement à l'opposé du réalisme, notamment cette dernière invention des enfants, superbe de naïveté et de naturel capté sur l'instant. Un sentiment de "live" accentué par le micro du preneur de son, s'installant tranquillement devant l'objectif comme si de rien n'était, ces personnes qui rient de leurs propres récits, cette sensation d'être en face un film/documentaire vivant masque l'absence de réelle mise en scène ou de projet artistique.
Mais on s'en fiche, Weerasethakul aura tout le temps pour s'y consacrer à l'avenir, notamment avec son chef d'oeuvre Syndromes and a century, aboutissement formel et narratif à tous les niveaux, adoptant divers points de vue et niveaux de lecture qu'il en devient fascinant par ses images qui hantent votre esprit des semaines après. Cette marque de fabrique emmène Weerasethakul au rang de grand cinéaste et sûrement le plus important de son pays à ce jour.