Ordell Robbie | 3.5 | N'arrive pas totalement à concilier entertainment et ambition artistique. |
Xavier Chanoine | 4.5 | Peinture hallucinante de la jeunesse, humour et vrai regard tendre |
Cette séquence, étonnamment singulière confronte deux extrêmes des codes du yakuza. A la fois respectueux voir esclaves de leur maître, mais sans hésitation de tuer lorsqu'une réponse est défavorable, entraînant ainsi la fermeture pure et simple de leur entreprise, de leur image. Et Somai à tout compris de cet univers, il n'en ressort pas uniquement que ses boucheries et règlements de compte ridicules, il développe en grande partie le côté mélodramatique enfouit derrière une couche énorme de fierté, il développe l'amitié réciproque des membres du groupe, des frères et soeurs, mené par une "gamine" au verbe certain. Et cette superbe manière d'évoquer le milieu des yakuza est adoucie par une ambiance bon enfant qui donne tellement de charme à l'oeuvre qu'elle devient dans l'instant potentiellement culte et inoubliable. Qu'importe si les moyens sont rudimentaires, qu'importe si l'esthétique vieillotte légitime des années 80 semble donner un léger goût de tourné, la mayonnaise prend tellement bien que l'on se demande encore aujourd'hui, 25 ans après sa première exploitation, pourquoi l'oeuvre n'est toujours pas parvenue dans nos contrées. Il est donc ici question d'humour, de scénettes banales qui nourrissent pourtant pleinement Sailor Suit, cette provocation d'Izumi qui vide un vase d'eau sur la tête d'un boss du clan adverse est aussi touchante que "banale" dans le registre du gag, cette rencontre "en tête à tête" d'Izumi chez un boss pour qu'on lui rende des comptes quant à la mort suspecte d'un des leurs se termine par le supplice de la grue, cher à Kitano que l'on a pu voir entre autre dans Sonatine, mais en version plus soft cette fois-ci.
Ces séquences soft, enlevées voir carrément légères ne sont que des parties émergentes de l'iceberg, et il faut chercher dans les profondeurs sous-marines pour y trouver la perle noire. Car si Sailor Suit est avant tout une approche différente du film de yakuza, elle n'en garde pas moins son sombre éclat : lorsqu'il y a rapprochement entre Izumi et l'un de ses "membres", la scène mélodramatique se transforme en bain de sang. Lorsque l'on soupçonne le clan d'Izumi de cacher de l'héroïne, rien de mieux que de capturer la petite et de la poser sur une mine, et lorsque l'homme fou va trop loin, sa propre fille le tue. Sombre, Sailor Suit l'est assurément malgré sa musique pop et ses allures de ballade amusante. Mais ce qui saute peut-être le plus aux yeux du spectateur, c'est bien la mise en scène. C'est simple, le film est uniquement fait de plans-séquences. Une performance d'autant plus miraculeuse qu'elle ne joue pas dans le registre de l'épate, elle renforce justement le charisme intact de son héroïne, la géniale Yakushimaru Hiroko, elle renforce l'atmosphère en constante alerte et l'aspect purement dramatique qui font naître d'innombrables surprises à la fois dans un soucis de stricte mise en scène, chose qu'un plan par plan n'aurait pas pu retranscrire et dans un soucis de dramatisation totale : la séquence de soin qui vire au massacre n'est ainsi clairement pas attendue malgré ses cinq grosses minutes sans coupure. Le choc n'en est que plus grand.
Attention, Sailor Suit a beau redonner les lettres de noblesse (inédites?) au genre de part son style et ses remarquables ambitions, il n'en délaisse pas pour autant son message. La violence, cible de Somai, joue le contraste à fond. Le petite fille propre sur elle le sera toujours en fin de métrage, mais elle aura acquit l'art de tuer, Besson l'a bien compris avec sa petite Mathilda, de même qu'Asaka Morio avec sa Gunslinger Girl. Inspirations ou pas, le film est tel qu'il en deviendra instantanément culte au Japon grâce à son actrice principale incarnant à la fois la jeunesse et la modernité d'une société, mais aussi l'image d'une femme qui peut être l'égal de l'homme (d'un point de vue social) voir même de le surpasser. Et dans cette optique, Somai vise juste, questionne le spectateur sur la violence de tous les jours à la fois en codifiant à sa manière le polar mainstream comme l'on connaît tous (règlements entre clans) et la violence là où on ne l'attend pas forcément, dans la foule ou entre gosses. Ainsi, le plan final extraordinaire pose deux questions : la violence ramène t-elle à la violence même si l'on tente de s'en extirper? Peut-on réellement y échapper? Sailor Suit and Machine Gun y répond timidement pour laisser le spectateur pensif ou déstabilisé par ce qu'il vient de voir : un superbe drame romantique, parfois enfantin, violent et critique, emmené par sa géniale interprète qui n'allait pas tarder à devenir une véritable idole du pays, et le succès du film d'annoncer moult adaptations dont un remake série TV en 2006 pour les comptes de la TBS.