Ordell Robbie | 3.5 | une seconde partie un poil décevante mais toujours de haut niveau |
Xavier Chanoine | 4 | Reconversion utopique |
Cette seconde partie a le mérite d'amener la saga sur des rails zatoichiens en rendant Ryosuke aveugle suite à un combat. La perte de la vue va continuer à plonger ce dernier dans son délire de persécution: il reste de glace face à la dévotion et à l'aide prodiguées par les femmes qu'il attendrit. Un des mérites de cette partie est de véritablement porter la Uchida's touch de façon plus affirmée que la précédente: le long passage sur la difficulté à vivre d'une servante qu'on veut forcer à devenir geisha d'un soir évoque la dureté de la vie de courtisane telle que décrite dans Meurtre à Yoshiwara; le héros de ce dernier film, celui du Mont Fuji et la lance ensanglantée et Ryosuke ont en commun de posséder une arme (sabre dans le premier, lance dans les deux autres) qui est un objet/héritage sans valeur. Le maniement des armes de Ryosuke est lourd et précis, toujours mis en évidence par des scènes de combat au sabre d'anthologie (notamment un combat introduit de façon extraordinaire: Ryosuke menace des juges avec une lance soi-disant de grande valeur qu'il propose d'offrir à ceux qui veulent exécuter un membre du clan qu'il déteste, révèle ensuite la supercherie, tient tete à ses assaillants pour finalement obtenir satisfaction et se faire embaucher comme tueur professionnel par ses adversaires admiratifs). Le film se permet également de belles bouffées d'humour bienvenues et montre un Ryosuke plus redouté parce qu'aveugle (seul face à ses tourments ce qui le rend encore plus ivre de destruction). La mise en scène est un peu plus classique que dans l'épisode précédent, la seule vraie audace étant le départ final de Ryosuke au milieu d'un nuage de fumée. Un petit défaut de l'épisode est sa surmultiplication des intrigues qui donne une impression d'absence de fil conducteur ténu: l'Imamura de l'Anguille ou le Malick de la Ligne Rouge ont mieux réussi à faire des films sans véritable personnage principal mais à la ligne narrative claire. Mais ce n'est qu'un reproche mineur pour cette belle réussite classique qui, si elle ne fait pas partie des sommets d'Uchida, s'en tient très près.
A hauteur de comparaison, la seconde partie du Col du Grand Bouddha semble avoir abandonné ses idées de cinéma contemplatif pour passer à la vitesse supérieure, tout en décuplant les thèmes chers au cinéaste. L’intériorité du personnage de Ryunosuke est ici rendue plus forte parce qu’il est à présent atteint de cécité, une idée particulièrement intéressante sous forme d’échos au personnage de Zatoichi. La ressemblance n’est pas uniquement à ce niveau puisque le personnage revêtira un habit de moine, un leurre imposant un certain respect, une certaine distance face à un personnage dont il est difficile d’imaginer les capacités, à l’image d’un masseur aveugle. La force du caractère de Ryunosuke réside donc dans son apparente méditation permanente et dans ses excès de violence imprévus, une autorité spectaculaire toujours admirablement mis en scène par Uchida.
A l’image du personnage d’Osen dans l’excellent film de Tanaka Noboru, Ryunosuke semble attirer la plupart des femmes qu’il croise en chemin, avant de leur attirer des ennuis de manière presque automatique, l’aura maudite qui règne autour du personnage semblant atteindre les éléments au-delà de son intériorité. C’est ainsi qu’une femme, aimable par les soins qu’elle offre à ce dernier, est proche de perdre son enfant dans une séquence contrastant admirablement avec l’apparente quiétude du village de Kofu qui ne tardera pas à tomber sous la tyrannie d’un politique corrompu. La séquence remet alors entièrement en question le travail de Ryunosuke sur ses pulsions meurtrières, ce dernier étant sur le point de raccrocher les armes et finir tranquillement ses jours au calme avant de réviser son jugement, non pas par obligation, mais par choix : des propos qui inversent totalement la tendance et qui annulent dans l’absolu l’idée que l’on commençait à se faire du personnage. Sa reconversion n’était que momentanée car son personnage est toujours habité par le démon, motivé par aucune quête en particulier. C’est là toute l’errance du personnage dans un Japon où l’on se fait justice soit même, parfois dans la hâte. Un intéressant contraste entre la rapidité des ébats et la lenteur caractéristique du cinéma de son auteur, offrant néanmoins d’intéressants moments de cinéma, comme cette introduction en plan-séquence pleine d’hystérie annonçant le caractère parfois drôle du film.
Enfin, malgré sa structure parfois ébréchée, c’est avec plaisir que l’on retrouve les personnages du premier opus ainsi que leur évolution : la jeune orpheline est à présent une geisha presque totalement aguerrie, chantant accompagnée de son shamisen des chansons d’une infinie tristesse, parfois porteuses de malheur, suscitant toujours les ardeurs sexuelles d’un haut-placé alcoolique. Son protecteur, un vieillard ninja, apporte les touches d’humour bien venues. Plus loin, toujours désireux de venger la mort de sa belle-sœur, le jeune maître poursuit sa quête de retrouver Ryunosuke à travers différentes contrées, errant entre acte de bravoure (il risque sa peau en empêchant l’enlèvement d’une jeune mariée) et dimension plus romantique (il porte toujours un certain amour pour la jeune geisha). De son côté, Ryunosuke redécouvre les joies de se servir d’un sabre, après avoir usé d’une lance et de stratagèmes terrifiants pour imposer son respect, dans une séquence admirable, rendue tendue par la voix caverneuse de l’acteur. Un prémisse au retour aux sources.