Ordell Robbie | 2.25 | Un dimanche comme les autres... |
Xavier Chanoine | 2.5 | Agace par son bourrage de crâne. Quelques rares éclaircies |
En regardant Un Merveilleux Dimanche, on essaie de repérer ce qui pourrait etre un signe avant-coureur du coup de tonnerre dans le paysage cinématographique japonais que sera l'Ange Ivre un an plus tard. Si ce qui suit ne sera pas vraiment aussi brillant, on le trouve: une scène d'ouverture de retrouvailles à la gare contenant déjà l'art du cinéaste pour ces dernières. La suite sera moins inspirée mais pas indigne d'intéret.
Sans etre véritablement mauvais, le duo d'acteurs qui est au centre du film n'est pas vraiment brillant non plus. Une scène de base ball suggère la pénétration de l'influence américaine dans un Japon défait. Et Kurosawa porte aussi son regard vers la misère du Japon de l'époque dans un script évoquant l'explosion du marché noir. De ce point de vue, ce tableau annonce ce qui fera dire à beaucoup de critiques japonais que l'Ange Ivre était au cinéma japonais ce que Paisa ou le Voleur de Bicyclette étaient au cinéma italien. Comme dans l'Ange Ivre, les personnages d'Un Merveilleux Dimanche tentent de relever la tete au milieu d'un pays en ruines. Sauf que si l'humanisme de son film suivant sera purement kurosawaien, on est ici plus proche d'un type d'idéalisme propre au cinéma de Capra. Et c'est au fur et à mesure que ce type d'idéalisme va s'emparer du film que son intéret se met à décroitre après une première moitié correcte. L'influence n'est pas vraiment bien digérée et l'utilisation du score fait sombrer certaines scènes dans la mièvrerie.
Le comble est atteint dans la scène où les personnages revent au milieu des ruines. La mise en scène offre d'abord une théatralité du cadre associée à un rythme lent pas vraiment synchrone de l'énergie des personnages, ayant meme tendance à l'écraser. On l'aurait acceptée si le propos du film avait été pessimiste mais comme ce n'est pas le cas au final... Et ensuite lors de la scène du "concert imaginaire" le film se met à sombrer dans la facilité pour susciter l'émotion. Les gros plans sur les visages des personnages se font très longs et insistants tandis que la combinaison score classique/ampleur formelle surchargée fait sombrer la scène dans le pompiérisme. Qui plus est, il y a ce moment insupportable où l'héroine interpelle le public. Bien sur, vu la situation (scène vide de salle de concert), la théatralité de ce choix ne parait pas hors de propos. Mais le gros plan insistant associé à un discours interpellant le spectateur sur la situation des héros en l'implorant de compatir à leur sort font que tout ceci se met à sentir le chantage à l'émotion.
Le film fait désormais figure de document sur un cinéaste en train de se chercher. Pour ce qui est de digérer des influences occidentales et d'exprimer le désir d'une nation de relever la tete au milieu des ruines, l'Ange Ivre sera un essai bien plus concluant.
A la fin de Un Merveilleux Dimanche, on se dit que Kurosawa avait encore du chemin à parcourir avant de devenir le grand cinéaste que l'on connaît notamment depuis son véritable premier coup d'éclat L'Ange Ivre. Non pas que ce film-ci témoigne d'un manque d'ambitions, mais il rate la moitié de ce qu'il entreprend et lorsque le spectateur s'attend à voir une éclaircie, il se retrouve confronté à un orage. Pourtant le film débute bien et Kurosawa évoque déjà une certaine idée de son cinéma à venir avec notamment cette focalisation sur les déplacements en masse ou sur les pieds des passants -et héros, ces nombreux plans filmés en caméra embarquée et la grande utilisation d'une musique festive pour faire échos au "bruit" ambiant. Le film jouit alors de véritables espoirs pour les "pauvres" au centre de l'histoire. Deux personnes sans le sou se retrouvent le week-end pour passer la journée ensemble, mais avec peu d'argent il leur est difficile de faire quoi que ce soit. Entre les errances dans le parc à la Naruse Mikio où le temps semble s'arrêter au gré de leur marche, les parties improvisées de baseball sentant l'influence occidentale et où les gosses font tout droit penser aux petits jeunes chez Ozu, les tentatives désespérées de se distraire avec un concert de musique classique ou encore les recherches immobilières, un train-train hebdomadaire dépeint avec un certain désespoir. Kurosawa livrera une vision bien guère optimiste de la société -en reconstruction- dans laquelle évoluent les deux personnages centraux du film, encore que "centraux" est bien maladroit dans la mesure où le film se focalise uniquement sur le couple pour encore davantage accentuer la non immersion du spectateur et la grande austérité sociale : lorsque l'espoir se manifeste, la pluie tombe. Lorsqu'une vieille affiche promotionnelle vente les mérites d'un spectacle sur la Symphonie inachevée de Shubert et que le couple compte s'y rendre, l'intégralité des billets est achetée par deux gens désireux de faire du business façon marché noir. Non pas que nous sommes en présence d'un des films les plus pessimistes de Kurosawa, quoiqu'il pourrait avoir une petite place de choix entre Les Bas-fonds et le merveilleux Dode's Kaden, mais la technique employée ici tend à forcer le spectateur à ressentir une forme de compassion pour les deux acteurs. L'actrice, moyenne, n'est pas une grande figure féminine du cinéma de Kurosawa à contrario d'une Hara Setsuko que l'on trouvait plus engagée dans son entreprise de réussir ce qu'elle tentait d'entreprendre dans Je ne regrette pas ma jeunesse, ici, elle se contente de tenir compagnie à Yuzo et de nous sermonner en fin de métrage par un appel à la reconnaissance de ce dernier.
Non pas que cette ultime scène, sensée aboutir au discours voulu par Kurosawa (reconnaître ces petites gens même s'ils n'ont pas le sou) soit ratée, mais son traitement est tellement impensable qu'il plombe son propre enjeu. Dans le genre plan final culotté et marquant, Mizoguchi a fait bien mieux avec celui de L'élégie de Naniwa dix ans plus tôt ou le gros plan servait à faire ressortir toute la rage et l'envie d'Ayako. De plus, le film semble être séparé en deux parties bien distinctes, l'espoir et l'envie en première partie et les grosses désillusions en seconde amorcée par l'interminable plan-séquence dans la piaule de Yuzo, seul, perdu. Rebelote en fin de métrage où ce dernier s'improvise chef d'orchestre dans l'amphithéâtre ouvert jusqu'à demander des applaudissements avant de rentrer en scène, synonyme d'utopie et d'un certain idéalisme social motivé par la demande d'applaudissements et de sourires forcés. Trop lourdement asséné, le nouvel enjeu ici aussi passe à la trappe du fait de son traitement jusqu'au-boutiste. Mais si le film est ponctué de moments désespérants, rien de grave compte tenu de la brillante carrière du cinéaste, il contient aussi son lot de séquences intéressantes : d'un point de vue visuel, les faux décors de fond dégagent un charme fou, le dialogue entre Yuzo et Masako où ces derniers pensent déjà au futur café qu'ils tiendront est bien négocié et cadré tel que l'on croirait suivre une pièce de théâtre, la séquence de la balançoire avec la lune en plein centre est aussi un beau moment que Kurosawa utilisera à nouveau mais dans un sens absolument contraire dans Vivre. Ces quelques moments parsemés de grâce sauvent le film du ratage total, mais dans tous les cas, Un Merveilleux Dimanche ne pèse pas bien lourd dans la filmographie du sensei.