Un polar amusant
Le Gars des Vents Froids est aussi bien un polar classique dans son traitement, préfigurant effectivement le polar sixties, qu'une comédie jubilatoire où le second degré et l'ironie sont de mise. Comme une partie de cartes, les regards sont trompeurs, la supercherie est de mise, croire les copains étant une affaire délicate à un moment donné. Le film de Masumura n'a rien de très original, mais demeure particulièrement distrayant lorsqu'il s'accapare les codes du genre pour faire jouer l'ironie et la satire du milieu : défilé de gueules, poncifs à la pelle, machisme à peine exacerbé par la dégaine de Mishima qui même mauvais acteur arrive à déclencher quelques sourires bien venus, vêtu de son cuir cachant un corps nu, cheveux courts dignes du mauvais voyou, encore grand enfant dans ses responsabilités à la fois au sein du clan yakuza et face à la jeune femme qu'il aime. Le film contient aussi son lot de scènes attrayantes, comme lorsque Takeo annonce à un membre yakuza que sa fille fera les gros titres des journaux lorsqu'on la retrouvera dans un lac, la scène d'intro en prison où la cible Takeo est remplacée par une autre personne (jeu du double face ironique), l'omniprésence de la musique Jazzy annonçant les belles heures du polar de la Nikkatsu, le fétichisme pas encore trop prononcé mais bel et bien là sur certains objets : talons rouges lumineux, utilisation très poussée du téléphone annonçant de nombreux rebondissements, et une mise en scène globalement réussie à défaut d'être originale. Masumura fera bien mieux par la suite dans un registre purement formel. Mais si Le Gars des Vents Froids est un bon polar à défaut d'être marquant, on doit ses faiblesses à une trame classique convenue de bout en bout (malgré l'épisode de la contraception apportant un vent de fraîcheur à un ensemble très marqué par la présence masculine), Masumura ne prenant pas le risque d'instaurer un véritable suspense, comme lorsque dans la scène finale où Takeo abandonne sa belle pour aller chercher des vêtements pour l'enfant comme si de rien n'était, alors qu'il a les gangsters aux fesses depuis un bon bout de temps. Certes, mais on joue le jeu et on s'étonne d'esquisser quelques rires gênés face à la misogynie ultime de Takeo, face aux prières d'un yakuza ivre devant l'autel du parrain décédé et devant le jeu parfois outré d'un Mishima alternant cabotinage et mollesse, ce qui crée donc un cocktail inégal mais pas exempt de belles qualités.
un Masumura inégal mais agréable à regarder
Si Afraid to Die est un Masumura mineur, la mise en scène académique (mis à part dans la superbe première séquence du cabaret où Masumura nous invite à un feu d'artifice de comédie musicale multicolore) ainsi qu'une prestation très plate de Mishima qui manque de la dimension tragique nécessaire au role en sont les principaux responsables. Mais une fois ceci dit, Afraid to Die vaut quand meme le coup d'oeil du fait qu'un certain nombre d'éléments intéréssants du récit et de la direction du reste des acteurs compensent ces défauts. Parmi les thèmes intéréssants du film, on trouve d'abord la peur de se retrouver aux avants-postes, de choisir son camp: au début du film, Takeo (Mishima) envoie au parloir une doublure qui se fera exécuter par un envoyé de son ancien gang à sa place, un parrain envoie une doublure lorsqu'il sait que Takeo veut l'exécuter, lorsqu'un yakuza lui tire dessus, Takeo se replie lachement pour éviter le face à face. Takeo se trouve raillé pour son indécision: il est partagé entre les habitudes et le désir de se ranger, entre son refus d'avoir un enfant et son amour pour Yoshie (Wakao Ayako). Le fait qu'il donne rendez-vous à Yoshie dans une fete foraine est révélateur de son refus de prendre des décisions en adulte. Sa lacheté est à l'image du monde des yakuzas où les personnages ne s'affrontent que par kidnappings interposés.
L'autre aspect intéréssant du film est le personnage de Yoshie. A l'instar des héroines de Howard Hawks, il s'agit d'une femme maitresse de son destin, qui prend elle-meme ses décisions et réussit toujours à imposer aux hommes son point de vue. Malgré l'opposition de son frère, elle voudra s'engager avec Takeo. Ce dernier est furieux quand elle est enceinte de lui, lui paye un avortement. Mais elle refuse de s'exécuter. Quand il essaie de lui administrer une pilule, Yoshie, se doutant de la supercherie, l'avalera puis la recrachera. Elle ajoutera que de toute façon elle n'a plus besoin de lui vu qu'elle aura un bébé pour lui tenir compagnie, qu'elle pourra l'élever sans qu'il tourne mal comme son père et que de toute façon elle n'aura besoin de personne pour trouver un travail légal. Et à la fin du film, alors que le piège se referme sur Takeo, elle l'a convaincue de se ranger et de fonder un foyer. L'acolyte de Takeo est un des seuls autres personnages à oser dire la vérité à Takeo: il lui reproche de subir les événements, de ne pas se comporter en vrai yakuza, d'etre une poule mouillée et ne manque pas une occasion de le railler.
Au niveau de la direction d'acteurs, Wakao Ayako, actrice fétiche du cinéaste, est formidable de détermination. Les autres acteurs incarnent des yakuzas résignés et angoissés, bref des gangsters prosaiques. Et un cameo de Shimura Takashi en oncle de Takeo offre un moment de pure jubilation. Parmi les bonnes idées de scènes, on trouve une grève de syndicalistes marxistes brisée par des yakuzas. On retrouvera l'utilisation de la mafia par le pouvoir en place dans la lutte contre le communisme dans le Japon d'après-guerre dans les films de Fukasaku. Le look blouson noir de Mishima vaut également le coup d'oeil et participe du coté décalé de son personnage. Et le film culmine dans un final à la fois ordinaire et tragique dans une centre commercial où Takeo se débat en marchant à contresens de l'escator (belle métaphore de la fatalité).
En privilégiant le réalisme à la magnification des codes d'honneur, Masumura ouvrait la voie au yakuza eiga "réaliste". Et si Afraid to Die n'est pas du niveau des réussites majeures de cette veine, il vaut le détour en tant que film préfigurant la rénovation du genre.
Un drôle de Yakuza
Lorsque l’écrivain Yukio MISHIMA fit part de son désir de tourner dans un film, son choix se fixa finalement sur le personnage de Takeo, yakuza atypique dans un monde en plein changement.
Car les mafieux décrits par MASUMURA n’ont plus rien de bandits chevaleresques, il s’agit avant tout d’éviter de se faire tuer, et surtout de récupérer le plus d’argent possible. Cette motivation est répétée de nombreuses fois au long de l’histoire, et résume la nouvelle donne d’un pragmatisme à tout crin. Quant à Takeo, il mérite à lui seul le détour : vêtu en permanence d’un blouson de cuir très « mauvais garçon », il fanfaronne sur son statut de tueur par nécessité, mais se comporte surtout comme un lâche qui fuit l’adversaire et a même la sainte horreur des piqûres ! Son ami d’enfance et associé cherchant lui à quitter le milieu et se ranger pour une vie normale. Les adversaires du clan rival ont aussi leurs points faibles, à commencer par le chef qui doit veiller à la sécurité de sa petite fille.
Le caractère le plus affirmé, et ce ne sera pas une surprise avec le cinéaste, est encore une fois la jeune femme qui sait tenir tête aux hommes empêtrés dans leur démonstration stérile de virilité, et déjouer leurs plans prévisibles.
MASUMURA sait insuffler une bonne dose d’humour à cet ensemble par ailleurs sans aucun temps mort et qui voit se dérouler une intrigue de base classique de façon très limpide.Ainsi cette vision improbable du tueur sur des chevaux de bois, ou un vieux yakuza qui passe son temps à siroter du saké, le décalage est présent par touches discrètes mais efficaces.
Si Ayako WAKAO, actrice principale et muse du réalisateur est parfaitement crédible dans ce portrait de femme déterminée, la prestation de MISHIMA démontre surtout une volonté de « faire l’acteur », soit s’accorder une récréation entre deux œuvre littéraires. Il sera plus convaincant dans ses prestations suivantes (surtout le rôle du samouraï assassin du TENSHU ! de Hideo GOSHA en 1969) mais force est de reconnaître qu’il s’en tire bien, sa difficulté à jouer les scènes tendres étant inversement proportionnelle à sa jubilation à distribuer des coups ! Et il peut s’offrir à de multiples occasions le luxe d’exposer son torse alors déjà sculpté par la musculation…
Le reste de la distribution permet de retrouver un Takashi Shimura dans un personnage de second plan et toute une bande de tronches idéales pour l’emploi.
Yakuza-eiga de très bonne facture, ce petit film dans l’œuvre de MASUMURA renouvelle pourtant le genre et instaure un climat d’étrangeté autant dû à son héros principal qu’à celui qui l’interprète.