Ce qui est intéressant avec Okamoto Kihachi, c’est la facilité avec laquelle il réussit constamment à se démêler des genres les plus diamétralement opposés. L’un des cinéastes les plus virtuoses de sa génération (qu’on semble oublier au profit des grands noms habituels) s’amuse avec Age of Assassins à torpiller l’image du samouraï ténébreux ou du bel homme incarné par Nakadai Tatsuya chez Kobayashi ou chez Naruse, passe de la comédie au polar le temps d’un raccord bien pensé, évoque l’univers baroque d’un Suzuki Seijun par ses personnages aux traits surréalistes (comme ce scientifique désirant faire un plus gros coup que les nazis) et son énergie virevoltante, et démontre s’il le fallait encore sa capacité à renouveler ses formes et sa vision propre du cinéma. Age of Assassins, c’est du pur cinéma, un objet improbable et pas résumable pour un sou qui se suffit à lui-seul parce qu’il n’attend pas cent-sept ans pour faire exploser sa générosité à l’écran. Sorte de James Bond passant par tous les états (binoclard mal fringué et vieillot, gentleman au service de ces dames, soldat improvisé), Nakadai incarne avec talent Kikyo, personnage multi-facettes, joyeux drille un peu gauche devenant « l’homme à abattre » pour la pierre précieuse insérée dans son épaule, et objet de tous les fantasmes d’un fou-furieux aux tendances délicieusement inhumaines.
Le film donne d’ailleurs le ton en débutant dans un repère (servant également d’asile) situé dans les limbes d’un esprit farfelu, l’extrême blancheur des lieux et la folie se dégageant d’un tel endroit nous laissant supposer qu’on est d’ores et déjà tombé dans les mailles du filet d’un somptueux pêcheur et qu’il sera difficile d’en sortir. Second acte, changement radical d’univers, bien venu dans le Japon contemporain tout ce qu’il y a de plus banal. Sauf que le personnage de Nakadai ne l’est pas, tout comme ceux qu’il sera amené à rencontrer au grès de ses mésaventures, on pense notamment à Otomo Bill, voleur de voitures. On notera la pertinence de son nom et prénom. Le vol du tacot de Kikyo donne d’ailleurs lieu à l’un des grands moments comiques du film, par le gag du « pet » du pot d’échappement (la voiture pourrait même être considérée comme un personnage à part entière) et l’attitude sidérante du voleur alors transformé en donneur de leçons. Le monde à l’envers. En jouant sur les codes archétypaux du genre, comme avec ces personnages féminins sournois, ces séquences de fusillade gentiment délirantes ou d’autres plus ancrées dans une veine amoureuse (ou comment un sauvetage se mue en piège à loups, une probable scène d’amour en chorégraphie mi-étouffante mi-burlesque), Okamoto Kihachi cisèle un bien bel objet, dont la portée dépasse celle du simple divertissement écervelé, le cinéaste échappant au piège du conformisme en poussant sa mise en scène vers de petites expérimentations formelles astucieuses, dynamisant parfaitement une narration de type « aventure et espionnage à la British » par des raccords mastocs (un mort, un raccord sur un paquet de viande) et une grande utilisation du noir et blanc, rehaussée par des personnages savoureux et un rythme soutenu.
Réalisé après Le Sabre du mal et Samouraï, excusez du peu, Age of Assassins se niche avec le plus grand des naturels parmi ces jolis morceaux de bravoure, sans rougir pour autant de la comparaison. L’art du divertissement bien fait, sans une seule once de cynisme face à son sujet, Okamoto prouve une nouvelle fois sa grande maîtrise des genres. Sans doute est-il moins expérimental qu’un Oh! Bomb, moins féroce qu’un The Elegant Life of Mr. Everyman, mais une œuvre d’une telle générosité mérite à coup sûr le coup d’œil.