Sombre tranquillité
Adapté librement du roman autobiographique de Oe Kenzaburo, proche de Itami Juzo, A Quite Life et son titre d’une délicieuse ironie, est l’une des dernières réalisations du sulfureux cinéaste Itami Juzo, deux ans avant qu’il ne disparaisse. Bien que le cinéaste semble s’être assagit avec Le Grand malade réalisé deux ans plus tôt, et que le caractère résolument sage du postulat de départ annonçait le film consensuel grand public que tout le monde attendait (y compris les yakuza ?), le cinéaste réussira à envoyer quelques sérieuses piques à la société japonaise d’époque, donc d’aujourd’hui, dans un récit très libre, tantôt réaliste, tantôt complètement foutraque.
Très contemporain dans sa thématique, plus champêtre et irréelle dans sa narration et ses images qu’on pense parfois sorties d’un conte, notamment cette lumière chaleureuse qui perfore l’entrée de la maison de la famille de Maa et son frère Iiyo le temps de quelques scènes magnifiques et assez dures. Mais le plus intéressant est d’aller voir du côté de la structure même du film. Si A Quiet Life semble se contenter de raconter les aléas d’une famille plutôt bourgeoise à travers le regard attentionné et généreux de Maa (ou Maachan), et quel regard, il préfère plutôt basculer petit à petit vers une drôle d’inquiétude, vers un malaise qu’on trouverait impensable au départ. Car si le handicap de Iiyo est bien là, il n’est au départ jamais ridicule, à peine est-il traité avec le regard interloqué d’un cinéaste capable de tout filmer. Mais dès lors que le film chamboule sa ligne directrice, cette fameuse vie tranquille laisse de côté son approche typique d’une autobiographique par la grande présence de la voix off et le portrait bien ciselé de chaque personnage, pour verser dans le déballage des maux de l’apparente très propre et respectueuse de la société nippone.
A Quiet Life est d’ailleurs divisé en plusieurs parties plus ou moins distinctes, mais le film partant dans tous les sens assez vite le résultat n’en est que plus déroutant. Au départ chronique familiale avec ses moments chaleureux, le personnage de Maa rassemblant tous les gimmicks que pourrait avoir une jolie jeune fille en herbe japonaise pédalant à travers la campagne nippone, dans sa représentation la plus pure au cinéma, l’histoire opte pour une tournure plus sérieuse avec une poignée d’intrigues glauques (la recherche du pédophile) pour s’orienter vers une quête politique impliquant le gouvernement polonais, pour enfin finir par une intrigue autour d’un étrange maître-nageur se prenant d’amitié pour Iiyo et d’amour pour sa sœur.
Une structure très libre et parfois confuse qui prouve néanmoins combien Itami Juzo reste un cinéaste imprévisible, capable de faire rire aux éclats comme de déranger. Mais toujours avec ce sens de l’impitoyable dérision chère à sa ligne de conduite depuis Les Funérailles, brûlot comique toujours formidable. Entre ces deux voisines du village suspectant Iiyo d’être le violeur du coin à cause de son handicape ou encore cette adolescente lui criant « attardé ! » parce qu’il eut le malheur de s’évanouir sur elle dans un train bondé, lequel à-terre sera enjambé par tout un tas de salarymen, le mal peut tout aussi bien être dans les yeux d’une jeune adolescente que dans ceux d’un maître-nageur aux idées plus que suspectes. Des idées déjà retranscrites avec une douce impertinence dans le cinéma de Itami Juzo. Et comme on en a l’habitude, le cinéaste n’oublie pas de proposer du cinéma avec des variances de climat hallucinantes, comme ce flashback pour revenir sur le passé du personnage du maître nageur qui survient alors que le film semblait tout droit parti pour rester au chaud dans un cocon d’espoir et d’amour. Simple, presque très accessible d’apparence, A Quite Life, à l’image de son créateur, cache bien son jeu.