Vraiment trop inégal malgré la bonne volonté
Entre comédie grotesque et film à message profond, The postmodern life of my aunt hésite bien trop sur son sujet pour convaincre pleinement. Cette constante recherche de thèmes (l'adolescence foirée, la vieillesse assommante, le manque de confiance, les bouleversements économiques du pays, etc...) plongent le film d'Ann Hui dans l'approximation et surtout le survol de ces mêmes thèmes, impossibles d'être traités comme il se doit en moins de deux heures. Pourtant le programme d'entrée est alléchant, cet esprit hystérique, cette vieille dame interprétée par la géniale Siqin Gaowa, cette succession de scénettes qui n'apportent pas grand chose au récit mais qui ont le mérite de le pimenter, Chow Yun-Fat récitant une chanson comme un acteur d'opéra chinois traditionnel, et surtout, l'élégante présence du score signé Hisaishi, une nouvelle fois merveilleux. Mais qu'est-ce qui ne fonctionne pas? La tendance à la répétition? Le "laissé allé" de la narration sans gros soubresauts? La monotonie d'ensemble qu'un Chow Yun-Fat des grands jours peine à masquer? Difficile de répondre clairement car même si l'oeuvre d'Ann Hui se repose constamment sur ses lauriers, un certain charme s'y dégage. Le caractère très volupté des décors, la photographie chaude et pimentée comme une soupe Pékinoise E17 que l'on trouve sur tout bon menu gastronomique asiatique qui se respecte, le charme fou de certains personnages sortis tous droit de l'esprit bancal de Li Qiang (comme cette jeune rebelle au visage à moitié brûlé (dont la maladie n'est pourtant à aucun moment justifiée), cette voisine qui court toujours après son chat, un Chow Yun-Fat opportuniste et piégeur/amoureux, une Vicki Zhao particulièrement dégénérée...), à l'origine cette alchimie aurait pu fonctionner bigrement, mais le fait qu'Ann Hui survole son oeuvre en se reposant sur ses jolis acquis accentue l'aspect flemmard de The Postmodern life of my aunt, qui fait son boulot sans y apporter la touche qui fait/fera la différence.
Poli et lustré jusque dans les moindres recoins, subsiste alors le fond d'un propos social à cheval entre réalité pure (une Manchourie d'une pauvreté écoeurante) et un mécanisme de drama de base pas franchement bien venu : la relation qu'entretient Ye Rutang avec sa fille Dafan (Vicki Zhao) est l'un des grands clichés du cinéma mélodramatique (une fille qui reproche à sa mère de ne pas s'être assez occupée d'elle) et à aucun moment on ne ressent la moindre pitié pour l'une d'entres elles. Le ratage de certaines séquences est aussi impardonnable, comme lorsque notamment Pan (CYF) et Ye tentent de cacher le chat de la voisine qui rode dans les parages, et que ce fameux chat meurt d'étouffement sous une couette sensée masquer ses miaulements. Ann Hui sort alors le grand jeu avec le cadavre du chat mort par accident cadré et occupant tout un plan (sous la musique d'Hisaishi) et pourtant, l'impact émotionnel suscité par ce décès accidentel ne se ressent que bien plus tard, lorsque Ye enterre sa dépouille. Pourquoi cette séquence n'est pas larmoyante dès le début? La faute à un traitement "larmoyant" trop en décalage avec l'action au moment clé, ou alors peut-être à un trop grand mélange des genres guère maîtrisé par son auteur. Et ce traitement "rapide" se ressent aussi au niveau de certains personnages qui prennent une place dominante dans le récit en début de métrage, ensuite éclipsés pendant une heure et qui reviennent comme par magie en fin de récit, comme pour palier le manque de fond d'une oeuvre alors en essoufflement permanent, malgré l'ambiance parfois féerique qui s'en dégage. Trop inégal pour tenir la distance face au cinéma de genre coréen ou de Chine populaire, bien aidé par un plan final poussif comme jamais, The postmodern life of my aunt est un métrage qui s'oublie très rapidement, et ce malgré le superbe score de Hisaishi Joe, et la performance toute en rondeur de deux vieux qui croquent la vie à pleine dent.
Mémé déphasée
Pourquoi l'échec du dernier film d'Ann Hui et sa non-présence dans aucune sélection d'aucun Festival? Parce qu'il n'est pas très bon, tout simplement. Malgré son casting alléchant et le matériel originel relativement bon, Ann Hui n'arrive pas à tirer son épingle du jeu. Ses visuels raffinés et recherchés; ses personnages pleins de bonhomie et les décors ne réussissent jamais à transcender le relatif ennui de l'ensemble. L'œuvre, dans son ensemble, épouse le rythme d'une vieille dame, certes sympathique, mais trop posée. Une œuvre tranquille et pépère, mais trop empreinte d'un ton désormais dépassé. Du coup, même les quelques inserts d'une Chine en pleine évolution économique semblent comme plaqués par rapport à la foison de films actuels à sortir d'auteurs plus jeunes et plus inspirés…
Reste l'immense plaisir de retrouver dans l'un des rôles principaux un Chow Yun-Fat pétillant, fidèle à lui-même et qui – lui – réussit justement à transcender son image de "vieux", à croquer la vie à pleines dents, à en user et abuser. Sous son impulsion, le film prend finalement vie – mais pour mieux le délaisser et de virer vers une tragédie peu inspirée, trop dramatique, prompt à vouloir soutirer des larmes faciles…
Elle la trouvera, sa seconde jeunesse, Ann Hui!