Twist d'enfer
Si Bollywood se caractérise par son entracte coupant deux parties distinctes d'un même film de 3 heures, alors
Baazigar en est la quintescence tant les directions du récit divergent radicalement et soudainement après un twist d'anthologie. Romance mignonne et planplan d'un côté, stratagème machiavélique de l'autre ; bonne humeur et blagues potaches d'un côté, sang et suspense de l'autre. Le seul lien entre les deux ? Un Shahrukh Khan qui joue (encore !) sur deux registres opposés, gendre binoclard modèle au début, fou furieux à la fin.
Assurément un des meilleurs films du tandem Abbas-Mastan.
Ils n'ont peur de rien
La scène musicale ou le "héros" apparait sur son cheval blanc, masqué, habillé comme Zorro est un moment d'un kitsh incroyable, une séquence impensable dans un film occidental...
Who's Bad !
- Mais qui est cet homme apparaissant, dès la première chanson, comme l'amoureux idéal, le parfait fiancé, l'irresistible gendre ?!
- L'enfant de l'introduction qui assiste impuissant à la folie de sa mère, alors pauvre et endeuillée.
Le climat ne restera pas donc. Impossible. Quelque chose va se passer au moment de l'intermission.
Ainsi, "Baazigar" s'avère construit, comme beaucoup de films indiens pourrait-on me répliquer, en deux parties. Oui, mais ce film consacre tout de même une différence des plus notables entre celles-ci. Le romantisme, la charmante comédie (Johnny Lever est de la partie) ne vire, en effet, pas au traditionnel dramacomique mais au thriller parfait. Macabre, irrevérencieux, brut, violent, possèdant son lot de soupsons, de révélations, de prises de conscience, l'ensemble évitant des plus adroitement un manicheisme potentiellement plombant.
L'homme (Shahrukh Khan, parfait) dévoile enfin ses desseins, tombe le masque pour le plus grand plaisir du duo Abbas-Mustan à la réalisation qui livrent avec "Baazigar" une tuerie formelle ("Baadshah" en 1999, en sera une autre même si à moindre degrès). Cette partie leur permet, en effet, d'étaler leur maitrise du cadre, de mettre en valeur un découpage précis dénué de tout raccolage et effet inopportun.
Le traitement de l'histoire se révèle, quant-à lui, sans concession. Vicky s'avère, en effet, prêt à tout afin d'assouvir sa vengeance. Son jusqu'au boutisme ne se trouve, néanmoins, aucunement montré du doigt, dénigré par une réalisation qui souligne avec précision chacun des méticuleux gestes du héros (la scène où Vicky met ses lentilles en est un exemple propre), par une caméra mettant en avant autant ses exactions que sa détresse. Le pourri reste avant tout un humain, c'est ainsi qu'il doit être montré, aucun jugement de valeur ne doit être fait. Ce positionnement s'avère le même en ce qui concerne le père. Il nous appartient de choisir notre camp, même s'il est vrai que celui de Malhotra apparait comme plus flamboyant et cinégénique.
A noter, l'excellente et remarquable partition du prolifique Anu Malik (récompensé pour l'occasion) qui finit de placer le film dans une atmosphère pesante, tendue. Un score des plus prenants.
Mené excellement de bout en bout, jusqu'à la fulgurance dantesque de la scène finale, "Baazigar" se présente comme l'un des plus beaux moments de cinéma. Vive Abbas, vive Mustan.