Cure de jouissance
De tous les réalisateurs coréens qui ont eu leur reconnaissance en France, aussi petite soit-elle, peu d’entre eux ont su bouleverser leur style film après film. De tous les styles et genres abordés, deux se sont assez clairement dégagés du lot, de par leur faculté à aborder un nouveau genre avec aisance sans toutefois atteindre la maestria d’un Bong Joon-Ho. Kim Ji-Wun d’abord et Ryu Seung-Wan. Ce dernier fait partie de ces cinéastes qui tournent régulièrement sans toutefois afficher une ligne directive claire. Entre films de bagarre, films de potes, pastiche du film d’espionnage, voilà que le cinéaste aborde le film criminel avec un ton qu’on n’attendait pas forcément. De même, qui aurait pu dire qu’on tiendrait là l’un des meilleurs films coréens de l’année ? Explications de cette grande réussite artistique.
Comme son titre l’indique,
The Unjust, c’est l’histoire d’un mec accusé injustement d’un meurtre qu’il n’aurait pas commis. Postulat de départ intéressant car instaurant d’entrée le doute sur la culpabilité ou non du type. De par son apparente fragilité, il peut être la victime parfaite ou le pire escroc. Manipulé par un type adepte du chantage sadique, confié entre les mains d’inspecteurs violents et d’un procureur mégalomane, le principal suspect est au centre d’une enquête qui virera tôt ou tard à la zizanie la plus totale. Car
The Unjust enchaîne les rebondissements, conspirations, coups-bas et les fausses pistes avec un naturel déconcertant. Ce n’est même plus un enchaînement mais une avalanche, le réalisateur s’amusant à rendre l’enquête atrocement complexe à un point où l’on ne sait plus clairement où l’on va et où la narration s’étale. Du moment que chacun terminera l’enquête avec une jolie promotion à la clé.
Sujet classique ? Il y a un peu de ça. Mais quelle énergie foutraque, quel défilé de (grandes) gueules irrésistibles, les plus salasses d’entre elles semblent être tout droit sorties d’un grand saladier estampillé « enfoirés ». Au sommet de cette belle et sombre montagne, Ryu Seung-Bum incarnant le procureur Joo-Yang, acteur proprement génial, contenu tout du long mais explosant lorsque rien ne va pour lui. Sa gorge en fera souvent les frais, désamorçant son apparente puissance. A l’image de l’inspecteur infiltré Choi (Hwang Jung-Min), tous deux cachent de véritables faiblesses lorsque la réussite n’est pas au rendez-vous, témoignant de leur côté gentiment pathétique, loin de leur apparente robustesse. Tout n’est ici qu’affaire d’apparence, de considération de soi, alors qu’une affaire grave se joue. Et ce jeu de petit malin, tout le monde va s’y prendre les pieds et le regretter. Au spectateur de prendre un malin plaisir devant cette véritable pièce de théâtre aux allures de tragédie grotesque, terrifiante de noirceur lorsqu’elle n’est pas tout simplement hilarante.
You belong to the city
Issu du CR de Beaune 2011
"You Belong To The City" (
clip) est l'un des nombreux tubes qui émaillèrent la série
Miami Vice produite par
Michael Mann, réalisateur référent en matière d'esthétisme urbain au ciné.
Je n’avais pas ressenti ça depuis… un bon bout de temps. C’est un polar, un vrai, ample, épique, rempli ras la gueule de vrais personnages, avec un scénario en béton armé soutenu par un discours à l’envergure urbaine vertigineuse gueulé depuis le toit du plus haut building de Séoul. L’enquête, tout le monde s’en cogne à part les braves citoyens devant leur télé qui se demandent : qui ? Qui peut bien être ce salaud qui tue des petites filles dans notre grande ville ? Le coupable, nous, on s’en fiche et le réalisateur également, ce qui est intéressant et sacrément jubilatoire c’est de voir cette ribambelle de sales types : flic, mafieux, promoteur, procureur, s’affronter autour de l’affaire, qui pour une promotion (pas le promoteur), qui pour un contrat immobilier (ok), qui pour sa tranquillité, le tout sur le dos d’un pauvre gars qui, à cause d’eux, laissera femme et enfant sur le carreau d’un bitume ensanglanté. C’est qui qui va aller en taule ?
On papote, on écoute, on manipule, on évalue, on jauge...
Le mètre étalon en matière d’imbrications humaines en milieu urbain restant en ce qui me concerne
The City Of Hope de
John Sayles, je m’y suis d’abord référé pour ensuite m’en affranchir, passer par du
King Of NY d’
Abel Ferrara, du
James Hellroy et finalement trouver une identité propre au métrage. La tonalité du
The City Of Violence de ce même
RYU Seung-Wan n’est pas trahie : on reste dans ce cadre muy macho, cours de récré, où des adulescents se mettent sur la gueule pour montrer qui qu’c’est qu’est l’plus fort. Puéril ? Oui, mais allumons notre poste de télévision, regardons les informations, examinons le comportement de nos grands chefs : c’est le cas, systématiquement. Le jeu a évolué, les méthodes employées diffèrent, mais l’enjeu reste le même : "qui qu’c’est qu’est l’plus fort". A nous de nous bidonner devant ce jeu de massacre hilarant, chargé en humour noir, où, selon les situations, le rôle de dominant / dominé s’inverse. Et lorsque l’on voit un flic ripoux envoyer paître un procureur pour ensuite, piégé, se prosterner devant lui, on peut sans peine imaginer les jeux auxquels se sont adonnés et s’adonnent toujours deux figures majeure du PPF actuel (paysage politique français).
Le métrage bénéficie d’un bon crescendo, notre appréciation des personnages change au fur et à mesure que ceux-ci font des choix, bifurquent, relancent de dix pour voir, bluffent ou tentent l’acte sincère pour avancer. Fascinant. La forme, brillante, porte le projet assez haut : la narration est d’une fluidité exemplaire, la musique de
CHO Young-Wook (
Thirst) originale, parfois Carpenterienne (j’adore !), et la photo de
JEONG Jeong-Hun (les
PARK Chan-Wook,
Antarctic Journal…) juste somptueuse, en particulier lors d’une mémorable longue scène nocturne...
... sur laquelle aurait dû se clôturer le film, parce que quelques ultimes rebondissements vraiment dommageables viennent ternir le tableau en plus de le rallonger inutilement. C’est frustrant, parce qu’en s’arrêtant plus tôt au milieu d’une énième boucle de chassés-croisés on aurait obtenu un polar juste parfait. Nos turpitudes sont sans fin, la magouille appelle la magouille, la haute sphère de la grande ville est pathétique et les hommes, les vrais, se font injustement dessouder dans l’indifférence générale. Cela a déjà très bien été illustré ailleurs mais voilà un autre bon film à ajouter à ce panier à salade, qu’un twist malhonnête empêche malgré tout d’être grand. On y était presque : l’inspecteur Choi, joué par l’excellent
HWANG Jeong-min, et le procureur Joo-yang, incarné par
Ryu Seung-beom, par ailleurs frère du réalisateur, sont des personnages cultes en diable. Et pour longtemps.
... puis on fait semblant d'enquêter et on tire dans le tas.
La fin justifie le film !
Les polars coréens ... une longue histoire et surtout un ton et une manière de faire qui tombe très souvent juste (sans jeu de mot)!
The Unjust est un polar noir, entre mafia locale et justice policière, vengeance et règlement de comptes, The Unjust est un bon film, sans être un incontournable pour autant. Ce qui remonte en revanche l'intérêt du film est l'orientation que le scénario prend à la fin du métrage... Ca vaut la peine. Ici Paris, à vous les studios !
Altère égo
Curieux. Alors que la Corée semblait avoir fait le tour des polars avec flics marginalisés, mais bons contre supérieurs corrompus ces derniers temps pour creuser le revenge movie pur et dur, Ryu Seung-wan prend tout le monde par surprise avec ce scénario hyper alambiqué. Ryu, surtout connu pour ses scènes d'action avec "Arahan" ou "City of violence", qui semble emprunter la même voie avec son intro explosive et parfaitement maîtrisée avant d'enchaîner par…deux heures de blablatéries et tergiversations dans tous les sens. Une histoire incroyablement bien ficelé, même si trop tortueux parfois et – comme toujours – trop long d'une bonne demi-heure.
En même temps, le film lui permet d'explorer à fond les confins de sa mise en scène. Là encore à contre-courant total de la plupart des productions actuelles, il propose une image terne, quasi granuleuse avec un découpage très peu dynamique, qui ne cesse de jouer avec les différentes profondeurs de champs. Parmi les premières techniques enseignées dans les écoles de cinéma, ces profondeurs ont pourtant été plutôt délaissées au cours de ces dernières années pour aller soit dans des cadrages épurées, soit dans la surmultiplication des plans; ici rien de tel, Ryu n'arrête pas d'isoler ces personnages par la "netteté" et de travailler ces cadres pour enfermer les uns et donner de l'espace aux autres. Un procédé, qui rajoute encore davantage dans l'austérité déjà ambiante du propos.
Bref, une vraie curiosité dans la filmographie de son réalisateur et l'actuelle cinématographie du pays, mais totalement réussi, mais qui démontre une fois de plus l'intelligence, le talent et – surtout – le courage d'un réalisateur, qui aime profondément le cinéma et trace le sillon au gré de ses envies.