Ordell Robbie | 3.25 | Film de trop |
drélium | 4.25 | Une bien belle gourmandise. |
El Topo | 4 | Nakagawa/Poe, tandem de choc |
A quoi servent les deux couches narratives de cette adaptation du Chat Noir de Poe par Nakagawa? A pas grand chose malheureusement. Le brio formel n'est certes pas absent des passages en noir et blanc au présent mais il est justement limité par le noir et blanc. Nakagawa ne peut en effet déployer pleinement son talent de plasticien que dans la couleur. Qui plus est, si l'usage de musique dramatique et des "apparitions" pouvaient suffir à effrayer le spectateur de l'époque, ce n'est malheureusement plus le cas en 2005. La faute à un double recyclage: celui de l'admirateur Nakata avant que ses pilleurs n'assèchent les procédés. La partie en flash backs est elle en couleurs et est du Nakagawa à son meilleur. Jeux sur les ombres, superposition d'images se déploient pour donner toute leur force aux apparitions fantomatiques du film. Le travail sur la couleur est digne des meilleurs moments de Nakagawa plasticien. Tout juste a-t-on à déplorer des allers-retours de caméra agaçants de systématisme et une interprétation parfois cabotine. Une partie qui ferait un excellent film d'horreur à elle seule. Dommage que le film s'achève dès lors par une fin faisant pièce rapportée.
Après une ouverture nocturne dans un hôpital, aussi froide que prometteuse, par un plan séquence original et audacieux sur un ton très typé Giallo à la Argento et un joli noir et blanc lisse et clinique, survient déjà un premier flash back présenté façon "Twilight zone" qui nous invite à découvrir une maison hantée précédée d’une arrivée en voiture étiquetée "Shining sans moyen". S’en suit le passage obligé de la découverte du lieu maudit et tout ce qui fait bien comprendre que cette maison n'est pas nette, dans un style narratif rappelant tous les clichés inhérents aux belles heures du genre et d'Allan Poe en particulier, avec pour appui un noir et blanc granuleux et contrasté adéquatement couplé aux gémissements symphoniques de violons poussiéreux et une caméra curieuse de créer des plans d’ambiance chargés en mystère et en saleté. Il n’est pourtant pas question de trop s’attarder et de rester statique. A peine le pas du portail passé, une Sadako centenaire, qui elle ne se fait pas attendre 45 minutes minimum avant de frapper, commence à traîner sa carcasse dans la demeure et à persécuter la femme du médecin lors d'apparitions des plus convaincantes, reléguant les gamins fantômes modernes au rang de jeunes pousses.
Par le biais d’une vieille mémoire pieuse du village, le film nous mène alors vers son deuxième flash back dans un passé féodal bien plus lointain encore. Dès lors et à l'inverse de la logique conventionnelle, ce film dans le film passe à la couleur par un fondu sur des fleurs blanches qui ouvrira et refermera de très belle manière ce chapitre le plus conséquent. Par son hystérie et son orgueil caricatural, le maître de la demeure annonce parfaitement l’ambiance plus décalée et fantasmagorique encore qui va terminer de mener cette ghost story vers quelques sommets créatifs sans négliger un instant la crédibilité de son ambiance et le soin apporté à ses cadrages d’autant plus flamboyants que les couleurs y jaillissent avec générosité. Au cœur d’un jardin et d’une maison aérés, propres et paisibles, typique du Jidai Geki en somme, la folie meurtrière s’insinue peu à peu. Les apparitions des esprits singuliers qui peuplent un à un la maison, le chat fantôme et ses possessions à la gestuelle précise et désarticulée directement tirée du théâtre traditionnel, sa magnifique présence, ses pouvoirs de "Puppet Master", l’inévitable escalade vers la tragédie macabre collective, les inventions visuelles comme les surrimpressions de visage géant dans le décor nocturne, les cadrages qui s’échappent pudiquement à chaque moment d’insoutenable violence, le sang qui infiltre les murs, tout dans ce chat fantôme contribue à l’enthousiasme et balaie les préjugés sur ses quelques approximations (d'interprétation avant tout), son âge certain et son budget très serré. Le chat fantôme déborde d'idées créatives et généreuses.
Nakagawa réussit au final un véritable tour de force surréaliste qui n’est pas sans rappeler dans ses instants les plus fous le chaos d’un House tout en s'installant dans un contexte stricte de production, (presque) conclu par un duel au sabre à peine montré qui continue de jouer sur les ombres, les passages agonisants des protagonistes et se termine par un magnifique travelling s'échouant sur les fleurs blanches de départ, puis concluant (réellement) par un autre final grandguignolesque qui détruit tout dans un joyeux lacher de poncifs. Un bien bel objet enthousiaste et généreux, tout autant classique, engoncé et désarticulé à la fois, qu'envoûtant, anticonformiste et libéré.
Adapté du fameux Chat noir d'Edgar Allan Poe, The Black Cat Mansion présente une structure inhabituelle chez Nakagawa Nobuo. A la linéarité dont le réalisateur est coutumier, s'oppose ici l'enchassement de trois niveaux de temporalité. Au départ, un médecin dans un hopital aux lumières éteintes qui entend des pas dans l'obscurité, puis le récit d'une expérience surnaturelle vécue par ce dernier six ans plus tôt dans une maison à la campagne et enfin, l'histoire sanglante et tragique de cette maison, laquelle remonte à plusieurs siècles.
Cela n'est pas anodin car à ce jeu de flashback relativement congru dans le cinéma moderne Nakagawa inflige un traitement pour le moins singulier. Bien conscient du peu d'intérêt que recèlent les deux premières « couches » (celles qui sont les plus proches de nous dans le temps), il ne cherche pas à duper le spectateur et renverse la logique habituelle du procédé. Là où l'habitude érigée en convention aurait voulu que les séquences contemporaines soient tournées en couleurs et les flashbacks en noir et blanc, Nakagawa fait tout simplement le contraire. Pareille initiative est tellement surprenante (quoiqu'elle se justifie parfaitement au regard du film) qu'on peut se demander si le happy end n'a pas été imposé à Nakagawa qui aurait souhaité s'en tenir au récit passé de l'histoire de la maison.
En tout cas, rien d'indispensable dans ces parties (ouverture et fermeture du récit) en noir et blanc qui paraissent tout bonnement greffées sur un film de Nakagawa habituel. Mais en l'occurence, quel film ! La trame est classique, la folie des hommes les pousse à répandre le sang ce dont les spectres viennent se venger pour trouver le repos, mais quel traitement ! Il est heureux que ce soit cette part du film qui ait bénéficié des couleurs du « Shintohoscope ». Les couleurs sont superbes, les éclairages travaillés, et l'on retrouve là toute la maîtrise technique de Nakagawa au service d'une de ses intrigues les mieux rythmées, et du spectre le plus interessant et le plus impressionnant de son cinéma, tant sur le plan visuel que dans ses manifestations. Les morceaux de bravoure sont nombreux et le réalisateur de Jigoku n'hésite pas à expérimenter et manipuler les formes de son cinéma jusqu'à obtenir un chatoiement à la délicieuse démesure.
Par ailleurs, on retiendra de ce film (assez court encore une fois avec un peu moins d'1h10 au compteur) que les qualités de Nakagawa ne se cantonnent pas au filmage d'âmes en peine puisqu'il parvient par exemple à magnifier avec brio une très belle séquence de sabre, ce qui ne rend que plus curieux de découvrir ce que le réalisateur a pu faire au service d'autres genres que le o-bake-mono. Et si les séquences d'introduction et conclusion quelque peu superfetatoires et artificielles viennent entacher ce tableau idyllique au même titre qu'une interprétation pas toujours extraordinaire, il s'agit probablement du meilleur film de Nakagawa aux côtés de Yotsuya Kaidan.