A Tale Of Too Many Robots
Masamune Shirow commença sa carrière avec le manga Black Magic, une bédé « amateur » qu’il diffusa en 1983 dans le fanzine Atlas. Il avait 22 ans. Repéré, il se vit édité par les pros de Seishinsha en 85 (à ce que j’en lis sur le net). Ce titre lança Shirow et ensuite le propulsa très vite loin dans les hautes sphères des dieux mangakas avec le célèbre Appleseed, entamé cette même année. La suite, on la connaît avec son Ghost In The Shell qui fut autant adapté en anime que parasité artistiquement par Mamoru Oshii.
Peu d’animes inspirés de ses oeuvres respectent vraiment la tonalité de Shirow, des histoires de SF plus ou moins sombres saupoudrées d’un humour léger, des univers parfaitement construits, crédibles, que pourtant Shirow minimise avec un traitement déconneur qui désamorce parfois l’ampleur d’une toile de fond pourtant toujours digne de n’importe quel gros roman de SF. Sur les GITS Oshii a trahi, pour notre plus grand bonheur mais il a trahi, quant à Appleseed, Kazuyoshi Katayama s’est salement gaufré sur l’OAV de 1988 tandis que Shinji Aramaki a plus récemment transformé la bête en actionner post John Woo décérébré et anecdotique. Bien qu’imparfaits, seuls le foutraque Dominion Tank Police et sa suite ont tapé dans le mille. Et ce Black Magic M-66, que je découvre en DVD import, conjointement réalisé par Hiroyuki Kitakubo et Masamune Shirow. En à peine 50 minutes ils prennent le temps de poser les enjeux, de présenter succinctement mais efficacement les personnages et d’enchaîner des scènes d’actions superbement animées pour l’époque. Kitakubo ne cherche pas à contourner les difficultés, il fonce dedans tête baissée et nous propose des scènes qui fonctionnent, des passages d’action aussi bien story bordés qu’animés, et surtout inventifs. Il en faut pour donner vie à cette histoire dont l’originalité n’est certainement pas l’argument premier. On est en 1987, James Cameron a pondu ses Terminator (1984) et Aliens (1986) ; et de voir ici une journaliste, usuelle femme forte aussi chère au réal d’Avatar qu’à Shirow, tenter de sauver une gamine des armes destructrices d’un robot programmé pour la buter ne laisse pas de doute quant à l’opportunisme du projet. Mais il s’agit ici de l’adaptation du chapitre d’un manga – pas lu – qui date de 1983. Paf. Oh, la musique s’inspire indubitablement du score de celle de Terminator, et l’attaque du robot, jolie poupée suréquipée en armes diverses et variées en pleine ville by night rappelle l'assaut culte de la boîte de nuit. Mais ça reste du Shirow pur jus ET du Kitakubo gonflé : la scène avec l’électroaimant répulsif dans l’ascenseur est juste formidable de tension (avec du panoramique et du « travelling » circulaire !) , les quelques mouvements de foule sont animés, le statisme n’est JAMAIS de mise, ce de la première à la dernière seconde, et l’on se marre avec quelques blagues éparses bienvenues : l’ultime réveil du robot pas tout à fait mort, poncif de chez poncif, est traité là joyeusement. J'avoue avoir ressenti ce besoin de voir un anime de ce type, une ambiance propre aux 80's qui détonne avec la réalité se voulant pragmatique - mais qui s'avèra surtout d'un cynisme consternant - débarquée dans beaucoup de fictions après le 11/09.
Au bout du compte et malgré un format de 50mn réducteur qui, c’est tant mieux quelque part, en profite pour éradiquer toute fioriture, l’OAV est un modèle de série B dynamique et festive. Kitakubo s’en sort même mieux que sur le très remarqué Blood The Last Vampire, projet chapeauté par Oshii en personne, œuvre à ta technicité impressionnante mais assez creuse et étriquée. Etre chapeauté, c’est la malédiction qui semble avoir pesé durant toute sa carrière sur Kitakubo, qui lui aussi commença très jeune. Shirow ici, Oshii là, Otomo sur Roujin-Z… Le mangaka de Rêve d'enfant le repéra et le fit bosser sur le maousse blockbuster Akira alors que le réal du chouette chapitre A Tale Of Two Robots de Robot Carnival n’avait encore que 15 ans ! Voilà encore un stagiaire stakhanoviste exploité ! Il faudrait d’ailleurs penser un jour à trouver un équivalent japonais à cette expression d’origine ruskof. Hors "fourmis" s'entend. Un Miikiste ? En hommage au réalisateur Takashi Miike, antithèse de Terence Malick qui, de 2007 à 2011 nous a pondu rien de moins que 10 films ? (et l'année n'est pas terminée !)
Il est étonnant de se rendre compte que la première œuvre de Shirow bénéficia d’une OAV réussie alors qu’on attend toujours une adaptation digne de ce nom de sa grosse saga Appleseed, titre imprimé sur le t-shirt que porte notre belle journaliste Sybel à la fin de Black Magic M-66. Au début, pourtant, elle s'y baladait à poil dans son appartement. Les artistes commencent toujours à poil. Ils s’habillent et se construisent avec le temps.