Cochon d'Indonésie
Durant les années 1990, Garin Nugroho avait réussi à capter l'attention mondiale avec ses films foncièrement auteurisants…mais il n'avait aucun appui d'un quelconque marché local pour espérer entraîner le cinéma local vers la reconnaissance mondiale dont auront joui la Corée et la Thaïlande un peu plus tard. Aujourd'hui, le marché local peut se targuer d'être l'un des plus forts en Asie avec pas moins de 100 films produits par an…soit plus que Hong Kong, la Thaïlande ou la Corée, justement. Or, il manque un talent plus indépendant pour assurer le circuit festivalier et attirer l'attention des critiques et des professionnels.
C'est désormais chose faite avec le premier long-métrage d'Edwin. Fort d'une longue carrière de clippeur et de réalisateur d'EXCELLENTS courts-métrages, il franchit donc finalement le cap pour se lancer dans son premier long-métrage…Long est peut-être un grand mot, le film ne durant guère plus de 77 minutes et n'étant finalement que l'enchaînement de différentes saynètes dans l'esprit de ses courts-métrages. Des saynètes sans queue, ni tête, tantôt absurdes, tantôt énervantes (des longues minutes à filmer un cochon en pleine nature), tantôt irrésistibles, tantôt horripilantes (quand il ose une énième variante autour de la chanson de Stevie Wonder).
Le tout donne pourtant un ensemble cohérent, tant au niveau de l'histoire (les différents personnages vont tous aider un jeune couple de gays à avoir un enfant), que sur le fond…Car beaucoup des saynètes non-sensiques ont évidemment une signification plus profonde et portent un regard très personnel sur la situation politique indonésienne (dont une scène assez incroyable et faisant faire à l'acteur et réalisateur Joko Anwar une action…très…surprenante) ET SURTOUT sur la difficile cohabitation des chinois et des indonésiens.
Oublié 30.000 ans d'historie commune et les profondes influences, qui auront très certainement contribué à l'enrichissement du patrimoine national: les chinois ne représentent aujourd'hui plus guère que 1 % de la population au total et sont vus d'un très mauvais œil, des "profiteurs", des "business men" avisés, qui pomperaient tout l'argent des indonésiens…Ces préjugés totalement ridicules ont fait, que les chinois ont été obligés par les instances indonésiennes au cours des années 1960 à ADOPTER un nom indonésien, ressemblant à leurs anciens noms chinois et ont finalement connu un dénouement tragique avec les sanglantes chasses à l'homme en 1998, qui auront fait des nombreux morts. On peut d'ailleurs (re-)voir une partie de ces massacres totalement gratuits lors d'un long extrait d'images d'archives de l'époque. Edwin se pose donc la question de sa propre identité et de celle de ses congénères dans l'actuelle Indonésie.
Non dénué de défauts, dont de segments forcements inégaux, des redondances et des facilités, tels ces longs plans inutiles sur le cochon, "Blind pig who wants to fly" démeure néanmoins une œuvre foncièrement attachante, pourvu que l'on se donne la peine de voir au-delà du simple flux d'images. Une voix encore un peu jeune, mais qui devrait se faire de plus en plus entendre en vue du talent exceptionnel du jeune réalisateur – et en vue des tous premiers images de son second long, actuellement en tournage.