L’un des films les plus politiques d’Ann Hui est aussi l’un de ses plus terrifiants. Très remarqué à l’époque, Boat People fait encore aujourd’hui figure de classique à voir pour tous les amateurs du cinéma de Hong Kong. Sa forte dimension tragique et ses personnages misérables mais courageux en font un film définitivement attachant dont les images restent ancrées dans l’esprit, bien que datées. L’apparente douceur de la mise en scène d’Ann Hui, faite de mouvements amples, contraste avec la dureté des propos et de certaines séquences offrant un étonnant spectacle gore (l’enfant déchiqueté par une grenade) ou mortifier. Comme ces cadavres en quasi putréfaction, trainant sur le sol tels de vulgaires morceaux de viande à qui l’on déroberait les derniers bijoux pour survivre. D’autres images sont également provocantes sans pour autant montrer l’irregardable, comme l’une des plus belles séquences du film où l’impeccable et très touchante Season Ma fait un long doit d’honneur au photographe, rivé sur le plat qu’elle vient de faire tomber par terre. Ou comment saisir la moindre scène, le moindre renversement, littéralement, pour démontrer « comment ça se passe, là-bas, au Vietnam ».
Mais au-delà de la profession de journaliste délicate à exercer sur le sol vietnamien à cette époque, le film dépeint une certaine réalité sans pour autant faire dans le larmoyant à tous les étages. Premièrement, le jeu juste des acteurs est parfois salopé par une postsynchronisation manquant clairement de nuances à force de gueulements intempestifs, deuxièmement, n’allons pas chercher le moindre réalisme avec du cantonais parlé à toutes les sauces alors que l’action est censée se situer au Vietnam. Comment croire également au japonais de George Lam ? Ce sont des broutilles, mais elles donnent un cachet vieillot au film qui s’en serait bien passé. Comme si un manifeste politique et social, souvent touchant, avait besoin de ces choses pour exister en tant que réussite de cinéma viscéral. Heureusement, l’autre force du film réside dans son genre romanesque, avec ces amitiés créées après de dangereuses empoignades (Andy Lau et George Lam), ces échappées désespérées (l’ignoble séquence du bateau mitraillé), ses lignes d’espoir floues mais bel et bien présentes, ou encore ces personnages qui se promettent de se retrouver sans en être sûrs, sous une partition déchirante de Law Wing-Fai. Ann Hui aura néanmoins réalisé un film important et encore aujourd’hui de très belle tenue malgré ses petits défauts qui ne sont pas dus au manque de maîtrise de la cinéaste, loin de là.
Il n'est pas difficile d'expliquer le retentissement de Boat People à Hong Kong et en Occident en son temps. A cette époque, les rapports est/ouest dominaient les débats politiques et intellectuels -notamment à cause du cas Lech Walesa-, le cinéma engagé d'un Costa Gavras ainsi que le versant contestataire du cinéma des pays de l'Est étaient très en vogue auprès des cinéphiles. Dès lors, la dénonciation par Ann Hui des horreurs du régime de Hanoi ne pouvait que rencontrer un écho certain lors de sa présentation cannoise. Coté hongkongais, le film fut un succès public car il mettait le doigt sur les inquiétudes de la population hongkongaise face à la rétrocession dont le film était une métaphore à peine voilée. Suite aux négociations entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping sur l'avenir de la colonie, le film se retrouvera interdit dix ans durant parce que vu comme anti-chinois. Dès lors, aucun film n'évoquera de façon directe et engagée la rétrocession. Boat People incarne donc à lui seul tout un pan de l'histoire de Hong Kong et de son cinéma et dès lors fait date.
Près de 20 ans après, s'il reste un film beau et fort, il a néanmoins mal vieilli par certains aspects. Tout d'abord, la mise en scène n'est pas exempte de certains tics du cinéma engagé des années 70: on a ainsi une prolifération injustifiée de zooms censés donner un côté reportage au film mais qui tranchent de façon assez malvenue avec l'aspect moins directement stylisé du reste de la réalisation. Ann Hui ne maitrîsait alors pas totalement ses effets. Néanmoins, on a quelques beaux moments évoquant le souffle nostalgique que prendra ensuite son cinéma: le long travelling distant sur la promenade près des palmiers, le travelling maritime final, un mouvement de grue lente. Les longs travellings du début sur les chars et les enfants faussement insouciants sont également soufflants. Le jeu des acteurs fait beaucoup pour souligner le pathétique du film: avec son mélange de dureté et de sens du désespoir, Andy Lau offre une superbe prestation en jeune homme cherchant à mettre de coté de l'argent pour quitter le pays par bateau, qui en fait LA révélation du film. George Lam dans un registre de héros qui ne montre pas trop ses tourments ainsi que Cora Miao en femme glacée qui survit en se faisant entretenir par ses amants militaires et Season Ma dans le rôle de celle avec qui Lam se liera d'amitié sont également excellents. Le choix du pathétique d'Ann Hui permet de prendre le spectateur littéralement aux tripes et de lui faire ressentir l'horreur de la situation et la découverte-choc de l'envers du régime: la terreur quotidienne imposée par les soldats à la population, les cadavres dans les habits desquels des gamins fouillent pour trouver de l'argent ou des biens à vendre, les camps de travail du régime où tout un chacun est traité comme du bétail. Si l'option pathétique fonctionne globalement ici, c'est qu'en montrant Season Ma au premier abord suspicieuse à l'égard du journaliste qui veut l'aider, le film évite ainsi tout manichéisme et dès lors le spectateur n'a pas le sentiment d'etre manipulé. Néanmoins, le film n'évite pas toujours le larmoyant facile, notamment dans la scène où une mère se tranche la gorge devant sa fille et l'armée vietnamienne ou lors de certaines scènes d'exaction de l'armée vietnamienne. A ce moment-là, on se rappelle que le mélodrame peut devenir un terrain très glissant -car comportant le risque de schématisme- quand il s'inscrit dans une réalité sociale précise. Vu que le reste du film et toute l'oeuvre d'Ann Hui démontrent qu'elle n'est pas une cinéaste roublarde bien au contraire, on pardonnera en mettant ça sur le compte des maladresses concernant un sujet glissant. Mais le final tragique et désespéré va finir par emporter le morceau et les images de George Lam en feu persistent longtemps dans l'esprit du spectateur. Et Boat People doit être loué rien que pour sa capacité à prendre le spectateur de façon quasi-physique tout en lui donnant à réfléchir, sensation trop rare dans le cinéma récent.
Tout n'est donc pas parfait mais il reste que si un éditeur venait à ressortir le film en DVD, on applaudirait des deux mains car plus qu'un film il s'agit d'un témoignage contre l'oubli qui demeure malgré tout dans le haut du panier du cinéma engagé. A une époque où le cinéma de Hong Kong est mal en point, il serait bon de déterrer ce genre de pépites oubliées.
Visionnable indépendamment de "Story of Woo Viet", "Boat People" abandonne le mélange des genres du premier cité pour un drame socio-politique durant la même époque.
Toujours aussi maitrisé d'un bout à l'autre, le récit embrasse son sujet avec force et émotion sans excès évitant le pathos maladroit.
Les deux films partagent les mêmes qualités : écriture, réalisation, musique et l'intégralité d'un casting incarnant puissamment toutes ses âmes auxquelles il est difficile (j'ai la faiblesse de le penser) de ne pas s'attacher.
"Boat People" fait partie des bonus de l'édition Spectrum Films de The Story of Woo Viet" (combo dvd/blur ay).
Ces deux longs-métrages sont proposés dans de beaux transferts hd nantis de bonus de qualité.
J'invite à aller directement sur leur site car vous trouverez des longs-métrages non vendus ailleurs (à part quelques rares boutiques indépendantes, les enseignes de grande distribution virtuelles ou/et physiques ne sont plus autorisées à les vendre), et pas des moindres. En plus, vous recevrez, à chaque commande, un dvd de leur catalogue en cadeau.
Un film choc, avec plusieurs séquences poignantes, émotionnellement très forte. Engagé, un film qui 31 ans après fait encore réfléchir. Même s'il a un peu vieilli (images granuleuses), c'est une oeuvre passionnante, intense et mené par des acteurs très doués et impliqués.
Andy Lau, tout jeunot, est déjà bon et les autres acteurs et actrices font passer beaucoup d'émotions.
Ce film m'a vraiment mis mal à l'aise. Il a meme fallu que je fasse un break tellement on monte crescendo dans l'horreur. C'est un témoignage excellent sur le Vietnam servi par une tres bonne mise en scène. Mais dieu que c'est dur.