Une oeuvre mature et surprenante qui rajoute une pierre de plus à l'édifice du ciné coréen
L'une des raisons de la force du cinéma coréen est dans l'enseignement qu'on suivit les réalisateurs à l'étranger. Outre les USA, l'Europe tient aussi une place de choix parmi ces cinéastes. Outre l'amour de Kim Ki-Duk pour la France, ce séjour peut avoir des répercussions sur les films en eux-mêmes comme en témoigne entre autres, Interview. Dans le cas de Moon Seung-Wook, ses études en Pologne l'ont vraiment marqué et quand un maître comme Woicjek Has(La Clepsydre entre autres) a supervisé artistiquement les débuts de ce coréen(le court-métrage Mother), il devient évident que la carrière de Moon Seung-Wook ne peut qu'être intéressante et The Butterfly se révèle comme l'un des films coréens les plus atypiques.
Néanmoins, la première référence qui vient à l'esprit au vu des prémisses du film est l'ombre du russe Tarkovski et plus particulièrement Stalker: le guide, l'environnement dangereux, l'immatérialité de la quête, les décors post-industriel. Mais ici, le manque de moyens et le tournage en DV détourne le film de la pâle copie pour trouver son propre créneau. Moon Seung-Wook joue avec toutes les possibilités qu'offre les caméras DV et se refuse à opter pour une réalisation continue et unie. C'est à la fois l'une des qualités et le seul défaut du film de la manière dont le voit: au premier visionnage cela paraît inégal mais à la re-vision cette rupture continuelle de ton trouve trouve sa signification. D'un côté, on est face à une réalisation proche des premiers dogma avec son lot de mouvements saccadés, de zooms et autres effets perturbants. Mais loin de la gratuité, cette figure de style trouve son écho dans le physique des personnages et le rapport charnel qu'ils entretiennent avec l'environnement, un aspect clairement présent lors des pluies acides et des scènes de douche avec de gros plans sur les brûlures et autres cicatrices qui racontent d'elles-mêmes le passé des personnages. De plus, cette réalisation proche des détails donne toute sa crédibilité au film en se centrant sur une ville au bord de l'implosion que quelques plans à l'arraché arrivent à rendre crédible, ce qui aurait été impossible avec une réalisation classique qui aurait été trop travaillé en plan large et qui aurait trop dévoiler les ficelles stylistiques du film. De l'autre côté, le film prend le parti de la force picturale innée des images et Moon Seung-Wook délivre des images tétanisantes de forces symboliques et évocatrices et qui restent gravées dans l'inconscient du spectateur tout en jouant avec une belle variété de champ allant d'un pont et d'un ciel en très grand angle, de couloirs somptueusement éclairés au visage de son actrice principale sous l'eau ou encore les yeux étrangement bleus d'une accro au virus. Et évidemment, le thème musical du film est fort et trippant et revient comme un leitmotiv inlassable dans la tête du spectateur.
Au niveau du fond, le film ne prêtera pas autant à débats et autres thèses que ses illustres modèles ont pu engendrer dans le passé mais il garde une ligne claire et en même temps complexe qui rend l'ensemble captivant. La thématique du souvenir comme source d'affect pour l'humain donne lieu à des personnages intéressants. En dehors de Kim Ho-Jeong et du trauma finalement assez commun qui la ronge, le personnage le plus attachant reste celui du taximan appelé simplement "K"(tiens, cela rappelle un célèbre héros kafkaïen) dans le scénario et dont on ne sait vraiment si il est ce qu'il prétend être ou bien si il a été exposé au virus et qu'il s'est lui-même inventé un passé pour avoir une raison de vivre. L'autre aspect à noter et qui est presque une thématique intrinsèque au cinéma coréen est la relation inter-générationnel entre Kim Ho-Jeong et Yuki, sa guide, la jeune génération étant condamné à voir l'ancienne dépérir et de fait reprendre le flambeau et les espoirs qu'ils ont abandonné. Un point commun à encore mettre en relation avec Stalker est que le film ne se centre non pas sur la finalité de la quête mais sur son cheminement et c'est tout naturellement que nos trois personnages en viennent à se rapprocher et à délaisser leur objectif initial pour mieux se comprendre entre eux et apprécier les instants de bonheur fugaces de leur existence. C'est une leçon de vie apportée par le film qui se confirme avec les junkies accros au virus qui constituent une classe à part entière vivant dans un présent perpétuel(vu qu'il n'ont plus de mémoire et que tout projet de futur est pour eux impossible) et dérangent le monde qui les entoure de par le semblant de vérité qu'ils apportent à leurs contemporains.
Nabi/The Butterfly est un film résolument ambitieux et suffisamment personnel que pour s'imposer comme l'un des plus intéressants que le cinéma coréen ait pu offrir jusqu'à présent et ce serait stupide de passer à côté.
29 septembre 2002
par
Alain
un film se laissant voir mais pas du niveau des courts de Moon Seung Wuk
Il y a deux manières d'envisager Nabi. En tant que premier long métrage il s'agit d'un début imparfait mais correct. Mais comparé aux deux courts d'études visibles dans le DVD coréen du film, on a l'impression qu'un peu du talent de metteur en scène de Moon Seung Wuk s'est fait la malle entre la Pologne et Séoul. Certes, ces courts faisaient très bon élève appliqué d'un certain cinéma russe (Mother évoquait par son thème Mère et Fils de Sokourov et reprenait à Tarkovski ses motifs aquatiques et ses plans d'arbres, ces influences étaient aussi présentes dans le second court) mais la mise en scène de ces courts était plus convaincante que certaines tentatives d'émancipation de ses maitres de Nabi. Si Moon Seung Wuk est assez convaincant lorsque sa caméra se pose et crée des variations de durée, on ne peut en dire autant des parties en caméras portées de la moitié du film qui transpirent l'agitation gratuite et les zooms inutiles et sont très pénibles à regarder (en particulier les scène de la piscine hors des moments sous-marins). Mais l'avantage du choix de filmer en DV est l'impression de ville en pourrissement donnée ainsi par les décors du film, compensant ainsi le manque de moyens qui pourrait plomber un récit d'anticipation.
On peut également remercier Moon Seung Wook de ne pas avoir recouru au dialogue philosophique: il évite ainsi de tomber dans la philosophie de comptoir prétentieuse d'un Kurosawa Kiyoshi (meme si License to Live, qui traite aussi en partie de l'effacement de la mémoire, est un des films de Kurosawa qui en souffre le moins parce que l'incommunicabilité est aussi un de ses thèmes). Car de toute façon le parcours de la "touriste" est déjà intéréssant en soi et donne lieu à quelques scènes poignantes: l'attente à l'abri des pluies acides, les scènes de douche, les scènes dans les tunnels, l'accouchement, les beaux passages sous-marins. Un petit bémol néanmoins, le film manque d'un vrai souffle romanesque et de développement narratif complet de ses thèmes intéréssants (l'oubli, la filiation, la recherche du passé, la part de passé qui ne disparaitra jamais symbolisée par les cicatrices, tout cela aurait mérité une demi-heure de plus au moins histoire d'enrichir les interactions entre les personnages et de leur ajouter un passé un peu moins banal) malgré une durée assez longue pour une première oeuvre. La direction d'acteurs est de très bon niveau, ceux-çi expriment avec talent une palette de sentiments allant de l'indifférence à la colère et à la lassitude. Quant au travail sur le son, s'il n'est pas aussi élaboré que chez Tarkovski ou Sokourov, il reste efficace et de bonne qualité et l'utilisation de la pluie et de bruits sourds est pour beaucoup dans l'ambiance du film.
Au final, Nabi aurait donc pu etre beaucoup mieux que ce qu'il est. Et c'est ce qui l'empêche malgré quelques qualités de laisser une trace durable.
Swallowtail Nabi ?
La première chose qui frappe à la vision de Nabi est sa mise en scène, très particulière lors de la scène d’introduction : tous ce qui est filmé est réel et existant (pas de décors créés), mais filmé selon les codes du cinéma de science-fiction classique, suivant les même cadres imédiatement connotés et exacerbant certains sons de manière caractéristique – ainsi, une simple porte d’avion sonne étrangement futuriste – créant un étrange sentiment d’irréalité. On peut trouver ça kitch ou fascinant, au choix.
Puis une fois posée cette base, la mise en scène reprend des marques plus traditionnelles. Pas la peine d’en faire trop, le mieux est trop souvent l’ennemi du bien, et il aurait été maladroit de s’enfermer dans une image de série B avec Christophe Lambert.
Quoi qu’il en soit, ça fait toujours du bien de voir qu’il y a (avait ?) encore des coréens (quoi que celui-là ait une expérience européenne) pour réaliser un film sans steadycam ni mouvement de grue pompeux, en faisant entorse à la sacro-sainte photographie vive et lisse (lissée) qui semble de rigueur. Ici, l’instabilité du cadre et la crudité de l’image DV renvoient à la fragilité et à la détresse des personnages. Mais au delà de quelques joujous formels, Nabi est aussi la troublante histoire d’individus confrontés à leur passé et leur mémoire. Une histoire de deuil aussi. Et en ces temps tourmentés au pays du matin calme (ou justement le contraire, trop lisses et uniformes), on se dit que c’est peut-être celui de ce genre de films coréens différents qu’il va falloir se résoudre à faire.
01 septembre 2006
par
Epikt