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Carmen de Kawachi

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les avis de Cinemasie

2 critiques: 3.88/5

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1 critiques: 3.75/5



Ordell Robbie 3.5 Un Suzuki inégal mais portant la marque de la grande époque du cinéaste.
Xavier Chanoine 4.25 Une Carmen pas ordinaire, par une Nogawa Yumiko extraordinaire
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Une Carmen pas ordinaire, par une Nogawa Yumiko extraordinaire

Honteusement méconnu dans nos contrées, Carmen de Kawachi demeure pourtant l'une des plus brillantes réussites de son auteur, réalisé durant la belle période du cinéma pop art nippon, bien calé entre les délirants l'Elégie de la bagarre et Le vagabond de Tokyo, excusez du peu. Suzuki Seijun est alors en pleine possession de ses moyens et revisite le mythe de Carmen à sa sauce, pleinement et richement intégré dans un Japon moderne, influencé par la culture américaine et méditerranéenne. Carmen de Kawachi est pourtant une superbe déclaration d'amour à la gente féminine avant d'être un grand film scénarisé ou une démonstration de force visuelle. La Carmen ici se nomme Tsuyuko, rayonnante et exotique, une déesse qui fait chavirer le coeur de tous les mâles qu'elle rencontre sur son chemin (parsemé d'embûches) même si elle n'arrive jamais à aller au bout de ses projets amoureux. Fille violée par ses camarades de classe, elle quittera sa province de Kawachi pour se "réfugier" à Osaka où elle y rencontrera des gens aussi mystérieux qu'imprévisibles, à l'image de la ville elle-même. Et à Suzuki d'y puiser tout le talent de son répertoire déjà bien fournit pour pondre une oeuvre aussi redoutable qu'inégale, mais là est tout le charme du cinéaste, ce sens aigu de la rupture par un montage cut et un découpage pas commode, ce sens de la frénésie rythmique débutant comme un film romantique de base (la rencontre entre Tsuyuko et "Bon" Akita) pour basculer vers une orgie où les bonshommes se protègent des cascades de bière avec leur parapluie, sous les chants et les provocations de Tsuyuko, alors Carmen danseuse dans une boîte.

Et ce merveilleux parcours de femme raconté par Suzuki étonne par sa sensibilité, sa droiture mais aussi son détachement clair des codes de la comédie en proposant une quantité de solutions visuelles formidables, sans pour autant faire figure de démonstration formelle à la manière d'un La Marque du tueur réalisé un an plus tard. C'est ainsi que Suzuki se moque des conventions et expérimente son cadre. L'utilisation du mirroir, symbolique chère au cinéaste est à mettre à la fois à l'actif d'un pari formel réussi (une constante jusqu'à Pistol Opera) et d'une métaphore de l'image qu'il renvoie, souvent fausse et trompeuse, en témoigne l'entourage de Tsuyuko : la directrice d'une agence de mannequina recrute Tsuyuko pour sa beauté mais aussi parce qu'elle désire l'aimer de "force". Et comme les hommes chez Suzuki sont souvent considérés comme de vrais gentlemen, Tsuyuko sera sauvée 'in extremis" par un artiste peintre au bagou d'enfer après une poursuite dans l'appartement de la directrice lesbienne. A Suzuki donc d'orienter une nouvelle fois son sens du cadre vers une approche très théâtrale des choses, et ce qui pouvait être qu'une simple poursuite (montée normalement, aux plans nombreux et courts) se transforme en un pur moment jouissif vu que dans un même plan, toutes les pièces de la demeure sont visibles.

Et si visuellement, le noir et blanc convient parfaitement à Carmen de Kawachi, la gestion des lumières et des contrastes fonctionne tellement bien que l'on pourrait presque déduire les couleurs originales, cette réussite est due au formidable travail de photo réalisé par Mine Shigeyoshi, collaborateur attitré de Suzuki avec Nagatsuka Kazue. Et puis ce noir et blanc, d'une grande densité, souligne plutôt bien l'aspect souvent "dark" de l'oeuvre, car même si enivrée et baroque, elle ne fait pas l'impasse sur la grossièreté de certains personnages, comme ce prêtre qui tente de violer la pauvre Tsuyuko victime de sa beauté, dans les montagnes perdues d'Osaka. Mais heureusement, le grand guignol ressurgit de plus belle et grossit la moindre scène pittoresque : l'artiste peintre et son "oeuvre" plutôt abominable, la galère dans laquelle "Bon" Akita s'est mis, les guitares espagnoles ironiques et le rapport à l'argent traité de façon ridicule. Carmen de Kawachi est donc une oeuvre visiblement inépuisable, dynamique et très souvent drôle, interprétée par Nogawa Yumiko plus belle que jamais (déjà formidable chez Suzuki dans Histoire d'une prostituée réalisé un an auparavant), et même si l'on ne sait pas pourquoi cette "Carmen" n'arrive jamais à trouver l'être cher, on se laisse porter par sa grâce, en remerciant Suzuki de nous avoir offert 1h45 de bonheur.

Quelques mots de Suzuki :
"Encore un film de femme. Nogawa Yumiko est dans le meilleur âge pour une actrice. Je voulais peut-être faire la description d'une femme démoniaque (Onibaba). Les femmes sont démoniaques. Elles sont toutes sournoises, au fond". ©Propos recueillis par Isoda Tsutomu

05 juillet 2007
par Xavier Chanoine


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