Un polar méconnu, pourtant exceptionnel.
Oida est vraiment un type qui a la poisse. Provoquant la mort d'un homme et de son enfant accidentellement, le voilà qu'il se retrouve à purger une peine de prison. Paumé et complètement à la ramasse au niveau sociétal, le voilà qu'on lui propose une mission consistant à tuer trois personnes. A sa sortie il accepte et se lance à la recherche des trois hommes. Malheureusement il n'est pas le seul à leur trousse et se retrouve en proie de deux hommes mystérieux tout droit venu de Chine.
Pour sa première collaboration avec Gosha Hideo (et dieu merci guère sa dernière), Nakadai Tatsuya prouve qu'il est le plus grand acteur asiatique de tous les temps avec Toshirô Mifune. Dans la peau d'un type plus proche du looser que tu parfait héro, il signe l'une de ses meilleures performances dans le domaine du polar noir, mis à la mode par Kurosawa avec Chien Enragé, les salauds dorment en paix, et Entre le ciel et l'enfer. Porté par sa grâce et son charisme légendaire, le film prend alors des allures de véritable poème furieux et ultra violent, baignant sans cesse entre une atmosphère délicieusement glauque (les décors de la station d'épuration, sublimes et effrayants) et une autre bien plus délicate et attachante (les rues enneigées). De plus, malgré sa violence et son cynisme bien présent, Le sang du damné demeure une oeuvre humaniste, où la fille d'un des "recherchés" se liera d'amitié avec le "tueur à gage" (Nakadai) et n'hésitera pas très vite à l'appeler "tonton". Oida, attaché à cette gamine, n'hésitera pas à se battre corps et âme pour la protéger, quitte à y laisser sa peau.
En plus d'être peint de deux manières diamétralement opposées (la violence épouvantable et la relation d'amitié forte), Le sang du damné est un brillant récital technique, où cadres recherchés et astucieux démontrent tout le savoir faire de Gosha sur sa mise en scène. Pas d'esbroufe, juste du talent et des idées fabuleuses (séquence de fin à la première personne, qui en inspirera plus d'un) à la pelle, tous utilisés avec intelligence pour ne pas tomber dans le surplus indigeste.
Trop méconnu en Occident, Le sang du damné représente pourtant le nec plus ultra du polar noir, demandant certes une attention particulière pour ne pas être largué, mais tellement généreuse dans son pouvoir de donner du plaisir à son spectateur, grâce à une intrigue exceptionnelle et à un ensemble (interprétation, réalisation, musique de Sato) particulièrement homogène. Du grand polar des sixties.
L'Enfer n'est plus à lui.
En 1966, Gosha Hideo a réalisé trois chambaras: deux Kiba et une relecture du mythe Tange Sazen. Non dénués de qualités, ces trois films sont cependant loin d'égaler son coup d'essai/coup de maitre inaugural au cinéma comme dans le genre Trois Samourais hors la loi. Coup d'essai d'ailleurs dépassé par Goyokin trois ans plus tard. Mais la meme année Le Sang du Damné, première incursion de Gosha dans le yakuza eiga, démontrait que la réussite de son premier film était tout sauf accidentelle. Première fois, ce Sang du Damné l'est aussi parce qu'il marque deux premières rencontres: avec un Nakadai Tatsuya qui deviendra vite son acteur fétiche et avec le grand compositeur nippon Sato Masaru. Déjà excellent ici dans un role du gangster Oida, le premier trouvera par la suite d'autres grands roles sous la houlette de Gosha tandis que le second offre ici un excellent score fait de coolitude jazzy et de quelques embardées rock'n'roll sentant bon le swinging Tokyo. Le sujet du Sang du Damné, c'est le chemin des plus imprévus qui mène un homme à la rédemption. La rédemption que l'on trouve en se sentant coupable de morts qu'on n'a pas volontairement occasionnées, en suivant la route taule/déchéance sociale. Et lorsqu'on touche le fond, alors qu'on accepte un contrat de meurtre pour survivre, on se met à progressivement se mettre sur les rails du rachat. Spoiler Le moment où Oida est à deux doigts d'abandonner l'orpheline est celui où il choisit d'assumer ses responsabilités. Fin Spoilers
Drole de voie pour une rédemption... Chemin tortueux d'ailleurs accompagné par une narration déconstruite faite de flash backs dévoilant le moment de chute d'Oida aussi bien que celui des figures croisées lors de "l'exécution" de son contrat, lesquelles vont renforcer son désir de rachat. Spoilers Avec comme point d'orgue cette fin où l'opportunité de rédemption de réalise d'une manière en forme d'écho quasi-identique à la chute du début. Et une séquence de fin usant superbement de la caméra subjective où Oida s'effondre lavé de ses fautes. Fin Spoilers Si les personnages du Sang du Damné -à l'exception de l'ex-financier véreux- sont typiques de ces figures du Japon d'après-guerre ayant du transiger avec les principes par désir de survie, aucune de ces "forces supérieures" de film noir n'écrase leur destin. Ils ont tous leur libre arbitre et n'hésitent pas à en user. En cela, ils sont bien les frères des autres héros de Gosha n'hésitant pas à faire valoir leur seule volonté surtout lorsqu'elle va à l'encontre de leur propre clan. Le tout est porté par une réalisation déjà maitrisée faite de cadrages penchés en écho à un univers sans repères et quadrillant avec talent aussi bien clubs qu'entrepots, ports, décharges publiques et centre ville.
Pour un yakuza eiga se distinguant aussi bien de la déconstruction des classiques suzukiens, de la tendance aux bons sentiments des ninkyos d'époque que de la théatralité d'un Pale Flower ou des premières tentatives "sans code d'honneur" de Fukasaku. Déjà à part dans le paysage sixties du genre. Comme le cinéma de Gosha d'ailleurs...