Après la période d’apprentissage classique au sein de la Toeï et la succession de séries TV - au sein de Nippon Animation dans une seconde période- devenues aujourd’hui des références en tant qu’adaptations animées de classiques occidentaux de la littérature pour enfants (Heidi, Chien des Flandres, Marco...) et réalisés en compagnie –entre autres- de Miyazaki, Chie marque avec Gauche le Violoncelliste, sorti la même année mais produit dans des conditions bien plus artisanales, la réelle émergence thématique et formelle de Takahata. Horus avait tout de l’œuvre manifeste d’une génération, d’une école, d’un groupe de compagnons et en tant que tel était traversé d’un souffle épique. Chie, même s’il s’agit d’une œuvre de commande, procède d’une démarche beaucoup plus intime traversée de respirations -l'humour- lui conférant toute son humanité et son humilité.
La parenté entre Chie et Mes Voisins les Yamada est immédiate par plus d’un aspect : ces deux films outre leur sujet commun -le quotidien d’une communauté humaine à travers l’histoire d’une famille- sont des exercices de styles, des adaptations en anime de mangas à fortes personnalités graphiques et qui illustrent au mieux l’éclectisme dont a fait preuve Takahata (qui ne dessine pas) sur ce terrain tout au long de sa carrière. Ici le dessin tout en rondeur de Kotabe et Ôtsuka fait merveille en restituant de façon très vivante et organique, aussi bien dans le character design que dans l’animation des personnages, l’univers populaire de la petite Chie. Et si le regard du réalisateur se veut tendre il ne se fait jamais attendrissant, adoptant une certaine distance dans sa mise en scène alors que l’histoire de la séparation des parents de Chie aurait pu glisser dans le dramatique.
L’humour qui faisait –en partie seulement- défaut à Horus traverse Chie en permanence. Parfois hilarant et à d’autres émouvant cet humour se garde toujours de verser dans la caricature ou la parodie, découlant plutôt du caractère des personnages au lieu de les définir. Un humour « réaliste » en quelque sorte car ancré dans la réalité sociale de son objet. Une des scènes les plus « mort de rire » du film voit ainsi l’intrusion de « Tetsu le bon à rien », le père de Chie, dans l’univers scolaire de cette dernière à l’occasion d’une journée portes ouvertes : le résultat est un crescendo dans le rire à mesure que Tetsu, père immature un peu voyou, multiplie les gaffes au grand dam de sa fille... Le côté populaire est également renforcé, dans la version originale, par l’utilisation intensive du kansai ben (dialecte local, très « démonstratif », de la région du Kansaï) qui conforte encore un peu plus le comique des dialogues.
Si le style graphique peut à première vue sembler un peu « rustre » ou caricatural, il recèle autant de subtilité et de richesse que la psychologie des personnages et la richesse de leurs relations. Sur ce terrain aussi Takahata ne se départit pas de sa démarche « réaliste » et à travers les scènes du quotidien de Chie s’esquisse des portraits d’individus aussi attachants les uns que les autres et dont on prend congé, à la fin du film, avec une pointe de nostalgie. Mais le réalisme des caractères ou des situations ne veut pas dire absence de fantaisie (on devrait d’ailleurs plutôt parler « d’humanité » des caractères et des situations) comme l’attestent les personnages des chats –histoire dans l’histoire aussi passionnante que tout le reste- et leur conflit « viril » et mortel (ponctué de défis et de combats) autours d’une paire de testicules ... Un film riche à tous points de vue.
... c'est pas mal du tout. Le tour de force de ce film, c'est de voir le verre à moitié plein d'une famille en peine à Osaka. Pas de misérabilisme à la Dickens, on profite de la life avec les moyens du bord et vogue la galère. Les blagues autour d'une couille de chat permettent de ne pas se la péter ; on rejoint ainsi le Mifune grossier de Kurosawa et les sales types qui suintent chez Leone. Reste que l'anime, malgré son cachet, a vieilli et que l'absence de réelle trame centrale - autre que le retour de maman au bercail - empêche la pleine accroche. Tranches de vie humanistes à la Yamada, voilà. Dickens, pour Takahata, ce sera pour plus tard.
Kié la petite peste, en plus d’être une formidable comédie populaire, pose un regard à la fois tendre et attentif sur le quotidien d’une famille décomposée. C’est aussi une histoire de matous, de testicules et de bagarres en tout genre. Avec un pitch de départ presque anodin se reposant essentiellement sur le combat journalier d’une gamine déjà très mature pour son âge, dans la gestion de l’entreprise de son père bon à rien –elle y tient un restaurant de brochettes- et dans la relation secrète qu’elle entretient encore avec sa mère, l’œuvre de Takahata réserve suffisamment de surprises pour faire d’une chronique sociale un moment empli de légèreté et de liberté. Pourtant, les sujets adultes sont traités sans le regard mièvre tant redouté par le biais du support animé, on y voit une Kie évoluer tant bien que mal malgré ses parents séparés, tenir la barque malgré les ennuis de son père, espérer un jour voir sa mère sans se cacher aux yeux du principal concerné et sans doute encore amoureux.
Multipliant les sous-intrigues, le film de l’auteur du Tombeau des lucioles nous présente une galerie de personnages tordants, peu réalistes mais au profil immédiatement reconnaissable : un ancien propriétaire de salon de jeux à peine yakuza, reconverti après la mort de son chat en cuisinier d’okonomiyaki (une des spécialités culinaires d’Osaka), deux anciens yakuza devenus apprentis cuistots, un père de famille bon à rien et maladroit, des chats aux attitudes typiquement humaines. A l’image du film dans son ensemble, l’imaginaire truculent de Takahata offre pourtant des situations bien ancrées dans une certaine réalité. La confrontation entre l’absence totale de réalisme –des chats qui causent entre eux, par exemple- et ces même chats vivant des histoires touchantes que n’importe quel homme peut vivre, comme le combat pour imposer sa virilité, la vengeance ou l’honneur (voir la séquence finale), font du film un tout irrésistible et identifiable. Tout le monde peut se reconnaitre dans cet instant de vie. Et à l’image là aussi de ce générique de fin plein de joie vivre, Kie, qui n’a pas grand-chose de peste d’ailleurs, est la digne ambassadrice de ce bonheur qui consiste à vivre et à se sortir de toutes les situations même les plus improbables, comme celles de protéger son matou d’une bagarre avec un autre pour une question de testicules. Ca ne vole pas haut au premier abord, délicieux leurre.
Comédie sociale irrévérentieuse et mal élevée annonçant dès 1981 Mes voisins les Yamada et proche de Goshu pour le ton employé, Kie la petite peste brosse le portrait d'une petite japonaise débrouillarde qui assume son passage précoce à l'âge adulte en prenant sous sa responsabilité un père idiot et bagarreur qui s'est séparé de sa femme, une bande de yakusa à la manque dont le chef s'est reconverti en pizzaiolo, et des chats de goutière karateka ayant des problèmes de virilité. Vu les situations développées ici, il y a de quoi s'amuser, ce qui est le cas... Dialogues cinglants et gags énormes, on rit souvent de bon coeur même si certains passages (l'exhumation d'un testicule de chat !) sont lourds et douteux, faisant se demander si le public visé est réellement aussi jeune qu'on pourrait le croire.
Toujours avec autant de philosophie et de poésie, TAKAHATA nous décrit le quotidien difficile d'une petite fille dont les parents sont séparés, vivant avec son père qui est un joueur invétéré, et devant tenir le restaurant famillial le soir après l'école. Cette histoire pas très rose nous est pourtant racontée avec bonne humeur et un humour subtil. Le graphisme et les couleurs renforcent l'aspect positif du film.
Les œuvres de Isao Takahata s’intéressent toujours de façon plus ou moins directe à la société japonaise, il en va de même pour cette PETITE PESTE qui se situe plus spécialement à Osaka.
Plus qu’un simple Anime, cette réalisation de 1981 est avant tout un film sur le quotidien d’une petite fille des quartiers populaires de ce grand port du Kansai et ses démêlés avec un entourage pas facile à gérer.
L’animation et le graphisme choisis sont sans fioriture, allant à l’essentiel pour servir avant tout à la lisibilité du propos, mais cela n’empêche pas un travail soigné et très agréable à l’œil.
Les graphistes évitent alors toute « joliesse »,présentant une CHIE mignonne mais plus à l’état brut qu’une KIKI LA PETITE SORCIERE d’un Miyazaki quelques années plus tard,les deux héroïnes ayant malgré tout des points communs .En effet,la jeune CHIE doit se débrouiller avec un père paresseux et une mère absente,une scolarité chaotique et un petit restaurant de brochettes qu’elle assume quasiment à elle toute seule,et cet aspect de sa vie rappelle celle de KIKI qui devra se faire une place malgré des circonstances peu favorables au départ. Le message des futurs studios GHIBLI est déjà là, avec cet apprentissage de la vie par une jeune fille méritante.
Traité par le biais de la chronique souriante, l’humour n’y est jamais une finalité, mais plutôt un moyen de raconter une histoire ou plusieurs situations s’entrecroisent. Les personnages sont très bien campés et rapidement sympathiques, de la grand-mère forte femme à l’impressionnant vieil instituteur, en passant par le chat roi de la baston ou les Yakuzas locaux, sans oublier bien sûr le paresseux et immature Tetsuo, étrange géniteur et « protégé » de la petite CHIE.
Cette observation de la vie et des occupations de petites gens a des forts accents de réalisme,
et la bienveillance des auteurs pour cet univers n’exclue pas un arrière-plan plus sombre :la séparation d’un couple mal assorti depuis le départ avec ce grand enfant de Tetsuo et une femme plutôt effacée,et leur délicate remise en ménage,face à leur fille qui s’arrange du mieux qu’elle peut avec ce « monde d’adultes ».De même,on est loin du politiquement correct :la petite prend sa première (grosse) dose de Saké,on assiste à une façon très spéciale d’accommoder une friture locale avec de la morve,et le chat arrache un testicule à son rival qui ne s’en remettra pas,amenant une intrigue animalière parallèle délicieusement farfelue !
On le voit, le film a beau daté déjà de 1981, on n’est pas vraiment chez l’Oncle Walt !
C’est bien sûr aux futurs YAMADA du même Takahata que l’on pense plutôt, en dehors du seul choix graphique, différent.
CHIE est vraiment un film attachant, à l’image de ses protagonistes, et tout le talent du cinéaste est de nous faire pénétrer dans cette partie du Japon si spécifique et peu connue pour un occidental, et de nous donner l’impression d’y être comme chez nous par un fort processus d’identification qui prouve décidemment l’universalité des thèmes et de la manière de les traiter de cet exceptionnel créateur.
Situé, dans la filmographie du réalisateur, entre Goshu le violoncelliste et le fameux Tombeau des lucioles, cet animé de 1981 raconte l’histoire d’une famille japonaise dans un Osaka contemporain (il se rapproche en cela de Mes voisins les Yamada, sans toutefois traiter les mêmes problématiques). Kié est une petite fille espiègle et débrouillarde, vivant seule avec son père (sa mère ayant quitté le domicile conjugal en raison de l’irresponsabilité de ce dernier). Son entrain et son bon sens lui valent d’être appréciée de tous, sauf de ses camarades de classes qui en font leur souffre-douleur en raison de ses mauvais résultats scolaires. Toujours dynamique, elle n’en est pas moins profondément affectée par la séparation de ses parents – le cœur de ses problèmes – et œuvre en secret pour leur réconciliation. L’héroïne réussira-t-elle à gérer ces questions d’adultes, et à s’occuper du restaurant familial, sans sacrifier sa vie propre ?
Des personnages rocambolesques
Le film se découpe en plusieurs scènes de vie quotidienne, faisant apparaître de nombreux personnages – du yakusa repenti à l’instituteur tyrannique – d’importance inégale mais tous truculents. Parmi ceux-ci, le père a une place prépondérante. Brute épaisse, feignant et joueur invétéré, il est le « mauvais exemple » parfait pour la petite Kié qui, par réaction, se montre responsable et intelligente. Ce personnage du père est, dans le film, à la fois source de comique (sa balourdise est touchante) et de tragique (c’est son égoïsme incroyable qui provoque l’échec de son couple, et les difficultés scolaires de Kié). A la longue, le spectateur se lasse cependant de ses maladresses et de son absence de jugeote : le personnage apparaît irrécupérable, et voué à être source de malheur et d’inquiétude pour ses proches.
Autres personnages principaux : les chats, et notamment celui de Kié. Dans le film de Takahata, ces chats parlent et marchent comme des humains, et peuvent devenir de véritables machines à tuer. On ne peut ici que signaler l’obsession du réalisateur à montrer les testicules de ces bêtes adorables mais dangereuses : plus que des gags à répétition, lesdites choses viennent même, à un moment donné, au cœur de l’intrigue. Ce qui est drôle de prime abord apparaît ensuite lourd et lassant ; du moins cela participe-t-il au caractère atypique – voire surréaliste – de cet animé.
Un graphisme au service de l’histoire
De prime abord, le graphisme de Kié semble suranné et sans grand intérêt. Mais un tel jugement serait par trop hâtif et injuste, pour plusieurs raisons. Il est certes incontestable que l’animation ne disposait pas en 1981 des moyens actuels. Cela n’empêche au réalisateur de faire preuve d’une certaine originalité (en incluant notamment une scène du film Le fils de Godzilla, destinée à servir d’illustration métaphorique des rapports parents/enfants).
De plus, il ne faut oublier que Kié la petite peste est avant tout l’adaptation d’un manga papier d’Etsuji Haruki. Le réalisateur et les responsables de l’animation se devaient donc de respecter l’œuvre première. Comme nous l’explique Isao Takahata, « dans le cas de Kié, la petite Peste, le traitement narratif et graphique de monsieur Etsuji Haruki est tellement étonnant que la fidélité demeurait l’approche la plus sensée ».
Enfin, on ne peut douter que la sobriété du graphisme participe à l’ambiance générale du film. Les longs métrages d’Isao Takahata font rarement preuve d’exubérance sur ce point. Même si ce dernier ne se charge que de la mise en scène et non de l’animation à proprement parler, cette caractéristique est en quelque sorte sa « marque de fabrique ». Il est en effet l’un des chefs de file du courant « réaliste » de la japanimation. Ce réalisme se manifeste tant dans le scénario – Takahata traite essentiellement de la vie quotidienne des gens, plus que d’histoires fantastiques – que dans le style du dessin. La simplicité du graphisme semble donc non pas subie, mais voulue, car en adéquation avec l’histoire.
Une ambiance unique
Mais en définitive, Kié la petite peste se démarque surtout par sa tonalité générale. Le scénario reste un modèle du genre, pour plusieurs raisons : comme cela a déjà été signalé, le comique côtoie le tragique sans qu’il soit toujours possible de les dissocier. La question des familles monoparentales est traitée de manière originale et sensible. Le personnage de Kié ne ressemble en rien aux héroïnes de Miyazaki, parce qu’elle apparaît à de nombreux égards plus responsable que les adultes qui l’environnent : cette histoire n’est donc pas à proprement parler un récit initiatique (si ce n’est, peut-être, par rapport au père, qui aurait bien besoin d’évoluer et de grandir un peu…). Le thème de l’enfance est traité d’une manière qui se rapproche davantage du Tombeau des lucioles (sur un ton bien plus léger cependant) : la petite Kié, abandonnée à elle-même par ses parents, doit en effet apprendre à se débrouiller toute seule, quitte à devenir adulte précocement et donc à être marginalisée par rapport aux jeunes de son âge.
L’atypisme de Kié en faisait, en 1981, un pari osé. A une époque où les mangas sportifs étaient à la mode, ce long-métrage faisait un peu figure d’extra-terrestre, par la gravité des thèmes abordées et par la volonté de lier inextricablement comédie et tragédie. Mais c’est précisément ce particularisme qui donne au film tout son attrait, comme nous l’indique Yasuo Ôtsuka, directeur de l’animation : « personnellement, ce qui m’a séduit dans Kié, c’est qu’il s’agissait réellement d’un film à contre-courant. (…) Kié, la petite Peste ne rentre dans aucun cadre. C’est un film qui raconte plusieurs histoires d’une clarté exemplaire, mais qui parvient pourtant à échapper à la catégorisation ».
Ce qui n’est plus tout à fait vrai car, en voulant se détacher des catégories existantes, l’équipe participa ici à créer un nouveau genre, le manga comico-réaliste à dimension sociale, qui ne cessera de se développer au cours des années suivantes…
La petite histoire : Kié et Osaka
Une autre spécificité du film doit enfin être mentionnée : Kié, la petite peste se veut être une présentation quasi-sociologique de la ville d’Osaka, de la mentalité de ses habitants. Bien que la description de la ville soit moins détaillée dans le film que dans le manga d’origine, le réalisateur souhaitait conserver cet aspect de l’œuvre de Haruki : ainsi, pour pousser le réalisme, Isao Takahata a spécialement engagé des doubleurs provenant de cette ville. Néanmoins, ces considérations ne peuvent que nous échapper, pour des raisons culturelles et parce que le doublage français ne peut retranscrire ces nuances.
Les résultats du box-office japonais sont en tous cas évocateurs quant à l’importance de cette dimension du film : le succès fût en effet tout à fait mitigé à Tokyo, où règne une certaine aversion à l’égard de la langue et de la culture d’Osaka. Au contraire, Kié a bénéficié d’un très bon accueil dans la région d’Osaka, ce qui tend à démontrer que la peinture sociale de la ville a été effectuée avec fidélité. En tout état de cause, le succès global de Kié permit largement de le rentabiliser, et d’inciter les studios à produire une série de 64 épisodes autour du personnage, dont certains furent réalisés par Isao Takahata lui-même.