Si L' Ange Ivre concernait le monde des gangsters mais était plutot centré sur la médecine au travers de Takashi Shimura, Kurosawa signe avec Chien Enragé un pur polar qui tient en haleine le spectateur deux heures durant. Il va montrer tout son talent à adapter un genre anglo-saxon à la réalité du Japon de son époque. Dès le début, il nous prouve qu'il sait exécuter superbement les scènes de genre à faire: la course poursuite entre Mifune et celui qui a dérobé son arme est montrée par des cadrages très proches des personnages et une mise en scène au rythme haletant faites de caméras portées qui créent un aspect documentaire très osé pour le cinéma japonais de l'époque. Et la course poursuite de la fin du film sera à l'inverse filmée à distance pour souligner la lassitude des protagonistes. Mais à l'instar de l'Ange Ivre, Chien Enragé est un tableau de la désolation du Japon d'après-guerre: la recherche de son arme va amener l'inspecteur Murakami incarné par Mifune à découvrir le Japon du marché noir, du monde interlope de la nuit, des gangsters et de la misère (les travellings sur les mendiants qui en disent plus qu'un long discours). Quelques détails montrent l'occidentalisation du Japon de l'époque (voleuse en tailleur alors que la police s'attendait à la voir opérer en tenue traditionnelle, spectacles de cabaret filmés avec un énorme sens de la danse, les inspecteurs essayant de coincer un voyou caché au milieu du public d'un match de base ball). Et le film nous offre un tableau d'un Japon à qui la défaite a fait perdre tous ses repères et où les valeurs morales ont été remplacées par l'instinct de survie.
Mais surtout, le personnage de Murakami va voir son enquete se transformer en une longue interrogation sur lui-meme: ses attitudes de soumission à ses chefs sont héritées de son passé dans l'armée où régnait l'obéissance aveugle, il se met progressivement à comprendre et à partager le désespoir des gens qu'il poursuit ou interroge, l'homme qu'il poursuit lui fait se demander pourquoi il a choisi d'etre policier alors que dans des circonstances identiques d'autres ont choisi d'enfreindre la loi pour satisfaire leur besoin d'évasion de la misère. Tout ces tourments sont superbement exprimés par les regards de Mifune et les multiples plans de dos sur lui et exploseront dans une équence où il va réaliser que le tueur pourrait etre n'importe qui lui y compris. A l'opposé, le personnage de Sato joué par Takashi Shimura symbolise le recul, la maturité, la réflexion de celui qui accomplit son devoir sans se faire d'illusions sur la nature humaine. A eux deux, ils forment le meilleur duo de buddy movie de tous les temps.
Tout le film est imprégné d'une ambiance caniculaire qui pèse sur tous les personnages et Kurosawa arrive par ses cadrages de près à nous fair ressentir l'étouffement d'un bus où l'on s'entasse en plein été, l'attente rendue encore plus longue par le climat. Et tout explosera dans des séquences finales pluvieuses où toute l'intrigue du film va se délier.
Une disparition d'un flingue qui aboutit à une découverte de soi et du chaos d'une époque: Chien Enragé est un très grand polar, un commentaire social pertinent mais surtout une belle reflexion sur la nature humaine.
Un flic sans son gun, c’est comme un samouraï sans son flingue : un justicier dont l’existence n’a pas lieu d’être... Dans le rôle d’un bleu qui, au sortir de la guerre, s’engage dans la police pour ne pas sombrer dans la délinquance, les 2 seules issues apparemment possibles pour les Japonais de l’époque, le beau gosse Mifune Toshiro se fait voler son colt par une chaleur étouffante dans un bus par un réseau organisé de revendeurs d’armes. Kurosawa se régale alors à filmer son obstination à le retrouver par tous les moyens, à la manière du héros de Beijing Bicycle pour son vélo ou de l’héroïne de Pas un de moins pour son élève… Cette obstination est caractéristique des japonais en général : ce film, tourné 4 ans après les 2 grands éclairs nucléaires, rappelle inconsciemment que même après Hiroshima, les japonais ne s’étaient toujours pas avoués vaincus !
Mais Mifune va se confronter à son partenaire flegmatique incarné par Shimura Takashi, qui a beaucoup plus d’expérience que lui dans le domaine et qui va lui ouvrir les yeux en concluant : « retiens la leçon au lieu de te lamenter… ». On l’aura compris, les 2 géants Mifune et Shimura forment un duo parfait pour ce polar énergique qui nous plonge, document rare, dans le Japon urbain d’après-guerre. Très bien mis en scène évidemment, le film s’inspire des grands polars américains de l’époque, comme Kurosawa en était friand. Du régal en perspective…
Un polar signé Kurosawa intelligent, passionnant et merveilleusement bien foutu. L'histoire d'un homme qui par un temps de canicule manque d'attention et se fait voler son colt. Il fera tout pour retrouver le voleur. Se passant dans un été aride et suffoquant, Kurosawa instaure un climat etouffant, à l'image du temps. Les protagonistes sont tous issus de classe différentes, entre vieux marchands d'armes à la sauvette dans les bas-fonds japonais, les geisha et autres femmes de mauvaise vie, tous sont là pour renseigner le policier à la quête de son flingue, qui visiblement, lui attache autant d'importance que Mac Hammer pour son Betsi.
La réalisation n'a pris un sacré coup de vieux techniquement malgré une image abîmée et demeure toujours intéressante (travellings, plans serrés, éclairages réussis) dans un 1.33 volontairement étroit. Ceci dit, les cadres de Kurosawa sont souvent fascinants, avec plans séquences à l'appui. On est en 1949 tout de même, et le Maître montre déjà des signes plus qu'appréciables derrière la caméra. Un polar doté d'un scénario passionnant et au rythme soutenu, bercé encore une fois par la sensibilité japonaise, modèle du genre.
Esthétique : 3.5/5 - Les chevaux sont lancés. Musique : 3/5 - Particulière et lancinante. Interprétation : 4.25/5 - Un jeune Mifune particulièrement convaincant. Scénario : 4.25/5 - Travaillé et bien écrit.