Ordell Robbie | 4 | Portrait au scalpel de la famille japonaise, film marquant des 80's au Japon. |
Xavier Chanoine | 3.5 | Briser les clichés |
C'est parce que The Family Game appartient à cette époque où les nouveaux cinéastes talentueux comme Somai Shinji n'hésitaient pas à fustiger la société dans laquelle ils vivaient qu'on peut lui trouver d'innombrables qualités formelles et fondamentales. The Family Game c'est un uppercut dans la mâchoire, à la fois grand film social et grande critique grinçante de la famille typique japonaise comme on la connaît, à savoir le salaryman rentrant le soir complètement ivre, la femme au foyer et les deux enfants en plein dans leurs études. Simplement ici, la caricature extrême et la remise en question du système nippon sont évoqués par l'apparition d'un professeur propre sur lui, Yoshimoto-san (Matsuda Yusaku), chargé de motiver ses élèves pour réussir dans la vie de tous les jours et la vie scolaire. Shigeyuki est un de ces élèves là, forcé par ses parents et son école à être sous la tutelle de ce dernier : une chose est sûre, tous les moyens sont bons pour que l'adolescent trouve sa future école. Le malaise, rapidement ce sentiment envahit le spectateur parce que quelque chose cloche en Yoshimoto. Grand, élancé, charismatique et d'un calme presque troublant, ce dernier opère à coups d'intimidation grandement réfléchie. Viril mais correct. La simulation des maux de ventre de Shigeyuki pour sécher l'école ne seront plus que de lointains souvenirs, et lorsque Yoshimoto voit que ses méthodes -calmes- ne fonctionnent pas, le film prend alors des airs de comédie noire dont on n'attendait pas autant de la part du cinéaste : la première gifle restera dans les mémoires, tout comme la voix caverneuse de Matsuda Yusaku trouvant ici un rôle en forme de tremplin de carrière. Mais si The Family Game arrive à être inquiétant rien que par la présence de Matsuda, ses propos dépassent ceux du simple film d'ambiance. Effectivement la critique du système scolaire n'hésitant pas à humilier ses disciples est particulièrement virulente, confirmant ainsi les adolescents mauvais en adolescents perturbés : Shigeyuki est un élève mauvais, dans cette perspective il encaisse les foudres de ses camarades moqueurs aussi bien au sein de l'établissement que dehors. Et dans cette société -ce n'est pas nouveau- qui pousse les adolescents jusque dans leurs derniers retranchements -notamment dans le domaine scolaire-, l'ensemble des lieux semble être considéré comme le théâtre d'une forme de pression : la pression de la réussite, et lorsqu'il rentre le soir chez lui, l'adolescent s'enferme avec son professeur particulier dans sa chambre pour des séances de psychanalyse, car Yoshimoto n'est pas qu'un simple professeur, il est aussi un éducateur pervers à double visage. Le contraste est remarquable, il peut aussi bien être le mari que n'aura jamais madame Numata que l'emmerdeur de première.
Sa place prend aussi de plus en plus d'ampleur au fur et à mesure que le film avance, et un seul élément peut nous confirmer cette donne : le film enchaîne régulièrement dans son premier tiers les habitudes quotidiennes de la famille comme notamment lorsque monsieur Numata rentre du travail pour prendre un bain en buvant du lait de soja. La séquence où Yoshimoto demande à madame Numata si elle n'aurait pas du lait de soja est la confirmation : l'homme se sent de plus en plus chez lui et n'hésite pas à entretenir une relation très proche avec son élève. On peut penser à de la bisexualité car Shigeyuki confiera au bonhomme qu'il n'aime pas les femmes, mais avant de se rendre chez les Numata, Yoshimoto s'envoie très souvent en l'air avec une femme dont on n'en saura pas plus. Chaque séquence impliquant Matsuda et son personnage décalé laisse planer une drôle de sensation de malaise, de faux-semblant : l'entourloupe, le sens de faire ce qu'il veut de sa diégèse, Morita Yoshimitsu a absolument tout compris, à l'instar d'un Somai Shinji qui réussissait à créer un univers particulier avec des éléments réalistes (le système scolaire, le gangstérisme, la prostitution, le road movie...). Un exemple de cette belle synergie entre réalisme social et liberté artistique, c'est cette séquence du dernier repas en fin de métrage, sans doute l'une des séquences les plus impressionnantes que le cinéma japonais ai proposé. La famille à table avec Yoshimoto est placée de telle manière que la communication face à face est impossible (parabole un peu facile de l'absence de communication, certes). Puis au fur et à mesure que la discussion s'envenime, la famille dégénère tout en gardant cette forme d'hypocrisie qui tend à dire que tout va bien : Yoshimoto jette des nouilles et du vin, les gamins commencent à se battre, le repas se transforme en orgie alors que personne ne semble broncher. Résultat, Yoshimoto calmera tout le monde par la violence pour ensuite partir comme si de rien n'était, sans oublier, évidemment, de remercier ceux qui l'ont invité à dîner. Cette volonté de casser l'image de la famille modèle japonaise est admirablement imagée par cette séquence, définitive et mise en scène avec brio : distance du regard où la caméra de Morita fixe pendant presque 8 minutes en plan séquence les débats dignes d'une orgie. Les propos très modernes du métrage sont alors glissés le temps d'une séquence dans un registre très théâtral, plus à l'ancienne. La bande-son est aussi très intéressante, elle permet au spectateur de sentir le dégoût des repas où le moindre bruit d'aspiration, d'ingurgitement ou de machement témoigne déjà du fait de "casser" la belle image de la famille modèle. De plus la sécheresse du ton employé tout au long du métrage permet de décaler encore plus The Family Game d'un genre particulier, on ne sait pas très bien si l'on vogue entre une comédie, une satire ou un véritable drame, toujours est-il que le message est passé, le modèle est brisé, un cinéaste prometteur est alors né. Un film qui a marqué le Japon de son empreinte, un cinéaste comme Miike Takashi en fera un "remake" à sa sauce avec Visitor Q.