Tenebres83 | 3.75 | Jouissivement cynique et original |
Xavier Chanoine | 2.75 | Portrait tout sauf larmoyant |
Les Larmes de madame Wang nous est parvenu bien tard au moment de sa sortie en salles françaises. Sans doute parce qu’en 2001 on ne jugeait pas encore tout à fait raisonnable d’exporter les travaux des cinéastes chinois de la dernière génération autres que ceux de Lu Ye, Jia Zhang-Ke ou Wang Chao pour ne citer qu’eux, des cinéastes déterminés à s’opposer au cinéma bien plus commercial des voisins Zhang Yimou ou Chen Kaige. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir fait le tour des festivals. Ou alors la volonté de Zootrope de déterrer des œuvres honteusement passées sous silence par les distributeurs, comme celle de Liu Bingjian, radicalement différente du tout-venant auteurisant montrant les difficiles conditions de vie d’une certaine population chinoise. Ou du moins, le cinéaste préfère s’éloigner de la froideur clichée du cinéma « néoréaliste » d’un Jia Zhang-Ke ou de la dimension désespérée du Train de nuit (Diao Yi-nan, 2007), ce dernier décrochant difficilement le moindre sourire. Pour se faire, Liu Bingjian préfère évoquer le sort de cette « pleureuse professionnelle » à travers un regard aussi cynique que moqueur, déployant toute son acidité lors de séquences politiquement incorrectes. Comme cette introduction à Pékin, lorsque la police confisque les VCDs pornos vendus à la sauvette par Guixiang (madame Wang) avant de faire leur propre sélection. On comprend donc pourquoi le scénario n’a pas convaincu les autorités chinoises qui refusèrent de donner l’autorisation à Liu Bingjian de tourner.
A la différence d’un cinéma ancré dans une veine sociale déprimante, Les Larmes de madame Wang ne cache pas son caractère impoli. Outrage permanent où l’on se fait du fric sur le dos des morts, Guixiang retourne dans sa ville natale et, motivée par son amant, décide de travailler en tant que « pleureuse professionnelle » lors des cérémonies funéraires. Un moyen efficace de se faire de l’argent facile dans la mesure où la province de Guizhou semble être très souvent touchée par les décès : accidents, maladie, vieillesse, tout est planifié et épluché par le couple afin de saisir les opportunités les plus crades. Une des séquences les plus drôles du film est lorsque Guixiang et son amant commencent à copuler gracieusement avant de remballer leurs affaires après avoir appris un nouveau décès à la télé. Il y a de l’argent à se faire, et vite, compte tenu de l’absence cruelle de concurrence pour le moment. D’abord hésitante, Guixiang progressera au fur et à mesure de ses prestations –dont une pour un chien décédé- jusqu’à laisser ses fausses émotions de côté. En effet, le destin de son mari, incarcéré pour dettes et violence lui rappellera qu’elle n’est pas l’être détestable qu’on pense. Les séances de pleurs seront ainsi un bon moyen d’extérioriser la détresse du personnage, sans pudeur aucune. Cet intéressant portrait d’une femme bataillant pour un avenir meilleur manque sans doute d’un poil d’émotion pour trancher radicalement avec sa sécheresse. Et si Liao Qin est convaincante, ses larmes en fin de métrage ne sont pas suffisantes pour rendre son personnage, ici complètement désarmé face caméra, moins antipathique qu’il ne l’est. Une curiosité tout de même.