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moyenne
3.50/5
Filles, épouses et une mère
les avis de Cinemasie
2 critiques: 4.25/5
vos avis
8 critiques: 3.69/5
Une incroyable merveille.
Si on m'avait dit que Naruse Mikio était capable de retracer tout le quotidien d'un foyer moyen et d'y établir une chronique bouleversante en deux petites heures, j'aurai sans doute émis quelques doutes. Pourtant le "quatrième grand" livre ici l'un de ses plus beaux films et sans aucun doute l'un des plus bouleversants qui soit, déployant tout son panel d'idées du quotidien purement délirantes, mêlant et entremêlant les discussions féminines autour d'un thé ou d'un repas festif, et jouant avec les codes du genre (romance, drame) pour finalement asséner un grand coup de marteau cinématographique sur le crâne de son spectateur.
On y distingue deux drôles de sensations dans cette formidable oeuvre. Des sensations aussi fortes que variées, où le rire et la frustration gagnent sur l'ennuie qui aurait pu tranquillement s'installer sans rien dire. Et bien les craintes sont dissipées, dès les premières minutes nous ressentons le pouvoir immersif de l'oeuvre, qui par l'intermédiaire d'un casting démentiel réussit le tour de force de tenir le spectateur en haleine simplement par la puissance narrative et l'intérêt que Naruse Mikio porte à ses femmes, épouses, filles et mères. Car oui, il n'y a pas qu'Almodovar dans la vie, Naruse sait lui aussi dresser des portraits fantastiques, généreux et drôles au possible. Hara Setsuko ou encore Takamine Hideko illuminent cette formidable chronique de leur prestance, leur charme et leur incroyable facilité à distiller les émotions les plus primaires (joie/tristesse, hop!). Saluons l'étonnante composition de Nakadai Tatsuya dans la peau d'un amoureux un peu benêt aux yeux qui en disent long sur son charisme, de même que Kusabue Mitsuko, Uehara Ken ou encore Ryu Chishu qui apparaissent le temps de quelques scènes, mais suffisantes pour nous faire esquisser quelques sourires.
Ce Filles, épouses et une mère est décidément effrayant de facilité. Les séquences les plus drôles (la virée de la joyeuse troupe en campagne, caméra super-8 à la main, la projection de leur film) côtoient d'autres moments particulièrement tristes (l'amour impossible de Sanae, la banqueroute, l'enterrement) et alignent l'étonnante satire de questionnements importants et d'actualité : la condition des personnes âgées, l'héritage mal partagé, etc. Quel plaisir aussi d'y trouver chez Naruse Mikio quelques bribes d'un Ozu, surtout dans cet aspect purement formel avec d'innombrables gros plans et de "panoramas" d'intérieur forçant l'admiration tant ils s'avèrent parfaits. Notons aussi ce splendide passage dans la campagne nippone, sous un soleil éclatant (les teintes chaudes ressortent de plus belle). Bref, que retenir de cette réussite totale? Des rires à foison? Des inquiétudes? Les bonnes bouilles des protagonistes? Non, retenons simplement Filles, épouses et une mère, le film de Naruse Mikio.
Derniers feux du film de chambre japonais
Difficile de ne pas frémir d'admiration devant cet admirable film choral, qui semble presque un dépassement de l'oeuvre qu'Ozu était en train de construire et achever au même moment. Le film ressemble en effet à s'y méprendre à un film de l'aîné de Naruse et pas seulement en raison des choix de casting (même l'acteur fétiche d'Ozu, Chishu Ryu, a un petit rôle).
Voici donc une famille de cinq enfants et leur mère. L'aîné (Masayuki Mori) occupe la maison familiale avec sa mère, sa femme, épouse traditionnelle corvéable à merci (Hideko Takamine) et son petit garçon (génial et utilisé à bon escient, comme toujours les enfants chez Naruse). Doté d'une bonne position dans les affaires, il a cependant prêté de l'argent à l'oncle de sa femme, qui va faire faillite. Vient ensuite une première fille (Setsuko Hara), rejetée par sa belle-famille suite à son veuvage et qui va devoir réintégrer le foyer (avec un million de yen d'assurance-vie). La seconde fille souffre le martyr en raison d'une belle-mère envahissante (la géniale Haruko Sugimura) et d'un mari terne. La troisième fille est la jeune fille japonaise moderne et délurée typique des années 1960 (Reiko Dan) et son jeune frère a le même profil (il est photographe).
On est confondu par la maestria avec laquelle le scénario parvient sans efforts à nouer les fils entre les destins et préoccupations des six personnages de cette famille (et de leurs conjoints) autour d'intrigues qui ont trait au sujet éternel du roman victorien : l'amour et l'argent. Tout le monde a besoin d'argent : Mori pour apurer ses dettes, Hara pour vivre et s'occuper de sa mère, les cadettes pour trouver un logement indépendant. Et cette pesanteur des soucis d'argent affecte naturellement les relations familiales, jusqu'à ce climax terrible d'une réunion de famille où seront discutés la vente de la maison et le devenir de la mère. Sur ce thème des soucis ordinaires d'une famille ordinaire (thème narusien s'il en est) se greffent des motifs secondaires finement amenés. Setsuko Hara doit-elle céder à un nouveau mariage arrangé ou épouser le jeune Tatsuya Nakadai (lui aussi est là, quel casting!) ? les belles mères sont-elles condamnées à l'hospice par la mutation en cours de la famille traditionnelle japonaise et la fin des trois générations sous un toit ? Le film se termine très abruptement, comme s'il n'était pas possible de donner une fin à un feuilleton ou un soap opera (car c'en est un).
Magnifiques images en Toho Color, probablement le meilleur casting possible de l'âge d'or du cinéma japonais, élégance du récit et profondeur des préoccupations : un film marquant de cette année 1960 qui voit un Naruse au sommet de son art sortir quatre (4!) films dont deux chefs d'oeuvre (celui-ci et Quand une femme monte l'escalier).
Amours et dettes
La particularité de ce
Filles, Épouses et une Mère réside dans le fait qu'on peut clairement diviser le film en deux parties: l'une, touchante et romantique, qui raconte l'idylle entre Setsuko Hara (sublime, comme toujours) et Tatsuya Nakadai; l'autre, plus conventionnelle, où nous est montré le quotidien d'une famille nippone de classe moyenne aux prises avec quelques difficultés pecuniaires. On vouera sans hésitation notre préférence à la première, dont les allures de grand mélo universel et intemporel évoquent le Naruse des meilleures heures (le fabuleux peintre des sentiments du
Grondement de la Montagne et de
Nuages Flottants) tout en regrettant que la seconde prenne un peu trop de place dans le récit. Une œuvre inégale, sans cesse tiraillée entre une veine lyrique et passionnée et un académisme de bon aloi mais peu palpitant. Brillante utilisation du scope et de la couleur.