Tong Xue Men! Ce fut une aubaine pour une dizaine de spectateurs présents ce lundi 7 juillet au festival Paris-Cinéma d'assister à une petite rareté du cinéma chinois populaire, Le Détachement féminin rouge dans sa première version. Très grand film de propagande mais aussi belle et parfois éclatante réussite du cinéma d'aventure au sens le plus noble du terme, ce classique absolu du cinéma chinois des années 60 vaut pour sa générosité outrancière et ses idées de propagande véhiculées avec la finesse d'un tank surchargé prêt à dévaler des parterres des mines. Il faut le voir pour le croire, ce film tourné quelques années avant la révolution culturelle chinoise est un authentique film d'aventure, parfois dramatique, porté par des interprètes aveuglés par cette idée de montrer au peuple chinois leur dévotion envers l'Armée Rouge et le Parti Communiste. Ici, les despotes locaux sont montrés comme arrogants, veinards, exploiteurs de la misère humaine et surtout étiquetés comme étant machiavéliques et très riches. Un exemple? Nan Ba-Tien, riche exploitant de terres, capture la jeune Qiong-Hua afin de la prendre comme boniche pour son manoir. La jeune femme est très vite humiliée et torturée par ses sbires et cela ne semble même pas effleurer son intendant (caricaturé à l'extrême par sa mocheté et son côté "perfide" naturel). Un beau jour, un homme se faisant passer pour quelqu'un de puissant (et qui est en fait le leader du Détachement féminin rouge) décide de rencontrer Nan Ba-Tien, mais son but est d'aider les captives à s'échapper de la demeure du riche homme. Il décide donc d'acheter la dernière captive, Qiong-Hua, afin qu'elle puisse réaliser son rêve : rentrer dans l'Armée Rouge, servir le Parti et venger la mort de ses parents. Avant de la laisser seule face à son destin, le leader lui donne quelques précieux sous qui seront en fin de métrage une des nombreuses symboliques communistes parsemant l'oeuvre dans son intégralité. Seule mais pourtant pleine de courage, Qiong-Hua rencontre sur son chemin une jeune femme qui souhaite elle aussi rallier la cause prolétaire pour se dresser contre les vils capitalistes, toutes deux vont alors faire un bout de chemin ensemble afin de rejoindre le Mont Roux, quartier général reculé du Détachement féminin rouge.
Dès que les deux femmes obtiennent l'accord de leur commandante pour rejoindre l'Armée Rouge, malgré leur absence totale d'expérience dans le domaine si ce n'est cette haine aveugle envers les capitalistes, le film va alors gagner en intensité et en qualité. Le rythme s'accélère au son des chants patriotiques, les femmes deviennent de véritables soldats soumis à la discipline et à une bonne ligne de vie (Parti Communiste oblige, telle est l'image que nous renvoie le cinéaste), elles ont le regard droit, toujours lancé vers l'avant, la tête haute, avancent fusil à l'épaule en direction de l'ennemi. Et si Qiong-Hua manque encore d'expérience, elle sera rapidement pardonnée parce que tout membre du détachement féminin rouge se doit d'être solidaire les uns des autres, prêt à endurer les punitions avec son alter ego plutôt que de le laisser seul dans une telle situation : la jeune femme, sur le chemin de Nan Ba-Tien (allongé sur son trône porté par son armée d'esclaves), tente pendant un moment de se faire justice elle-même en voulant assassiner de sang froid celui qui la maltraita sous la pression de son fouet, tentative échouée qui se soldera par un sermon de la part du leader du détachement et qui annoncera par la même occasion une déferlante hallucinante de symboliques cirant les pompes du Parti Communiste. Il y a d'abord ce formidable dialogue entre Qiong-Hua et son amie, rêvant toutes deux des merveilleux et glorieux jours qu'elles vivront lorsqu'elles pourront adhérer au Parti, il y a aussi ces insultes à peine suggérées lancées à l'encontre des vilains capitalistes, l'omniprésence du drapeau rouge lors des séquences de batailles, cette capacité à montrer le soldat rouge luttant corps et âme pour défendre son parti, même un bras en moins : la séquence où le leader Hong lâche ses dernières forces sur une mitraillette pour finir par dégoupiller deux grenades au prix d'un effort surhumain, sous la musique plus pompière tu meurs concoctée par Huang Zhun, est un très grand moment de cinéma propagandiste. De même que cette formidable séquence où une des femmes soldats reçoit une balle fatale, elle s'écroule mais une seconde femme apparaît pour se saisir du drapeau communiste que la jeune femme portait alors avant de tomber : le drapeau rouge, symbole du communisme, ne touchera jamais terre. Passons aussi les séquences grotesques de propagande où Qiong-Hua, par son courage et sa dévotion à l'Armée Rouge, se fait opérer sans anesthésie d'une balle reçue dans l'épaule avant de lancer un "ses coups de fouet m'ont fait plus de mal que cette balle". Comme quoi faire parti de l'Armée Rouge donne une force et une résistance surnaturelles. Admirable.
Pas cautionnable mais admirable par sa générosité débordante, Le Détachement féminin rouge est aussi une oeuvre vieillie, mais artistiquement très réussie. Les beaux paysages naturels sont ainsi magnifiés par une mise en scène usant souvent de l'exagération pour véhiculer des idées de propagande, comme quoi l'endoctrinement peut se faire simplement par l'évocation de l'image : les visages blafards des capitalistes filmés en contre-plongée comme pour les rendre terrifiants, cette omniprésence d'une partition sombre et inquiétante lorsque les despotes sont à l'écran, la lâcheté de ces derniers (captif, Nan Ba-Tien simule une envie d'aller aux toilettes avant de s'extirper par une trappe souterraine) et leur faculté à impressionner par leur physique déstabilisent, voilà de belles preuves de propagande purement visuelle. Ils ont aussi le pouvoir de corrompre les hommes par l'argent. Mais malgré tout le film est joliment cadré, correctement monté avec de jolis raccords sur les visages et bénéficie d'effets spéciaux bien faits où le drapeau communiste apparaît par exemple en second plan pour se mêler au visage conquérant des jeunes femmes. Certaines sont mortes certes, mais elles auront servi l'Armée, c'est l'essentiel. Et juste après avoir reçu l'aval du Parti Communiste pour son ralliement, Qiong-Hua rendra les quelques pièces reçues par le leader à ce dernier car elles représentent une première cotisation au Parti. Malgré des idées franchement douteuses, et un concept uniquement propagandiste, Le Détachement féminin rouge est une très grande réussite du cinéma chinois populaire qu'on ne verra sûrement plus jamais sauf dans le cadre d'évènements extraordinaires. A condition que la copie tienne le coup...