Yann K | 4.5 | Etonnant, audacieux, poignant et une fin sublime |
Xavier Chanoine | 3.5 | Murmures glaciales |
Sonatine | 4.5 | Sur les traces de Tarkovski |
Ordell Robbie | 4 | Bonne Distance |
Kore-Eda s'est fait un nom avec deux films, Maborosi et After Life, aux scénarios un peu trop théoriques. Résultat, des oeuvres interessantes mais froide dans le cas de After Life. L'homme était à suivre, ne serait-ce que pour ses interrogations passionantes sur la vie après la mort, question qui taraude le Japon actuellement, de Kaïro à Ring.
Distance est une surprise permanente, et une divine. Le film semble figé, avec sa construction en trois grosses parties, subdivisées en éléments très bousculés, avec des flash-backs, images mentales et tantôt des plans fixes très composés, tantôt de la caméra portée façon dogme. Mais cette construction est tellement complexe qu'elle échappe justement à tout carcan. Kore-Eda s'est laissé aller à l'improvisation et au cadre "mouvant" pour réaliser un film libre sur la liberté.
Le résultat est un constant aller-retour entre la vie et la mort, le passé et le présent, qui fait monter petit à petit une émotion poignante. On finit par savoir beaucoup de choses sur ses personnages et, à la fin, on ne veut plus les lâcher. Le début est "hard", parce que après une présentation saccadée et en parrallèle de chacun (très Chungking Express), le film part en forêt pour une ballade dont on ne connaît pas le but. C'est un peu énervant, même si on se sent bien avec cette petite bande sympathique. Un artifice de scénario stupide (vite oublié) oblige les personnages au huis-clos. C'est alors que le film, les personnages, et les esprits, se dérèglent.
Kore-Eda essaie de retrouver de la vie après la mort, de la communication entre des inconnus seulement liés par le deuil. C'est le film le plus poignant et le plus juste jamais réalisé sur les sectes, sur la difficulté de l'engagement (collectif et affectif), sur le vide spirituel de nos société. Il s'attaque à de très gros sujets et les embrasse tous, dans une tension permanente. Distance culmine dans une dernière partie qui aligne les moments sublimes. Kore-Eda veut conclut sur des notes d'espoir.
Puis un dernier mystère fascinant nous fait gamberger, sur une seule réflexion d'un des anciens de la secte. Il rapporte un propos de la fille dont il était amoureux (adepte elle aussi), à son frère: "Elle m'a dit que son frère s'était suicidé". Alors soit le frère ne sait pas qu'il est censé être mort (trip "Sixième sens"), soit il avait un autre frère dont il a ignoré l'existence, soit sa soeur était une mythomane embrigadée par la secte, et l'ancien adepte est alors encore "aveuglé", etc... Le film s'attache alors à ce frère qui fouille dans son passé. La dernière image, violent appel à tout foutre en l'air, est une des plus sidérante de cette année. Distance n'a pas eu de chance à Cannes (passé en premier, noyé dans trop de films sur le deuil, etc...) mais il mérite d'être acceuilli avec les honneurs.
Bande annonce
Il se dégage de Distance une liberté belle et complexe. Une liberté de style, le filmage rappelle le Koreeda réalisateur de documentaires, pour sa caméra portée tentant de se faire une place à travers les fougères, tout en ciblant des instants de vie pris à la volée. Kawase Naomi fait aussi partie de cette école. Mais une liberté prise également au niveau de la structure, délicate, le Koreeda monteur évitant les chemins balisés en complexifiant cette même narration par de nombreux retours en arrière brumeux qui trouvent, peu à peu, de réelles significations. Le spectateur comprend alors les raisons qui poussèrent les proches des protagonistes à rejoindre cette fameuse secte. Ces images, parfois très courtes, déstabilisent par leur silence ou leur violence : Terajima Susumu seul à une table de restaurant ou encore Natsukawa Yui incapable de raisonner son mari (Kenichi Endo) déjà absorbé par sa nouvelle religion sont autant de moments forts que d’images marquantes, chacune à leur niveau. Koreeda Hirokazu impressionne par le pouvoir des images qu’il confectionne avec Yamasaki Yutaka (Shara), qu’elles soient impassibles ou agitées.
Mais au-delà de ça, Distance glace par ses absences. Effectivement il est difficile de savoir clairement où l’on va, qui est réellement qui et comment cette balade va finalement se terminer. Comme il est difficile de comprendre comment une voiture et un vélo peuvent disparaitre comme par magie, obligeant une bande d’amis et un inconnu à partager plusieurs nuits au sein d’une maisonnette qui fut le théâtre d’un massacre orchestré. Cette petite malice d’écriture s’ancre finalement bien dans l’atmosphère irréelle qui se dégage du film, dont on peut aisément ressentir la présence des morts et une certaine instabilité mentale. Loin du brouhaha de la ville et de sa carapace étouffante, celle-là même qui semble avoir poussé une centaine de personnes à rejoindre les rangs des marginaux religieux, sommeille une insondable douleur, asphyxiante et non définie, réduisant les souvenirs des protagonistes en étranges murmures. Distance est un film à fleur d’âme.
Avec Distance, Kore-eda confirme qu'il est un cinéaste japonais à suivre tout en traitant de façon subtile du problème des sectes.
Comme After Life, le film brille par son scénario très bien écrit. Si le film s'inscrit dans l'actuelle tendance thématique de la difficulté d'être en paix avec les morts, on est plus proche de la légèreté et de la pudeur d'un Sous le Sable que de la lourdeur pachydermique des dérives ambulancières scorcésiennes. Le script fait habilement des allers-retours entre le passé des suicidés et le présent de leurs proches. Surtout, Kore-eda insiste bien sur l'aspect "sans problèmes, salariés modèles" des suicidés. Ce faisant, il refuse toute explication sociologique, préférant lui substituer un caractère inexplicable beaucoup plus dérangeant.
Le film a également un fort sens du quotidien et de l'intime. De ce point de vue, Kore-eda est beaucoup aidé par ses acteurs qui montrent l'étendue de leur registre: Tadanobu Asano est remarquable de sobriété dans un rôle aux antipodes de ses rôles too young, too fast chez Iwai et surtout Susumu Terajima est remarquable de rage contenue (surtout dans la scène du restaurant où sa femme, accompagnée d'un membre de la secte, lui annonce que cette "religion" lui apporte plus que son couple et dans la scène qui suit où il rumine son désespoir seul dans le restaurant) dans une performance aussi remarquable que ses rôles de gangsters kitaniens.
Venons-en aux limites de la mise en scène. Durant la première heure du film, Koreeda n'est pas toujours inspiré dans son usage de la caméra à l'épaule lors des scènes d'extérieurs. Caméra reflétant heureusement souvent le désir d'un "regard de documentariste" synchrone du passé professionnel du cinéaste mais n'évitant pas toujours le seulement brouillon. Heureusement, la caméra se calme épisodiquement pour saisir au vol des moments du quotidien (préparation d'un sushi). Elle va totalement s'apaiser durant la deuxième heure. Dans ces moments contemplatifs, Koreeda permet alors au regret, à l'incompréhension, au désir de repartir à zéro (la superbe séquence finale) de se déployer pleinement. Il trouve alors toujours la bonne distance.
Avec ce film, Kore-eda aura au final offert le film l'imposant définitivement comme un talent à suivre du cinéma japonais contemporain.