Ambitions universelles
Les cinéastes iraniens sont particulièrement doués pour installer des personnages, des enjeux et de l’intérêt avec très peu d’artifices : champs / contre-champs dans une voiture, plans fixes ou lents travellings peu démonstratifs, petit village rural assez banal, la mise en scène est totalement au service d’une intrigue parfaitement écrite, ménageant à la fois un certain suspens, mais également un champ de réflexion très large pour le spectateur qui souhaite franchir le pas. Il faut dire que le réalisateur de ce Djomeh (prénom du jeune héros afghan ayant fui son pays pour l’Iran), Hassan Yektapanah, est allé à bonne école puisqu’il fut l’assistant d’Abbas Kiarostami sur Le goût de la Cerise avant de signer son premier film.
Fable universelle sur l’immigration, Djomeh nous démontre avec brio et simplicité que quelque soit sa condition sociale, son origine ou sa religion, l’Homme ne peut réfréner ses rêves, ses ambitions, ses désirs, ses amours, sa recherche du mieux-être et de l’accomplissement personnel, et qu’il est illusoire de vouloir les contrarier sous peine de provoquer le malheur et la frustration. Car le cas du jeune Djomeh est atypique : il n’a pas seulement fui l’Afghanistan du fait de la guerre et de l’instabilité, mais avant tout suite à un conflit sentimental. Amoureux d’une femme 12 ans plus âgée que lui, il suscita la controverse et les ragots autour de lui jusqu’à devoir quitter son village pour l’Iran voisine en compagnie de son oncle. Existerait-il alors une immigration amoureuse là où l’on ne voit de loin qu’une immigration économique ? « Les jeunes croient tous que l’herbe est plus verte ailleurs », nous dit un vieil iranien dans l’épicerie du coin. « Les afghans émigrent vers l’Iran, les iraniens vers le Japon, et les japonais vers les USA ! ». Djomeh, lui, n’aspire qu’à créer un foyer dans son pays d’accueil avec une femme qu’il aime, sachant pertinemment au fond de lui qu’il ne retournera jamais d’où il vient, quitte à subir le conservatisme xénophobe des autochtones et les jets de pierre des enfants malgré le fait qu’il soit musulman comme eux ! Le rejet de l'autre est lui aussi universel...
Les pérégrinations de ce personnage immédiatement attachant dans sa lutte pour une intégration honnête par le travail et la famille, avec l’aide d’un vendeur de lait indépendant sensible à sa vision à la fois sage et opportuniste de la vie, s’achèvent sur un point d’interrogation laissant libre court à nos interprétations : une porte se ferme. Mais, nous dit l’oncle, « dans la vie il y a des hauts et des bas, et les portes fermées finissent toujours par s’ouvrir ». On aimerait le croire.