Retour sur une œuvre maudite du réalisateur coréen, que j'avais une première fois découverte peu de temps après sa finalisation en un "rough cut" primaire et sans sous-titres et au moins aussi mal aimé que la plupart des critiques et commentaires laissés sur ce site.
Puis l'introduction à son œuvre le temps de la projection de son film à Saint Etienne, puis un second visionnage m'aura fait tomber profondément amoureux de son œuvre – peut-être pour des raisons plus personnels, que pour ses qualités relatives – mai n'est-ce pas le propre d'un artiste de pouvoir toucher autrui par son œuvre ?
Pour moi, Kim Ki-duk aura livré son œuvre-somme avec "Printemps, été…". Un film parfait, qui traite toutes ses thématiques habituellement explorées en une œuvre posée et réfléchie, aussi personnelle qu'universelle dans sa portée. Une oeuvre, qui se pose avant tout la question du statut de l'artiste vis-à-vis de sa propre œuvre, mais aussi envers ceux avec lesquels il les partage. Profondément touché par les virulentes critiques émises suite au malheureux succès national de son "Bad Guy", qui avait surtout marché en raison de la campagne de marketing savamment orchestré par les producteurs de CJ Entertainment, qui avaient su profiter du vedettariat de l'acteur principal, adulé pour sa participation à une série tél à l'époque. Les fans de l'acteur n'avaient jamais véritablement pardonné au réalisateur d'avoir été autant "floués" par rapport à une historie profondément anti-commerciale, qui avait donné tout sauf le beau rôle à leur acteur chéri.
Kim Ki-duk avait enchaîné par deux œuvres questionnant l'identité de l'être humain – et surtout des coréens face à leur propre histoire avec "Coast Guard" et "Adresse inconnue". "Printemps, été…" était avant tout la thérapie de son mal-être face à des œuvres mal comprises.
Il avait ensuite su rebondir avec ses deux magnifiques "Samaritan Girl" et "Locataires", qui n'exploitaient plus une certaine représentation de la société coréenne et de l'individu, qui en découlait, mais se focalisait sur l'individu en lui-même au sein de la société coréenne; mais déjà, Kim entamait sa traversée de désert artistique. Incapable de se renouveler, prisonnier de la pression des coproducteurs internationaux et de ses propres idées tournant en rond, "Arc", "Time" et Souffle" ne représentaient que des vagues resucées de ses anciens titres de gloire.
"Dream" tombe également dans cette catégorie, mais – plus que ses trois précédents – semble un véritable cri de désespoir de l'univers dans lequel il s'est lui-même enfermé.
Le scénario s'inspire d'un classique de la littérature asiatique, "Le Rêve du papillon "de l’auteur chinois Tchouang Tseu. L'histoire raconte en gros comment un homme s'endort un jour dans un jardin, en se rêvant être un papillon, qui virevolte de ci et là pour s'endormir à son tour et se rêver…dans la peau de cet homme. A son réveil, l'homme ne sait plus, si c'est lui qui s'est rêvé papillon ou si c'est le papillon, qui n'aurait pas rêvé de lui.
C'est exactement tout le propos du film et Kim Ki-duk fait référence à cette histoire largement méconnue en Occident en multipliant les motifs du papillon.
Au-delà de cette histoire peut-être un brin maladroitement exploitée en vue de son postulat génialissime, on a une nouvelle fois plusieurs couches de lecture.
La première est évidemment celle de l'individu en lui-même. Qui sommes-nous par rapport aux autres ? Qu'est-ce qui fait notre singularité et nous distingue des autres ? Comment s'adapter dans notre environnement immédiat, etc.
Le second niveau est celui du couple. Qu'est-ce qui nous anime à tomber amoureux d'autrui ? Comment vivre une relation ? Comment en faire le bonheur et le deuil ? Comment savoir se reconstruire. Les clés sont données très simplement par Kim et parfaitement assimilables avec ces deux jeunes êtres, incapables de faire le deuil de leurs histoires passées respectives, qui devront dompter leur orgueil pour reconnaître d'être fait l'un pour l'autre et qui – surtout – devront outrepasser leurs pulsions passionnées qui les avaient habitées jusque peu pour s'apprivoiser mutuellement et savoir s'aimer d'un amour pur. La singularité de leurs êtres respectifs, l'Histoire qui les a construits va leur jouer plus d'un mauvais tour avant éventuellement se trouver…au-delà d'une mort évidemment symbolique par rapport à une vie passée.
Ensuite, il ya la partie la plus passionnante, celle de l'artiste face à son œuvre…Et une fois de plus Kim met énormément de lui-même, depuis sa vie passée (réminiscence de son apprentissage en tant que moine, qui lui aura fait comprendre, qu'au-delà du partage – faire tinter une cloche à deux – on se retrouve finalement bien seul face à un Dieu absent – aucune réponse donnée, quand on fait sonner la cloche tout seul), face à sa propre œuvre , jusqu'aux terribles doutes, qui l'assaillent. Les œuvres d'art achevées deviennent des entités anonymes (aucun personnage ne s'arrête jamais pour admirer les œuvres d'art, qui parsèment pourtant leurs habitations), le personnage principal s'évertue à graver une tampon-encreur intitulé "Dream" (s'échiner à produire du "rêve") et finalement l'Art devient une véritable torture (le personnage principal dit n'avoir que des "rêves fous" et il va finir par s'automutiler en se servant de son instrument de travail pour s'écorcher sa propre "tête pensante"). Kim Ki-duk se sent définitivement extrêmement isolé dans la cinématographie nationale – voire même mondiale après le désintérêt évident de la plupart des festivals internationaux suite à l'échec de ses derniers films.
Alors, il crie ce désespoir, en filmant une histoire beaucoup plus simple qu'à l'accoutumé avec des métaphores grosses comme des maisons (le salut dans la mort; etc). Simpliste…oui, mais également le chemin le plus court pour clamer son désespoir. C'est un homme perdu, extrêmement mal dans sa peau, qui voit dans la Mort le seul échappatoire possible de l'enfer de la vie humaine…Oui, mais même le suicide devient souffrance et ridicule; aidé par la société à vouloir se donner la mort (colocatrice, qui fait la courte échelle pour aider sa copine de cellule à se pendre), LUI se rate totalement en s'échouant lamentablement sur une rivière glacée, au lieu de se noyer comme prévu. Ce serait comme se jeter tête la première dans une piscine qui se serait vidée de son eau au moment de l'impact ou tenter de se suicider avec un pistolet…d'eau.
Le 4e niveau de lecture, c'est une autre question chère au réalisateur; c'est la métaphore de l'impossible histoire d'amour des deux amants de celle de l'impossible rapprochement des deux Corées…
Kim est au plus mal – et il le sait. Alors qu'il avait tourné un à deux films par an depuis 1996, il n'a plus rien tourné depuis deux ans; en revanche, il a aidé deux de ses anciens assistants en cosignant des scenarii et produisant leurs premiers films ("Beautiful" et "Rough Cut"), comme pour passer un relais invisible.
Un film mineur en apparence, mais majeur dans l'évolution de la propre carrière du réalisateur; un peu comme "Arizona Dream" dans la carrière de Kusturica…
En même temps, Kim Ki-duk n'aura jamais été aussi bon qu'au plus mal de son propre être…Le rebond sera pour bientôt; j'en suis intimement convaincu.
Le rêve et l'évasion ont toujours été des thèmes présents dans les films de KIM Ki-Duk. Mais depuis "Bin Jib" en 2004 jusqu'à ce jour avec "Dream", la manière d'utiliser ces thèmes s'est inversée, résolument harmonieux et utopique, son cinéma est désormais radicalement opposé a la réalité crue et sans détours de ses premiers films ("Samaria", "Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps", "Adresse Inconnue", "Bad Guy", "l'ile"...).
Je n'ai pas apprécié "Dream", et ce n'est pas vraiment une surprise. Le style et l'auteurisation trop exagérée de ses histoires me lassent. KIM Ki-Duk a fini par tuer la poésie a vouloir trop en faire. Même au niveau du casting, faire jouer ODAGIRI Joe avec LEE Na-Yeong n'a aucun sens. Cette actrice n'a pas d'envergure et ne peut en aucun cas sortir de ses personnages loufoques dans des comédies coréennes bien grasses.
