Junta | 3.75 | Fruit Chan ne retrouve pas la puissance narrative de sa précédente trilogie. |
Ordell Robbie | 3.25 | Fruit Amer |
MLF | 3.25 | |
Anel | 3 | |
Ghost Dog | 3 | Les apparences sont trompeuses |
Durian Durian narre l’histoire d’une jeune chinoise qui va à Hong-Kong se prostituer pour amasser un maximum d’argent, et ce durant les trois mois que dure son visa. Puis elle retournera en Chine Continentale et retrouvera ses amis d’enfance ainsi que les souvenirs qui les entourent.
Après une trilogie sur l’état d’HK d’avant et pendant la rétrocession, Fruit CHAN Goh s’attaque aux problèmes de l’Eldorado que peut représenter la péninsule aux yeux des chinois, Eldorado qui ressemble plus à un mirage qu’à une mine d’or (même si elle y gagne beaucoup d’argent). En effet pour les Chinoises Continentales, le moyen de gagner le maximum d’argent avant la fin de l’expiration de leur visa est la prostitution.
Chan ne nous montre pas cette prostitution de manière lugubre, celle de Yan (QIN Hai-Lu) n’est pas subie mais choisie ; c’est elle qui décide de la pratiquer pour ramener de l’argent à ses parents. Cette histoire occupe la première partie du film, c’est de loin la plus alerte. On y voit les conditions de « travail », comment cela s’organise, … le tout sans aucun voyeurisme ou misérabilisme. La seconde partie sur le retour de Yan en Chine, même si elle demeure intéressante, n’empêche pas la sensation d’un léger ennui nous envahir car elle est très lente. On y voit sa vraie vie, ainsi que ses souvenirs d’enfance liés à des objets, des lieux, des sensations. La réalisation de Fruit est plus épurée, fini les mouvements de caméra et les effets stylisés présents dans sa première trilogie (déjà son second opus The Longest Summer était moins stylisé que Made in Hong Kong) ainsi le film se pose encore plus comme un documentaire. Cette sensation est renforcée par le fait que Fruit Chan a pris l’habitude de composer son casting uniquement par des acteurs non-professionnels. Ces derniers s’en sortent très bien, Qin Hailu en tête.
On peut donc dire que Durian Durian est un bon film, qui aborde (une fois de plus pour son réalisateur) un sujet difficile ; malheureusement le rythme imprimé lors de la première partie n’est pas maintenu durant la seconde et rend la fin un peu longuette. Quand même fortement recommandé !
Après un Longest Summer intéréssant mais dont la belle mécanique s'enrayait à l'approche de la rétrocession et un Little Cheung où la structure éclatée n'arrivait pas à faire sens, on pensait que Fruit Chan, s'il restait un cinéaste hongkongais intéréssant, resterait l'homme de son superbe Made in Hong Kong. Durian Durian, s'il n'arrive pas à la cheville de ce dernier film, demeure très intéréssant et voit Fruit Chan se renouveler après avoir fait le tour de la rétrocession avec sa trilogie des années 90.
A la question de la rétrocession, Durian Durian substitue celle des rapports entre Hong Kong et la Chine continentale. Cette question est au centre de la construction formelle et narrative du film. Le film se divise en deux parties: une première décrivant le quotidien des continentales venues faire fortune à Hong Kong par la prostitution, la seconde sur le retour de l'une d'elles sur le Continent. Dans la première partie, Fruit Chan réussit à donner un sens à la structure éclatée déjà vue dans Little Cheung. Et surtout, il réussit à l'incarner au travers du fruit qui donne son titre au film dans le plan où l'on voit un durian éclaté faisant écho à un Hong Kong sans repères et désordonné. Ce fruit très piquant difficile à ouvrir et qui une fois ouvert dégage une odeur forte insupportable mais obsédante reflète parfaitement une ville vue comme terre promise productrice au final de désillusions mais qui reste dans les mémoires de ceux qui y ont tenté leurs chances. Pour en revenir à l'éclatement dans le film, il s'incarne aussi dans le style documentaire et très haché de la réalisation de sa première partie qui semble rendre compte d'une ville du changement perpétuel. La seconde partie du film est réalisée de façon plus contemplative. Cela peut décevoir au premier abord mais ce choix se justifie totalement pour rendre compte d'une Chine inerte en dépit de changements apparents -fascination pour le monde anglo-saxon entre autres-. Surtout, cette seconde partie est d'une tonalité plus nostalgique, tournée vers les jeunes années de celle qui est revenue sur le continent ce qui renforce un choix rythmique qui fonctionne très bien lorsqu'il s'agit d'exprimer ce sentiment (cf le cinéma de Hou Hsiao Hsien). La lenteur est donc le sujet de cette partie qui est très bien réglée d'un point de vue rythmique. Surtout, la variation de rythme entre les deux parties produit un effet de contraste des plus saisissants qui fait ressentir au spectateur de façon très forte l'idée de cassure à l'intérieur d'un meme pays.
Parmi les autres aspects réussis du film, on a le refus de dramatiser des situations à fort potentiel pathétique: le rapport des prostituées à l'argent et les différences de salaire liées à leurs différences d'ages sont évoquées avec un grand calme et ne débouchent pas sur des scènes mélodramatiques. De meme, la scène où l'un des voyous est assommé avec un durian est filmée sans désir de sentationnalisme et de façon très suggérée et il n'est ensuite pas dépeint comme un revanchard enragé. Les choix musicaux de chansons très droles et légères contribuent au ton dédramatisé du film. Les vingt dernières minutes, si elles donnent un peu l'impression de partir dans tous les sens, sont sauvées de la lourdeur du final d'un the Longest Summer par leur ton très humoristique -notamment des retrouvailles assez particulières autour de l'Internationale ou une tentative ratée de couper un durian-. Mention spéciale également aux actrices non professionnelles du film qui prouve qu'il n'y a pas qu'en France - le cas l'Humanité - qu'elles peuvent faire la leçon à certaines membres de leur profession. Le seul ratage du film est la scène du déballage du durian qui donne lieu au récit d'une expulsion d'une clandestine de Hong Kong dont la musique mielleuse crée un apitoiement facile chez le spectateur. Manque aussi au film les quelques moments de grâce qui tiraient vers le haut Made in Hong Kong.
Malgré ces quelques limites, il s'agit du film le plus cohérent et maitrisé de Fruit Chan depuis Made in Hong Kong.
Etant donné son prénom, il n’est pas étonnant que Fruit Chan ait choisi un fruit comme base métaphoriques de son propos. Ce fruit, c’est le Durian, une chose étrange qui révulse au premier abord du fait de son odeur infâme (un mélange de vomi et d’excréments), mais dont la chair s’avère succulente ; un produit rare qui ne pousse qu’en Asie du Sud Est et qui vaut relativement cher. De longues scènes du film sont consacrées aux réactions qu’il provoque chez les habitants d’un quartier pauvre de Hong Kong ou d’une ville de Chine populaire, scènes qui ne sont pas gratuites puisqu’elles sont à mettre en parallèle avec la vie du personnage principal, Yan. Chinoise d’origine, elle décroche un visa pour l’ex-colonie britannique où elle finit par se prostituer : une situation sociale que certains rejettent tout d’abord et qui ne font pas l’effort d’aller au-delà des apparences pour découvrir une jeune fille comme toutes les autres, simplement fataliste, qui tente de se défaire de son odeur d’homme qui lui colle à la peau en se douchant plusieurs dizaines de fois par jour.
La dualité du durian et de la personnalité de Yan se retrouvent aussi dans la construction du film, en deux parties : la première expose avec pudeur sa vie harassante et répétitive à Hong-Kong, la seconde nous emmène dans la ville natale de Yan en Chine populaire, où soudainement la naïveté de l’adolescence refait surface en même temps qu’une certaine joie de vivre perdue en exil. Est-ce une façon pour Fruit Chan de dénoncer à mots couverts l’attirance qu’exerce les villes lumières (HK, mais aussi Paris, New York ou Londres) sur les populations pauvres des campagnes ou des villes moyennes ? Sans doute, et ce en faisant preuve d’un savoir-faire intéressant : à mi-chemin entre un Wong Kar-Wai électrique et un Tsai Ming Liang contemplatif, Chan est un des rares hong-kongais à oser traiter d’un thème de société, qui plus est brûlant, à sa manière, c’est-à-dire à la fois posément et classiquement mais laissant également place à des scènes plus attractives et artistiques (la ville en accéléré, les mouvements de gym, …). Même si on aimerait parfois plus d’engagement de sa part, il est assurément un cinéaste à suivre.