Le meurtrier n'est pas toujours celui qui a un anorak
Avec The Inugami Family, Ichikawa adapte l’une des aventures du célèbre détective Kindaichi Kosuke issue de la plume d’un maître du roman policier, Yokomizo Seishi. Incarné par Ishizaka Koji, son personnage reprend les traits du jeune détective typique qui, malgré son côté un peu gauche et son allure pas tout à fait recommandable (on pourrait le prendre pour un vagabond ou un clochard en début de métrage, notamment lors de son arrivée dans son hôtel), apporte toujours ces petits riens, ces petits détails qui font avancer l’enquête qui emmerde bien des supérieurs.
A défaut qu’Ishikawa ne place pas le personnage de Kindaichi au centre de l’enquête, pas même son supérieur, tous deux réduits à chercher des pistes le temps de quelques séquences, tandis que les véritables personnages principaux du récit, ceux de la famille Inugami, font voler en éclat les bonnes valeurs à cause de l’appât du gain et la jalousie que créent les révélations du testament du maître de famille. Un puissant gérant d’une société de produits pharmaceutiques qui vient juste de passer l’arme à gauche. Paix à son âme, celle-là même qu’il n’arrivera pas à trouver suite aux bouleversements qu’occasionnent ses dernières volontés. Et si le partage des gains ne se décidera que par la mort de plusieurs membres de la famille ? Des tensions plus lourdes encore lorsque ces mêmes membres doutent de l’identité d’un des leurs, Sukekiyo, revenu défiguré de la guerre de Birmanie et contraint à porter un masque pour cacher de vilaines brûlures. Sa mère, Matsuko, en est pourtant sûre.
The Inugami Family, en tant que bon film à suspense lorgnant comme si de rien n’était vers le slasher, aligne les rebondissements et les nouvelles pistes, bonnes ou mauvaises, avec frénésie. On se plait à tenter de débusquer chaque nouveau détail, qu’il soit narratif ou visuel, même si ce dernier point tend à faire pencher la balance du côté des points noirs : formellement, le film oscille entre effets délirants (les légers retours en arrière) et montage nawak, faisant basculer une enquête jusque-là classique en un fascinant délirium assumé, rendu encore plus fou qu’il n’est par le score de Ono Yuji (Horus, Captain Flam, Lupin III, c’est lui) créant assez souvent le décalage, multipliant les atmosphères. Et quand le cinéaste ne s’essaie pas aux procédés visuels délirants, il tombe dans la banalité en introduisant le deuxième soldat revenu de guerre, dont on ne verra pas non plus le visage, mais qui, par la mise en scène du cinéaste jouant un maximum sur les ombres, nous donne déjà de véritables indices quant à la véritable identité de Sukekiyo.
C’est également dans son rythme que le film étonne, voir même dérange. Il a beau s’étaler sur près de 2h30, la plupart des séquences semblent être tenues sur le rythme de l’urgence, de l’empaquetage à la chaîne. Par exemple lors d’une réunion de famille, Ishikawa capte avec attention le comportement des personnages, passant d’un plan large de la salle à un gros plan sur l’un des personnages lorsque celui-ci réagit à une réplique : capter la tension (voir même l’attention), développer des vraies/fausses pistes, la mise en scène répond coup pour coup aux réactions des protagonistes. Elle est donc cohérente même si plongeant parfois le film dans une hystérie incontrôlée et incontrôlable, étrange pour un film rôdé pour du « classicisme » formel. On pensait également le montage des premières vingt-minutes complètement raté, il ne fait que préparer le terrain à toute cette bizarrerie étrangement fascinante, parfois sanglante, paradoxalement dans l’excès sans en faire des tonnes. Jouant le jeu jusqu’au bout, il faut s’attendre à tout avec un cinéaste de la trempe d’Ishikawa Kon, la famille d’Inugami fait beaucoup de bruits, même Ishizaka Koji cabotine parfois. Mais le film ouvre bien plus de portes qu’on ne pensait, démontre jusqu’où peut aller une famille pour un héritage, étouffe son audience par l’utilisation d’un format plein cadre et d’un sévère abus de gros plans l’éloignant du « classicisme » qu’on pouvait attendre des films d’intérieurs, huit-clos, tout ce que vous voulez. Ishikawa en fera un remake quasiment au plan près, trente ans plus tard.