C’est en forgeant que l’on devient…
Film de commande largement entravé par des contraintes nationalistes et positivistes, L’épée Bijomaru vaut bien plus pour son aspect historique que pour son intérêt cinématographique. Car Mizoguchi a beau tenter de faire passer des thématiques personnelles (la femme, en retrait, est cependant l’inspiration de l’artiste et symbolise la noblesse d’âme), reste que son œuvre a beaucoup vieilli et qu’elle a du mal à tenir la route en terme de scénario et d’écriture de personnages, par trop caricaturaux. On se contentera donc de quelques plans très réussis esthétiquement, ainsi qu’une ode intéressante à l’abnégation et à l’excellence.
Le Sabre de la Vengeance
Lorsque la Seconde Guerre Mondiale s'achève, Mizoguchi aura réussi à n'avoir tourné aucun film de propagande dans une période de fort contrôle de l'industrie locale par le pouvoir en place. C'est bien la seule chose qui donne d'ailleurs un semblant d'intérêt à L'Epée Bijomaru. Car malgré le potentiel de départ du sujet point ici d'exaltation nationaliste, d'appel au sacrifice, au bellicisme ou à l'obéissance aveugle. Le scénario insiste davantage sur le travail des forgerons pour confectionner le sabre de la vengeance que sur l'exaltation du combat. Non signé du collaborateur fétiche du cinéaste Yoda Yoshikata, le scénario peine à construire des personnages masculins assez fouillés et fascinants pour que le récit se suive avec un minimum d'intérêt. Loin de la maestria des meilleurs films du cinéaste, la mise en scène vaut juste pour quelques trop rares moments inspirés. L'usage de la superposition d'images lors d'une scène de confection du sabre par exemple. Le combat final est quant à lui un peu gâché par l'usage pompier d'un score épique tandis que le premier combat du film manque de souffle épique. Un jidaigeki de plus d'un cinéaste qui a donné au genre quelques sommets.
Bien que mineur, vaut pour son caractère singulier
D'une durée d'un peu plus d'une heure comme l'exigeaient les hautes instances pour une économie de moyens, occupation et guerre obligent, L'épée Bijomaru est une belle oeuvre de "commande" réalisée par un amoureux des femmes, lequel n'hésitant pas une fois de plus à leur donner une grande importance bien qu'il s'agisse ici d'une seule et unique femme, la fille de Onoda. On la verra d'ailleurs travailler le fer de manière virtuelle, comme si son âme accompagnait les travaux de Kiyone et de son acolyte lorsqu'ils tentent de fabriquer un katana digne de ce nom. A Mizoguchi ici de proposer une solution visuelle formidable, et de rendre son oeuvre plus fantastique et mystérieuse qu'elle ne l'était jusque là, c'est à dire un film en costume tout ce qu'il y a de plus banal, ventant la liberté. L'histoire débute donc de façon très "propre", c'est à dires des discussions entre un maître, sa fille et son protégé. Mizoguchi esquisse alors les techniques d'un cinéma qui lui est propre, cette manière si singulière de débuter un plan par un court traveling, poser l'action et la clore par un évènement. Mais si la plupart des "combats" manquent de vitalité et de souffle (le duel de Kendo entre Onoda et sa fille, l'attaque des milices rebelles), la suite demeure bien plus satisfaisante.
D'abord, ce formidable chantage entre Onoda et le Shogunat qui se solde par un meurtre de sang froid et de haine, ces magnifiques séquences de fabrication de katana au goût de documentaire du fait de nombreux plans fixes à répétition, ces aveux de la fille d'Onoda voulant en découdre avec ses détracteurs, prononcés sous un clair de lune, et surtout ce superbe combat final tout en plan séquence dans un décor alors en plein chaos. L'épée Bijomaru est donc une excellente réussite en son genre surtout si l'on en juge les conditions de tournage délicates, Mizoguchi ayant réussi à tourner un long métrage qui s'échappa avec succès des mailles de la censure. Et même si certains choix scénaristiques ne sont pas bien propres au cinéaste (notamment les combats de mêlée), l'ensemble demeure très satisfaisant, dans la moyenne de ce que Mizoguchi fera par la suite. Pas un sommet, mais un film à découvrir.
Amour, vengeance et beauté
Ce dernier film de Mizoguchi avant l'occupation américaine vaut mieux que sa réputation, qui a pâti du fait qu'il est ressorti sur les écrans en 2006 (avant d'être "coffré" en dvd) avec d'autres oeuvres, plus intéressantes, de l'immédiat après-guerre. Le pitch est assez simple : un apprenti forgeron offre à son protecteur, dont il est amoureux de la fille, un sabre qui se brise lors d'une attaque de ronins contre un cortège du shogun. Disgracié, le protecteur est de surcroît assassiné par un dignitaire qui lui proposait d'intervenir en sa faveur auprès du shogun contre la main de sa fille. Notre forgeron, tenté par le seppuku, bâtira le sabre de la vengeance qui permttra d'occire l'indélicat dignitaire (et de conquérir la fille, au terme d'un bien improbable happy end). Ce court jidai-geki (1h07) n'évite pas les poncifs sur l'honneur et le dévouement mais se laisse voir avec intérêt. Il souffre évidemment de n'être qu'une oeuvre de commande et de circonstances où ne se sent guère la patte du maître, tant au plan des thèmes abordés que du style (beaucoup de plans fixes et peu de plans séquences mais quelques audaces cependant, comme la fabrique du sabre avec surimpression de la fille du protecteur, forgeant avec les forgerons). Dans la même veine, on peut préférer cet effort au pénible "Hommes qui marchent sur la queue du tigre" réalisé par Kurosawa à la même époque et dans les mêmes (difficiles) conditions.