Seuls sur le sable...
Tandis qu'en 1964, certains grands réalisateurs (Naruse, Kurosawa, Kobayashi) usaient du cinémascope pour embellir leur image et leur donner une dimension épique chez l'un, facteur de densité et de contemplation mystique chez l'autre, Teshigahara quant à lui restait au format plein cadre pour véhiculer ce sentiment de peur panique et d'étouffement spatial, comme si les protagonistes (un instituteur, une femme mystérieuse) étaient prisonniers (et ils le sont!) de leur environnement, de leur sable, de leur foyer bricolé, accentués par la caméra souvent très proche de leur visage afin de faire transparaître la moindre des émotions. La peur est relayée par la sueur qui se fait d'avantage présente, parsemant leur corps de fines perles, de même que l'emprise du décor qui ne fait bientôt plus qu'un avec eux (le gros plan parcourant le visage recouvert de sable de Kishida Kyoko). Cette mutation presque organique avec le sable est la métaphore même de la nature qui s'impose et qui défie l'être humain à chaque instant (l'instituteur, incapable de sortir du terrain), comme si il renvoyait l'ascenseur à l'insecte capturé par ce dernier pour son plaisir "personnel". La nature aussi s'amuse et rit de la douleur de ses prisonniers, fait presque avéré par la musique impressionnante du grand Takemitsu Toru simulant les ricanements d'un vent bien présent et inquiétant.
Difficilement classable, La femmes de sables (sous-titré La femme du sable pour la version longue inédite) est donc une oeuvre aux lectures infinies, un survival à part entière que n'aurait pas renié Wes Craven pour sa Colline a des yeux et ses rednecks cannibales, presque pompés sur les autochtones du film de Teshigahara, en moins féroces bien sûr. Le cinéaste préfère d'ailleurs ne pas s'attarder sur ce "peuple des sables", et prend le temps de filmer le quotidien des deux êtres (superbe Kishida Kyoko, non moins excellent Okada Eiji) dont le comportement change au fil des saisons : l'instituteur au départ craintif fait tout pour s'échapper de son antre, jusqu'à ne plus vouloir la quitter tellement la vie "là-bas" ne l'intéresse plus après sept ans de "captivité" (les dunes de sable prenant en otage ses victimes) et la femme "mystérieuse" finit par aimer son homme. Des instincts primaires (après s'être lavé le corps, ils feront logiquement l'amour) dans un monde sans issues (l'instituteur tournant en rond dans les dunes de sables après s'être enfui), pour une oeuvre tout bonnement fascinante, véritable leçon de mise en scène et d'aboutissement formel.
Sables émouvants
Avis avec SPOILERS
Si la Femme des Sables est plus classique formellement que les autres Teshigahara (malgré quelques plans rapprochés et caméras portées), c'est qu'il choisit de rendre la descente de l'entomologiste dans la folie et l'isolement par les ruptures rythmiques, les variations de montage sur certaines scènes (notamment celle où les villageois masqués l'encerclent en lui demandant de faire l'amour devant eux). Car après tout le film n'a pas besoin d'un surcroît de stylisation pour etre étrange: le sujet, les situations, le score de Takemitsu Toru suffisent déjà à souligner cet aspect. Le sable qui envahit progressivement l'habitation, le fondu enchaîné entre le désert et le corps dévêtu de la villageoise, les multiples plans où les insectes sont malmenés (quoique pas dans un but sadique comme dans the Pitfall ou chez Kim Ki Duk mais dans un but d'intérêt pour la nature), les multiples plans de gouttes d'eau, les bruits de vent persistent longtemps das la mémoire du spectateur.
Par rapport à d'autres films consacrés au phénomène de l'évaporation (celui d'Imamura entre autres), l'originalité est que le film est traité du point de vue de l'évaporé et non des enquêteurs. Le but de l'isolement est de l'amener avec succès à renoncer à sa "liberté", à tout faire pour que son évasion soit impossible afin qu'une fois la liberté possible il la refuse (ce qui se passera dans le final). A l'instar des héros de Buzzati, il poursuit un but absurde auquel il renoncera finalement: il est inutile de s'échapper, le sable s'effondrera encore plus de toute façon à chaque tentative. La fascination urbain/rural est un autre grand thème du film qui peuple les conversations entre la jeune femme et l'entomologiste. Car outre le renoncement volontaire à la "liberté" relative de la vie urbaine, le film est aussi le récit d'une découverte de soi où la folie peut devenir une révélation, un moyen de développer sa sensibilité (le travail d'entomologiste): la femme des sables, par sa sensualité, son érotisme terrien, révèle le héros à lui-même. Le film est au final double, conquete et renoncement, étrange et distant comme terriblement sensuel, lieu de massacre de la nature (les insectes) comme célébration de sa puissance contre laquelle l'homme ne peut rien.
On n'a pas fini de faire le tour de cette oeuvre fondamentale de la Nouvelle Vague japonaise simple et pourtant venant de nulle part. A l'instar de l'entomologiste, on n'a pas envie de quitter cet océan de sensations, ce lieu du jamais vu.
Un classique éblouissant
Ce scénario catastrophe et pour le moins original est-il une métaphore critique du mariage? On peut le penser après la vision de cette oeuvre artistique et absurde. En tout cas, elle amène à une réflexion sur le comment du pourquoi sommes-nous sur Terre ainsi que sur le caractère humain: ce scientifique emprisonné malgré lui va d'abord comme tout un chacun penser à s'échapper, mais en vain. Puis il va s'habituer à sa vie misérable et même s'attacher à la jeune femme avec qui il vit, pour finalement décider de rester dans son trou quand on lui rendra sa liberté. L'homme s'apprivoise-t-il donc, comme un animal? Cela semble bel et bien le cas (songez aux travailleurs modernes, à nous tous par conséquent: nous sommes embrigadés dans un système rigide - 20 ans d'études, 40 ans de travail, 20 ans de retraite - qui ne satisfait pas grand monde mais dont tout le monde se contente, faute de possibilités extérieures).
Même si on ne fait pas de démarches intellectuelles devant ce film qui peut être interprêté de nombreuses manières, il y a encore de quoi se régaler: situation incongrue, huis-clos haletant, images superbes saupoudrées d'érotisme soft et musique parfaite; et malgré la lenteur de l'action, qui contribue à l'envoûtement, on se surprend à se passionner pour ce film d'une grande intelligence qui possède quelques scènes très marquantes.
Belle métaphore sur la condition humaine
Difficile de parler de
La Femmes des Sables sans spoiler. En tout cas c'est un film qui amène à se poser des questions sur le sens de la vie. Un beau film envoûtant et prenant sur le parcour initiatique d'un homme ordinaire face à la condition humaine.
J'ai été destabilisé au début par son côté huit clos (un peu comme
La bête aveule de
Yasuzo Masumura), mais le film fini par vous prendre par la main sans qu'on s'en rende compte. Notament grâce à la realisation de
Hiroshi Teshigahara (très axée nouvelle vague) et surtout grâce à l'interprétation des acteurs absolument fabuleux. Sans parler de la musique stridante qui' s'avère être finalement un choix logique.
Film marquant qui m'a donné envie de lire le livre.
Non-sens...
Ce qui fait tout le charme et le sel du cinéma d'"auteur" japonais, c'est sa capacité toujours renouvelé d'échapper à la dictature du sens... le non-sens n'est pas uniquement l'absurde. Ca peut l'être, ca l'est certainement ici, mais cette catégorie est surement trop restreinte pour saisir l'originalité de l'oeuvre de Teshigahara. On pourrait épingler les points communs à l'oeuvre de Camus. On pourrait aussi à merci établir des rapports avec la nouvelle vague... mais dans le fond, ce qui fait le prix de la femme du sable, c'est tous ces passages ou le film glisse insensiblement vers un spectacle pur, une simple mise en scène du jouir, de l'aesthesis dans sa simplicité foncière, sensuelle. Dans le fond, ce sont ces glissements en dehors de la signification qui donnent le plus à penser dans Suna no Onna. Comme chez Tarkovski, c'est lorsque la logorhée se tarrit que jaillit l'étincelle du génie qui fit basculer dans le régime du non-sens, que l'absence de fond devient toute la profondeur du film, que l'écran se résorbe en une pure surface à deux dimension (la descente de la croix de Solaris, le ruisseau de Stalker,... ici le sable, le sable, et puis tout à coup l'eau, incroyable fenêtre du film vers la pureté du jouir, le silence de communion du sentir) avec une unique vectorielle temporelle. Celle-ci se matérialise (si l'on peut dire...) sous la forme de la musique incroyable de Takemistsu (le plus grand compositeur de musique de films japonais!).
Dans le fond, peut importe le message existentiel du film: toute lecture en terme de philosophie ou de "signification profonde" est triviale. La femme des sables est avant tout un film, un écran plan ou des images se donnent à jouir dans un fouilli qui réussit à laisser sur place la dictatue du sens, de l'Idée, pour rejoindre, le temps de plan fugitifs la pureté du sentiment de l'eau à la bouche assechée.
Chateau de sable
Sur un scénario - adapté de son propre roman - signé par le prix Nobel de la littérature Kobo Abe, Teshigahara embraye le pas sur l'explosion des petites productions indépendantes et inspirées par la Nouvelle Vague Française au Japon des années 60's. Relecture du mythe de Sisyphe (l'être mythologique, obligé de pousser un caillou jusqu'au sommet d'une colline, qui dévale alors de l'autre côté), ce drame oppressant kafkaïen dénonce la privation de la liberté de l'homme, aliéné par la société de travail et par le mariage.
Si le scientifique se plaint au début du film de se noyer dans une montagne de paperasserie, sa condition d'emprisonnement au fond d'un trou ressemble étrangement à celle d'un ouvrier, devant recommencer quotidiennement le même travail. Seule récompense : un peu d'alcool et des cigarettes; ou alors - après de nombreuses heures - une petite radio.
Cherchant par tous les moyens de se sortir de sa misérable condition, il finit par se contenter de son état de fait.
Sa découverte révolutionnaire (créer de l'eau à partir de sable en plein milieu du désert) ne servira finalement à personne; à quoi bon d'en faire part à des gens, qui s'en ficheraient de toutes façons, alors qu'il dispose de tout ce qu'il souhaite.
Une des plus belles métaphores qui soient sur la sure condition de l'homme, le film épate par une mise en image étonnante pour son époque et une composition signée par Toru Takemitsu stressante et crispante à souhait.
Un très grand film !!!
Pré-Tarkovski.
A la vue de "Suna no onna" ("La femme des sables", en français), on pourrait mettre en rapport cette histoire d'entomologiste perdu au beau milieu d'un désert, avec le "Stalker" - et à la limite, avec "Solaris" - de Andrei Tarkovski.
Car chez Teshigahara Hiroshi, tout comme chez le réalisateur russe, les éléments naturels (faune & flore) débordent du cadre au point non-seulement de prendre plus d'importance que les protagonistes du récit lorsque l'attention n'est pas focalisée sur eux, mais aussi d'inculquer sur le spectateur un vrai doute de chaque instant, les deux metteurs en scène ayant ce don de déformer - à notre insu, et psychologiquement -, notre perception de choses qu'on croyait acquises. Et cela, tout simplement parceque ce sont de vrais cinéastes.
Ainsi, un grain de sable revêtira un aspect bien plus terrifiant que tous les Freddy Krueger et Jason Vorhees réunis.
"Suna no onna" a aussi cette particularité d'être un film qui veut tout contredire. C'est-à-dire que, tout comme du sable peut naître l'humidité par un processus d'évaporation, l'étendue désertique paraissant sans limites se révèle être en fait une prison.
Parceque, mine de rien "Suna no onna" est un film de prison. Mais pas la prison qu'on s'imagine, avec les cellules étroites et les barreaux. Non, c'est un film de prison avec une cellule paraissant infiniment grande, donc influante psychologiquement puisqu'on sait qu'on ne pourra pas s'en évader et qu'en l'absence de barreaux, rien ne dit ce qu'il faudra franchir pour s'en échapper.
Sur ce point, on pourrait mettre en rapport le film de Teshigahara avec "THX 1138" de George Lucas, où là aussi, l'idée d'une prison sans limites spatiales était exploitée.
"Suna no onna" est également un film qui, par le biais d'une exposition de la déshumanisation au sein d'un cadre de vie restreint - car composé en majeur partie d'un homme et d'une femme uniquement -, bouleverse les valeurs intellectuelles et morales.
Ce n'est donc pas totalement du surréalisme, puisque esthétiquement, il y a un parti pris de ne pas faire penser à de l'irréel, mais en substance, ça va tout de même au-delà de la simple subversion cinématographique pour avoir l'air rebelle.
Ajoutons qu'à l'inverse de "L'île", de Kim Ki-Duk, le rôle de la femme n'est que rarement celui du mécanisme de la perversion, la cadre naturel du film étant mis plus en avant encore, illustré graphiquement dès le départ, le tout accompagné par un score brillant de Takemitsu Toru, qui signait la même année celui de "Kwaidan".
Bref, tout ça pour dire que c'est mythique.
Métaphore ensablée
Film-phare de la nouvelle-vague cinématographique japonaise,SUNA NO ONNA est la transcription fidèle du roman de l'écrivain KOBO ABE,avec lequel le réalisateur Hiroshi Teshigahara collabora pour cinq films,celui-ci étant leur deuxième en commun.
Comme dans le roman,cette capture d'un scientifique citadin par tout un village reculé et par une femme en particulier,nous entraîne dans un univers au-delà de toute vérité pré-établie.
La richesse de cette FEMME DES SABLES est déjà thématique,sujet à de multiples interprétations philosophiques,métaphoriques,toutes différentes sans être contradictoires,chaque nouvelle visison du film amenant des interrogations omises précédemment.Vision implacable du mariage,oui,mais aussi parabole sur la déshumanisation de notre société moderne avec la perte d'identité de ses membres,et la mise à l'écart des êtres potentiellement originaux.Une entité tribale et plus authentique comme ce village perdu apportant au héros d'abord réfractaire une nouvelle raison d'exister.La notion politique est bien présente aussi,quand on connait les liens de KOBO ABE avec le Parti Communisme japonais qui l'excluera peu avant ce film,comme ce syndicat des villageois qui régit toute une communauté consentante.
Mais s'il est bien un élément essentiel et indiscutable,c'est l'érotisme omniprésent tout au long de l'histoire.Rarement sujet aussi aride au départ a donné une telle ébauche des sens.Déjà par le choix de l'actrice principale :KYOKO KISHIDA est vraiment sublime et souvent bouleversante,tantôt soumise tantôt menthe religieuse,ensuite par la façon de filmer du metteur en scène,utilisant le sable pour renforcer la sensualité des situations.
Car l'autre richesse du film est celle de la forme.D'un esthétisme poussé au plus haut point,toute l'oeuvre est traversée d'images renversantes de beauté,des plans qui laissent pantois devant tant de perfection,que ce soit les corps filmés en trés gros plans ou le désert alentour avec ce sable qui rythme le temps des protagonistes et fixe leur destinée.Teshigahara se réclame d'un grand cinésate documentariste japonais,Fumio Kamei, et sous sa caméra,les agitations humaines sont vues comme la vie des insectes est disséquée par le personnage masculin du film,avec cette recherche picturale artistique exceptionnelle dont on a déjà parlé.
Pour finir,le dernier ajout est celui de la musique composée par Toru Takemitsu,artiste qui a influencé nombre de compositeurs actuels(il n'y a qu'à écouter le score pour GOHATTO/TABOUpar Ryuichi Sakamoto pour s'en convaincre) et qui livre ici une partition oppressante,toute en rupture,distillant un malaise diffus qui cadre parfaitement avec les images proposées.
Passionnant,émouvant,voilà un TRES grand classique qui mérite tous ses lauriers,et reste d'un modernisme étonnant,universel par son propos sur la condition humaine,et fascinant par ses images d'une beauté inégalable,nous donnant envie de toujours retourner à cet univers déroutant et si original,au charme hypnotique troublant .Les plaisirs des sens y cotoient alors ceux de l'esprit, idéale quintescence du cinéma contenue dans cette oeuvre inclassable.