Ordell Robbie | 3.5 | Portrait d'une Geisha |
En 1961, Kawashima tourne les Femmes Naissent Deux Fois pour la DAIEI, profitant de ses récents succès pour obtenir un salaire conséquent. Sauf qu'on est très très loin d'avoir affaire à un film de mercenaire. Le mot Nouvelle Vague commence alors à prendre son sens dans le contexte japonais et Wakao Ayako, actrice fétiche de MASUMURA Yasuzo, joue d'ailleurs avec brio le role principal du film. La singularité du film, c'est son absence de structure romanesque visible pour un récit épousant une assez longue période. Le principe narratif est celui du croisement, chacun des hommes cotoyés par la geisha dans sa trajectoire offrant à l'arrivée un portrait en creux du Japon d'après-guerre. Au cours du film, elle croisera rien de moins qu'un architecte, un étudiant, un jeune ouvrier, un golden boy avant l'heure, un client américain et surtout un vieil homme marié qui joue avec elle les protecteurs possessifs, les soutiens pour essayer de l'aider à s'intégrer à la société, un politicien, un employé de sushi bar. Au travers de ces personnages transparait rien de moins que la fascination pour l'argent facile en période de décollage économique, une condition ouvrière offrant peu de possibilités d'évasion à ceux qui la vivent, la contestation engendrée par la baisse des pensions pour les anciens combattants -les personnages vont d'ailleurs se recueillir devant un mémorial en anglais reflétant l'américanisation du pays- ainsi que les conséquences des lois antiprostitution sur les clients comme sur les prostituées -devenir hotesse pour gagner moins et finalement etre obligée de prendre un "protecteur"-.
Se placer du point de vue des femmes en marge de la société, c'est pour Kawashima donner à voir l'envers du miracle économique japonais que personne ne veut voir tel qu'il est un peu comme SPOILER après les funérailles de son mari la veuve trompée regarde la geisha comme une "catin de bas étage", une femme qu'elle accuse de vol, qu'elle imagine comme ayant ruiné son mari alors qu'en fait ce dernier était radin avec sa maitresse et que la première chose que l'épouse fit sachant qu'il était malade fut de transférer son argent sur son compte. En regardant la geisha de haut, c'est son propre coté vénal qu'elle projette sur elle. FIN DU SPOILER Mais meme s'il y a déjà assez d'observation intéréssantes en l'état, les rapports entre la geisha et les autres hommes sont développés de façon inégale suivant les personnages masculins, défaut que ne reproduira pas un Imamura qui saura traiter tous ses personnages à égalité. Parmi les éléments caractéristiques du cinéaste, on retrouve ces figures d'hommes du peuple bons vivants, les femmes figures de détermination ainsi qu'une vraie dimension burlesque. Formellement, un des points intéréssants du film est son usage du format scope: là où beaucoup de cinéastes nippons l'utilisent pour donner de l'ampleur de cadre et de mouvement ou donner une certaine théatralité, Kawashima garde son gout pour les plans rapprochés, les cadrages approximatifs qui donnent au film un coté pris sur le vif, un aspect assez contemplatif et la simplicité des effets de mise en scène. Sauf qu'il ne se prive pas d'offrir des angles de vue originaux avec un grand nombre de plans "plongeants" mettant le spectateur dans une position de voyeur qui regarderait de haut le monde des bordels et quelques cadrages penchés reflétant au début du film le "vertige" des sentiments des protagonistes.
Et le titre du film? Peut-etre parce qu'à la fin -trop rapide- la jeune femme semble enfin prete à voler de ses propres ailes. Parce qu'en meme temps qu'elle aura été objet de désir elle aura aussi su imposer sa volonté aux hommes quand elle le souhaitait, bref exister en tant que femme maitrisant son destin.