Derrière la porte ouverte
Je hais aimer ce film…non…j'adore haïr ce film !!
"Forbidden Door" est indéniablement l'un des films les plus coups de poing à sortir de tous les pays asiatiques depuis…allez…"Old Boy" (pour moi, "The Chaser" est du pipi de chat à côté).
"Forbidden Door" est le dernier coup de génie de Joko Anwar, le plus taltentueux cinéaste à nous parvenir de l'Indonésie depuis belle lurette. Un passionné de cinéma, qui a fait ses premières armes en tant que critique, avant d'avoir eu l'opportunit éde coécrire le mega-succès "Arisan" avec Nia Dinata avant d'être produite sur le mignon "Joni's Promise" par elle. Un joli exercice de style, jadis diffusé au Festival asiatique de Deauville et qui ne préparait en rien à la future bombe à venir "Kala".
Un film, à côté duquel professionnels, comme le public est passé totalement à côté, malgré le génie de ce véritable patchwork de genres…et sa profonde dénonciation sociale de son pays sous-entendue.
"Forbidden Door" réitère ce curieux mélange…et risque à nouveau d'être "oubli" en raison de son caractère tortueux. Suffit pourtant de s'abandonner et de se laisser entraîner dans un singulier maelström de sentiments et de scènes plus énigmatiques les unes que les autres.
Ca démarre mollement…un peu trop, d'ailleurs. Aucun générique, l'histoire nous plonge tout de suite au milieu d'une exposition de sculptures de femmes enceintes. L'artiste célébré du jour, Gambir (excellent Fachry Albar, à mille lieues de son précédent rôle dans "Kala") ne semble pourtant pas très bien dans ses basques et les railleries qu'il surprend par ses soi-disant "amis" ne font que renforcer ce malaise…On apprend d'ailleurs rapidement du pourquoi du comment, l'artiste étant condamné à toujours fabriquer le même type de sculptures sous peine de se voir dévoilé un terrible secret par son mécène véreux. Cette révélation – introduite après un excellent générique et un flash-back inattendu – plonge d'ailleurs tête la première dans une première horreur, qui n'en est que la première d'une longue série. Un tout petit détail, mais qui vaut son pesant de cacahuètes pour son caractère franchement glauque.
La suite est à l'avenant: une fois les personnages posés, le film dévie vers un ton Lynch-ien avec Gambir, intrigué par un mystérieux message ("Aide-moi"), qui semble le poursuivre. Il le découvre une première fois peint à même le sol devant sa porte, puis sur les murs de la ville… En même temps, il découvre une porte cadenassée dans son atelier au sous-sol de sa maison, porte que sa femme lui demande de laisser fermée…
Et hop, on fait un saut du côté de Murakami Ryu, ce génialissime auteur japonais des œuvres cultes, telle que "Les bébés de la consigne automatique"…Mais dévoiler davantage de ce scénario tortueux, adapté d'un bouquin, serait criminel et enlever une partie du plaisir.
Il faut vraiment se farcir une première heure un peu molle, où Anwar pose ses personnages et cherche un peu l'ambiance à instaurer…mais la dernière heure est un putain de tour dans un Grand Huit, qui aura tôt fait de retourner quelques estomacs sensibles. OUI, il y a une scène gore d'ores et déjà culte, un repas à faire passer toute envie de boire à tout jamais du vin…Mais ce sont surtout quelques petits détails carrément scabreux, avec un meurtre tout simple, mais magistralement éprouvant, qui hanteront longtemps vos mémoires…
La fin peut décevoir, mais il ne faut pas oublier la forte motion de censure indonésienne, qui régit actuellement le pays…Et ce n'est sûrement qu'à cause de ses précédents succès, qu'Anwar doit la sortie de ce long-métrage, par ailleurs une nouvelle métaphore d'un pays soumis à un régime totalitaire, où les artistes sont condamnés à toujours refaire les mêmes choses et ne surtout pas s'écarter des formules éprouvées…Ou la délation est monnaie courante, même à l'intérieur d'un même couple…Ou les caméras se multiplient pour surveiller faits et gestes des individus…Ou des gens disparaissent pour être soumis à des bonnes séances de torture…bref…que des choses, qui se retrouvent à peine déformées dans le présent métrage. Et de confirmer une nouvelle fois, que les films du genre ont souvent accouchés des meilleures critiques politiques (Romero, Carpenter, …).