Histoire stupéfiante, ligne éditoriale contestable
On peut dire ce que l’on veut sur le ton et la manière employés par Daniel Gordon pour conter son histoire, il est cependant indiscutable que ce documentaire est passionnant de bout en bout tant l’exploit sportif des coréens du nord pendant la Coupe du monde 66 de football en Angleterre est incroyable, et tant l’environnement politique du moment est particulier.
Nous sommes alors en pleine Guerre froide entre 2 idéologies triomphantes, le Capitalisme et le Communisme, autant vénérées qu’exécrées à travers le monde. Pour protester contre l’unique place (sur 16) qui leur est réservée, tous les pays d’Afrique, d’Asie et d’Océanie boycottent l’épreuve, exceptée l’Australie et la Corée du Nord. Personne ne parie un kopeck sur le petit pays asiatique car il semble à des années lumière du niveau occidental. Et pourtant, sur terrain neutre au Cambodge, la courageuse et solidaire équipe de Corée du Nord inflige un humiliant 6-1 / 3-1 à une Australie venue les mains dans les poches. Voilà les coréens qualifiés pour la coupe du monde, eux dont le pays n’est même pas reconnu par une Angleterre bien embêtée sur ce coup là et qui fera tout pour planquer leur drapeau et dissimuler leur hymne.
Pendant ce temps-là, les joueurs sont encouragés par le Grand Leader Kim Il-soon qui leur demande de gagner 1 ou 2 matchs en l’honneur de la grandeur du pays. 30 ans après, en se remémorant ce souvenir, ces joueurs en ont les larmes aux yeux, des larmes qui semblent sincères, si bien qu’on se pose des questions dérangeantes : où ont-ils trouvé la force collective de tenir en échec le Chili 1-1, de battre le champion du monde italien 1-0 (depuis, en Italie, on parle « d’une autre Corée » dès qu’une défaite importante est subie), puis de mener 3-0 devant le Portugal en quarts de finale avant de s’incliner 3-5 à cause du quadruplé du plus grand joueur du monde de l’époque, Eusebio ? Est-ce une simple coïncidence ? La glorieuse incertitude du sport ? Ou bien une force collective née des préceptes communistes de partage et de solidarité et de la toute puissance d’un dirigeant qui leur en a transmis une partie ?
C’est justement la thèse que développe Daniel Gordon ; pour lui, il est évident que ce parcours sportif inattendu est la preuve que la doctrine communiste est bénéfique, qu’elle pousse l’être humain à se surpasser au nom d’un idéal et au sein d’une organisation centrée sur le groupe. Toute sa réalisation, notamment grâce à un montage très orienté (des images des statues imposantes du régime ou d’enfants artistes sont par exemple insérées pendant les matchs) et une voix off enthousiaste, tend vers cette démonstration. Pour un spectateur occidental capitaliste qui a une vision très négative du communisme, de ses goulags, de ses dictateurs et de ses politiques ruineuses, impossible d’adhérer au message malgré sa dose de séduction. Et dans son rejet, il en vient à se demander quelle part de compromis avec le régime nord-coréen actuel, quelle part de reniement personnel ou de vision critique Daniel Gordon a du consentir pour avoir accès à ce territoire si fermé et à ces interviews si précieuses…
Aussi critique qu'Universalis - heureusement que les dimensions politiques et sportives sauvent l'intérêt
Encore un fois, Daniel Gordon réalise un documentaire sur la Corée du Nord sans le moindre esprit critique. Il préfère laisser narrer et laisser parler les protagonistes sans ajouter le moindre commentaire pour donner son avis. Par contre, il insère volontiers des images communistes pendant les résumés de match pour bien montrer que c'est l'esprit communautaire nord-coréen qui les ont mené jusque là. C'est limite si Daniel Gordon lui-même ne dit pas que l'esprit du Juche accompagnait les joueurs dans leur victoire. Pour en revenir au sujet du documentaire, Daniel Gordon choisit de retracer l'étonnante aventure de l'équipe de football nord-coréenne à la coupe du monde 1966.
Pour cela, il arrive à rencontrer des joueurs de l'équipe qui est partie en Angleterre cette année là. Outre la dimension idéologique de l'histoire, qui finalement apporte bien peu de ce qu'on ne sait déjà sur la Corée du Nord, il est intéressant de voir dans quelles conditions l'équipe a été qualifiée pour la phase finale, et également les problèmes politique que cette qualification a créé. Déjà, la qualification elle même a une raison politique, puisque comme la phase finale d'une coupe du monde n'avait jamais eu lieu en Afrique, tous les pays de ce continent se sont retirés de la compétition, avec la Corée du Sud qui les soutenaient, et il ne restait ainsi plus que deux équipes possibles pour la dernière place restante : La Corée du Nord et L'Australie, qui se sont départagé par un match de barrage humiliant pour l'Australie. Pour les problèmes politiques, il faut savoir que l'Angleterre n'avait pas reconnu la RDPC, et le fait de recevoir une délégation officielle posait donc un très gros problème, car ils devaient les recevoir en tant que Coréens du Nord, sans pour autant reconnaître leur ''république''. Le reste du film montre surtout d'un point de vu sportif comment l'équipe a pu se hisser jusqu'aux quarts de finales, pour se faire expulser par le Portugal, le passage par l'équipe d'Italie étant évidemment le plus important et le plus célèbre.
Un point encore étonnant est le support qu'à eu l'équipe de la part du public anglais. Comme il est très bien expliqué dans le film, l'Angleterre a combattu lors de la guerre de Corée, et l'idée d'avoir une délégation de Corée du Nord dans leur pays pouvait poser soucis. Mais ce n'est pas sans compter sur la prestation surprise de l'équipe qui a su attirer l'oeil du public. Mais ce qui est plutôt choquant, c'est de voir des jeunes porter des tee-shirts arborant le drapeau communiste ou pire, des adultes agitant un grand drapeau dans le stade lors du match Corée-Portugal. Mais s'il ne s'agit que d'un signe de soutien à l'équipe et non un acte politique, c'est assez marquant du manque de connaissance sur le sujet des personnes concernés (étant donné que la mondialisation était bien loin de ce que c'est aujourd'hui, ce phénomène aurait pu se retrouver dans n'importe quel pays).
Par ailleurs, ce qui est vraiment très décevant dans ce film, c'est qu'à part les 7 ou 8 joueurs qui sont présentés dans le documentaire, on ne sait absolument rien des autres qui ont fait parti de l'équipe. On ne sait pas s'il sont encore vivant, rien du tout. Daniel Gordon ne dit même pas qu'il ne sait pas. Alors on peut réellement se poser la question du parti pris de Gordon à ce propos ; cherche-t-il à cacher quelque chose pour ne pas entacher le pays ou ne pas se faire mal voir du gouvernement, ou est-ce qu'il ne veut tout simplement pas dire ce qu'il sait ou s'il n'a tout simplement pas osé demander aux autorité... ? En tout cas, il est inimaginable qu'il n'y ait pas pensé. Encore un point qui rend Gordon un peu trop complice de la propagande nord-coréenne, un peu comme il le fait dans Les demoiselles de Pyongyang
Finalement, le film reste intéressant pour le coté politique et sportif, mais un fois de plus, Daniel Gordon ne va pas au fond des choses et se contente de répéter comme un perroquet ce que tout le monde lui raconte, sans le moindre esprit critique. Au moins, il fait travailler les méninges du spectateur qui ne veut pas se laisser prendre dans ce petit jeu un peu fourbe.
28 décembre 2005
par
Elise