Omnibus moitié plein, ou moitié vide?
Je viens de voir GENIUS PARTY (date de sortie Japon : 7/7/07), le film « omnibus » du STUDIO 4°C formé de 7 courts métrages réalisés par de plus ou moins grands noms de l’animation, et dont voici le site officiel :
http://www.genius-party.jp (bandes annonces sur la page d’accueil)
Si le premier étage de la fusée, absolument jubilatoire, décolle parfaitement, j’ai eu la nette impression que la machine avait du mal à trouver son second souffle, et ralentissait nettement avant d’atteindre la stratosphère…
Les œuvres reprennent le plus souvent les thèmes de prédilection du studio : à savoir la pulsion de vie et l’imagination comme forces d’action positivistes (MIND GAME), deux éléments cristallisés par l’enfance (TEKKONKINKURÎTO – Amer Béton) ; mais aussi les questionnements sur l’identité et la notion de réel (Animatrix : Second Renaissance).
Les trois premiers segments sont en plein dans ces thèmes de la pulsion de vie - avec le segment générique de Fukushima Atsuko (1) : GENIUS PARTY, clip « zim boum boum » qu’on verrait bien projeté en rave, et de la force imaginative de l’enfance avec le délirant SHANGHAI DRAGON de Kawamori Shôji (2), qui remixe Cobra, les sentai, space opera et Opéra des Gueux en lançant en prime un message idéologiquement bien sympathique puisque c’est un gamin chinois qui y sauve le monde, ou encore le DEATHTIC 4 de Kimura Shinji (3) qui mixe les deux en proposant un univers de petits monstres bien intentionnés qui cherchent à sauver un crapaud, créature vivante égarée dans leur outre-monde démoniaque… Jusque là, on est soufflé par la vitalité incroyable qui irradie de l’écran, bien servie par une animation d’avant-garde et une bande son techno-fanfare bien foutraque et parfaitement appropriée.
On passe ensuite au second bloc, centré sur les questions de l’identité et du rapport au réel via l’Autre, avec le DOOR CHIME de Fukuyama Yoji (4), dont l’animation et le mode narratif épurés viennent – sans doute volontairement – contraster avec la furie des premières pièces…
Cette histoire de jeune lycéen qui croit voir apparaître un double de lui-même qui lui vole peu à peu son identité se laisse regarder, mais cette SF urbaine froide et distancée – par ailleurs très en phase avec la littérature contemporaine nipponne, on pense notamment à Murakami Haruki – ne semble pas apporter grand-chose au genre…
On passe ensuite au « plat de résistance », le LIMIT CYCLE de Futamura Hideki (5) (voir Second Renaissance, dont il reprend les codes visuels), sorte de cyber-psycho-micmac visuellement intéressant mais terriblement indigeste et pompeux, dans lequel un employé de bureau isolé dans son monde virtuel s’interroge sur fond de fusions d’images de synthèses et de gravures scientifiques et théologiques moyenâgeuses sur son Moi, sa réalité, Dieu et les Autres via un monologue en voix off bien longuet… Le tout peut se lire comme un commentaire et pendant au segment précédent, dont il viendrait compenser les contenus narratif et visuel spartiates par ses trop-pleins visuels et conceptuels. L’impression de trop-plein reste malheureusement la dernière, et s’il fallait chercher la prétention affichée par le titre de l’omnibus, c’est bien là qu’on la trouverait…
Heureusement, on revient avec YUMEMIRU KIKAI (« la machine à rêves » ou plutôt « qui rêve ») de Yuasa Masa.aki (6) au thème de l’imagination au pouvoir, avec ce bébé perdu dans son monde intérieur qui y voit naître, vivre et mourir les plus extravagantes créatures, dans un style visuel rétro fort sympathique…le loop final (ressort familier des productions 4°C) qui souligne ce cycle de la vie que même les machines cherchent à imiter, vient opportunément conclure l’effet de vertige que l’introduction cauchemardesque du segment avait engendré.
On termine avec BABY BLUE de Watanabe Shin.ichirô (7), le segment « commercial » du film (on y retrouve les voix du héros de NOBODY KNOWS et de la jeune héroïne sourde de BABEL, ce que souligne abondamment la promo) : là encore, cette bluette qui voit deux lycéens sécher les cours pour aller voir la mer – et enterrer une grenade ! –, prétexte à évoquer leurs souvenirs communs, reprend la thématique du pouvoir de l’enfance, mais sous l’angle nostalgique de l’inévitable croissance qui voit les deux héros abandonner leur âme d’enfant dans un dernier feu d’artifice.
Réalisé en pastiche aux animes « de lycées », il en reprend les codes esthétiques, narratifs et musicaux (Yôko Kanno peu inspirée au piano) tout en s’en moquant discrètement, mais le tout est loin d’atteindre la puissance d’évocation des autres segments centrés plus directement sur le même thème, soulignant encore que si cet omnibus n’est jamais aussi fort que quand ses auteurs consacrent leur puissance créative à célébrer la pulsion de vie, il s’essouffle lorsqu’ils demandent à leurs créatures de se retourner sur leur passé ou sur eux-mêmes…
Tout de même, un bien bel omnibus flambant neuf et pétaradant (mais qui aurait peut être gagné, si vous me pardonnez la métaphore, à laisser ses passages monter par l’arrière), à voir absolument pour ses premiers segments et, tant qu’à faire, pour les autres…
(1) : Manie Manie, Robot Carnival, Akira…
(2) Macross, Ghost in the Shell, Aruna…
(3) Steamboy, Tekkonkinkurîto…
(4) Auteur de manga
(5) Animatrix: Second Renaissance II, Perfect Blue, Jojo…
(6) MindGame, Crayon Shin-chan…
(7) Cowboy Bebop, Macross Plus, Samurai Champloo, Animatrix…