une belle satire de la société de consommation
Avec Giants and Toys, Masumura s'inscrit dans le club très fermé des satiristes de talent de la société de consommation. La limite du film est celle du genre, à savoir de grossir le trait. Mais ce film pourrait aussi bien sortir aujourd'hui et être pertinent dans le contexte actuel d'attaques contre la mondialisation et le pouvoir des publicitaires.
Giants and Toys, c'est avant tout cela, des chefs d'entreprises et leurs employés se prenant pour les maitres du monde, persuadés d'influer sur la destinée d'une nation. Les phrases choc du film pourraient en remontrer à bien des Tyler Durden: "Si cela marche aux Etats Unis, pourquoi cela marcherait-il au Japon? Parce que le Japon est l'Amérique." (commentaire ô combien pertinent sur l'influence de la présence militaire américaine ainsi que phrase soulignant l'uniformisation des gouts de consommation dans le monde développé) et le film comporte bien d'autres perles. Chaque personnage incarne une posture face à la société de consommation: Kyoko est la fille aux dents sales choisie par l'entreprise afin de lui donner son quart d'heure de célébrité qui se retournera contre ses créateurs, Goda, un photographe qui réussit à tirer des moments d'abandon des filles qu'il photographie et se voit en pygmalion faisant et défaisant la gloire de ses modèles, incarne l'artiste détestant le système mais vivant cyniquement de ce dernier, Nishi incarne l'idéaliste partagé entre Kyoko et son amante/concurrente (elle n'hésitera pas à le trahir pour faire gagner des parts des marché à l'entreprise concurrente de celle de Nishi) et détestant son ancien camarade de promotion devenu arriviste Yokohama. Nishi se retrouvera forcé par Yokohama de sortir avec Kyoko pour qu'elle revienne dans la firme (cas original de promotion canapé).
Dans un monde où seul le profit compte, on en vient à avoir les yeux fixés sur les courbes de vente et à sa réjouir d'un malheur arrivant à un concurrent. Au début du film, les plans où l'on voit Yokohama s'amuser avec un revolver filent la métaphore requins de la finance/yakuzas. Mais le sommet du grotesque est atteint lors des scènes de campagne publicitaire où Kyoko parade (grand moment sur la manipulation des foules par le système en place) et se fait photographier en tenue de cosmonaute et où les dents sales deviennent le nouveau canon de beauté pour un peuple aisément manipulable qui idolâtre les mannequins en couverture de la presse people. Le carambolage créé par le passage de Kyoko dans une rue est un autre élément comique.
Mais cette satire ne serait rien si elle ne s'appuyait sur une grande mise en scène. Les mouvements de caméra amples agrandissent les bureaux aux dimensions du monde. Le début du film montre une série de clichés de Kyoko emportés par le vent symboles de l'éphémère de cette célébrité warholienne. Les étincelles sortant des briquets des employés sont superposées avec la production à la chaine de bonbons pour montrer l'aspect mécanique de la production. Une autre scène montre la caméra suivre des salarymen japonais portant les trois pièces comme un uniforme pour finalement s'élever vers le building de l'entreprise: on n'a jamais aussi bien résumé l'économie de marché. Lors d'une scène de concert d'une Kyoko couverte de bouquet de fleurs par ses fans, Masumura montre qu'il est aussi un grand cinéaste du kitsch, de la richesse chromatique et de la comédie musicale.
Mais in fine Yasuzo Masumura est optimiste. Car la création d'une poignée de manipulateurs (Kyoko) peut se retrouver à filer entre les pattes de ceux qui croyaient disposer d'elle, à faire valoir son statut et Nishi se retrouve à etre révulsé par l'arrivisme de Yokohama. Plus sûrement, c'est l'âpreté et l'absence de principes de leur guerre économique qui risque de conduire toutes ces entreprises à la chute. Masumura s'inscrit ainsi dans tout un mouvement de réalisateurs (Oshima, Imamura, Fukasaku) qui dénoncera avec vigueur l'envers du miracle économique japonais. Et leur dénonciation vaut encore au délà du Japon et pour la société d'aujourd'hui.
Comment ? Ce film date de 1958 ?!
... C'est en effet la réaction qu'on peut avoir en regardant "Giants & Toys".
Masumura Yasuzo est un cinéaste qui a été quelques fois en avance sur son temps. Prenons "Blind Beast", par exemple. Il est sorti quelques années avant "L'empire des sens" d'Oshima, mais les deux oeuvres entretiennent des rapports étroits au niveau de la recherche du plaisir par le biais de la violence physique. Bien sûr, le film le plus connu est celui d'Oshima. Mais à mon sens, Masumura est le véritable précurseur de cette thématique. Et de nos jours, on voir encore des "Fantasmes" ou des "Ken Park", films qui héritent d'idées instaurées par les cinéastes de la nouvelle vague japonaise.
On peut aussi prendre le cas "Manji". Au visionnage de ce film, on se rendra compte par exemple, que les cadrages de Wong Kar-Wai à partir de "In The Mood For Love", s'en rapprochent fortement. Sans parler de la substance même du film de Masumura, qui a du inspirer pas mal d'auteurs par la suite.
Et on pourrait continuer avec "Affraid To Die", film réalisé en 1960 qui met en scène des yakuza, bien avant Suzuki et Fukasaku, et doté d'un final proche d'un "A Bout De Souffle" de Godard, sorti la même année.
Donc, on en vient à "Giants & Toys". Le film m'a autant bluffé pour sa technique (un parfait sens du cadre, les travellings amples, le coup du briquet en surimpression, etc... c'est un vrai régal), que pour son contenu narratif. La lutte féroce que se livrent trois entreprises sur fond de tableau de courbes de statistiques, la critique acerbe de la société de consommation appuyée de répliques très explicites, ou encore la "fabrication" d'une célébrité et ses conséquences, etc... tout y passe, et surtout, tout ça pourrait être repris à l'heure actuelle (cf: "Fight Club", mais bon c'est pas non plus un exemple digne du film de Masumura...).