un film pudique et universel
Certes, Grains de Sable est le second film de Hashiguchi Ryosuke. Mais vu qu'il est sorti en France avant le très beau Petite Fièvre des 20 ans, on peut dire que c'est ce film qui l'a révélé dans l'hexagone. A l'image des nappes de synthétiseurs et des guitares légères de son score musical, tout dans Grains de Sable est pudeur, retenue et dignité. La réalisation tout d'abord: dès le début du film, elle n'hésite pas à se mettre à distance des personnages. Cette distance produit deux effets: le premier assez classique dans le cinéma japonais de rendre les dialogues plus forts car détachés de celui qui les dit, le second d'éviter au spectateur de rire à des situations à fort potentiel de grotesque. Ainsi lorsque Aihara prend peur devant le vibromasseur de Yoshida, la distance nous fait bien ressentir la tension de la scène. Les longs plans fixes, loin d'etre un cliché destiné au public festivalier, réussissent à créer chez le spectateur une sensation de malaise, que quelque chose est cassé qui correspond bien à des personnages ayant du mal à trouver leur marque dans le cruel monde de l'adolescence. Les acteurs font beaucoup pour la force du film de par un jeu retenu mais très expressif. Le travail sur les bruits sourds participe de la sensation de malaise suscitée.
S'il a été réalisé par un des seuls cinéastes japonais à revendiquer son homosexualité, Grains de Sable ne saurait se limiter à un tract militant gay. Le film évoque la difficulté d'etre différent à l'adolescence et la cruauté de ces années-là et est donc dès lors une oeuvre universelle. A ce titre, la scène où Shimizu déballe violemment toutes les affaires d'Aihara en la soupçonnant de vol révèle la forte capacité des adolescents à prendre les rebelles et les excentriques comme coupables désignés car leur seul tort est d'etre comme ils sont. Au travers de la peur d'Ito de déclarer sa flamme à Yoshida, c'est la peur d'etre rejeté par l'autre qui est évoquée. Mais pardoxalement ce seront les rumeurs d'homosexualité les concernant qui rapprocheront Ito et Yoshida. Et surtout une femme comme toujours chez Hashiguchi. Car la fille rebelle Aihara (spécialiste des phrases définitives notamment au début du film où elle traite des copines essayant de lui soutirer de l'argent en usant de la corde sensible de "fascistes des sentiments") sera le détonnateur de leur rapprochement: c'est elle qui poussera Ito à déclarer sa flamme à Yoshida au travers d'un premier pas maladroit, c'est elle qui rejettera les avances de Yoshida et soutiendra Ito malgré ses échecs. Aihara attirera Yoshida paradoxalement à cause de sa froideur qu'il ne comprendra que plus tard quand il apprendra qu'elle a été traumatisée par un viol. Dès lors, les deux garçons feront tout pour la rejoindre et là encore Aihara jouera le role de détonnateur en faisant porter ses fringues à Ito pour pousser Yoshida à l'étreindre puis enfin à sauver Ito de la mort. Ce final sur une plage de nuit superbement filmé évoque par sa force celui de Petite Fièvre des 20 ans où les jeunes prostitués se déclaraient leur flamme sous la pression d'un de leurs clients.
Grains de Sable révélait un cinéaste japonais de talent qui osait aborder les tabous avec dignité et évitait l'effet Dossiers de l'Ecran grace à une mise en scène très audacieuse. Et la situation de son réalisateur est assez révélatrice du peu de cas que la presse locale et le monde du cinéma japonais font de leurs réalisateurs de talent. En effet, la palme d'or cannoise d'Imamura en 1997 fut peu médiatisée au Japon et la presse ne parla du Lion d'or d'Hana Bi que du fait de la notoriété de Kitano comique. De meme, si Hashiguchi jouit d'une forte cote dans la planète cinéphile, il a du ramer pour tourner Grains de Sable et Hush malgré le succès public de son premier film au Japon. Dès lors, il est triste mais compréhensible qu'il ait mis de l'eau dans le vin de son cinéma avec un Hush! décevant et tombant dans les pièges évités ici.
Seul sur la plage...
Drame homo intimiste, ce très joli essai peut se vanter de ne pas donner dans la surenchère, ni dans la caricature et de toucher juste.
A la différence de beaucoup d'autres oeuvres sur le même thème, le réalisateur sait éviter clichés éculés et - à l'opposé - idéalisation du corps.
Au contraire, il se place à une distance certaine, se pose en simple spectateur de son scénario riche en rebondissements.
Ceci est un pari osé, car déjà que l'implication du spectateur est difficle à obtenir avec un tel sujet, se distancier de la matière et de ne pas donner trop de relief à ses personnages ne leur permet pas de donner un pôle identificateur fort; mais c'est justement par ce côté simpliste et d'autant plus réaliste, que le film arrive à convaincre.
Reste, que cette apparente austerité dans son approche, ainsi que la mise en scène dépouillé (académique et manquant singulièrement d'un soulignement muscial) étire l'histoire quelque peu en longueur. La fin est certes très touchante - à l'image de la scène sur la plage avec intervention des rôles - mais manque de rattrapper une première partie un brin longuette.
Le courage d'un tel film est pourtant à souligner et salutaire dans un formatage cinématographique populaire autrement plus limité.