Xavier Chanoine | 3.5 | Liberté fracassante |
Ordell Robbie | 2 | Plombé par le cabotinage du cast. |
Bande annonce
Shin n’en peut plus de la vie qu’il mène depuis son enfance, lui qui voulait déjà s’envoler tout jeune. Fatigué de sa condition d’étudiant blasé, désintéressé par son amie et la société léthargique dans laquelle il vit, il n’a qu’une idée en tête, mettre les voiles pour le pays de l’oncle Sam afin d’y vivre le rêve américain. Ce même pays qui vit naître les fondateurs des plus grands empires économiques des récents siècles, à l’image de Rockefeller ou Ford, qui ont réussit à entrer dans la légende avec un penny. Et pourquoi pas Shin, ou ses amis gangsters délurés Lee et Takeda ? Figure symptomatique de cette envie de bâtir un empire avec ce qu’ils n’ont pas encore, Shin et Lee partageront le même penny symbolique –mais inexistant, ils n’ont pas un rond- dans les moments de détresse comme pour s’insuffler l’énergie et la motivation nécessaires à la mise en place de projets ambitieux. Il faut dire que les ambitions du trio improvisé s’arrêtent aux vols à la tire, aux trafics illicites de cornets de glace au parfum d’une quelconque drogue, aux déambulements dans les immenses rues d’un Manhattan acquis à la gouape urbaine, aussi bien flic que cartel.
Rapide présentation des deux loustics expatriés, Lee est un illuminé issu de la scène underground, on raconte –selon une enfant en voix off- qu’il adorait embêter les gens dans la rue à moitié nu, quant à Takeda, personnage un peu nunuche qui n’a d’yeux que pour Nancy, une employée de restaurant distribuant des flyers promotionnels dans la rue. Pas des héros, c’est certain, mais des tronches et des caractères suffisamment trempés pour les identifier au premier hurlement mixant allègrement argot américain et japonais. Si Kitano Takeshi démontrait avec Aniki, mon frère que les gangs aux Etats-Unis n'étaient pas si différents de ceux du Japon, avec cet esprit de fraternité très poussé, Sono Sion y expose une face du pays à des années lumières de celle du Japon. Quant aux personnages, il n'en fera pas réellement des héros, il porte tout du long un regard neutre sur les individus qu’il dépeint : lors des séquences de vols à la tire plutôt hilarantes, le cinéaste implique le nouvel arrivé Shin dans ces ébats risqués, mais incapable de parler la langue, il sortira un petit bouquin d’anglais dont il récitera avec hésitation des phrases toutes préparées afin de prier les commerçants de donner leur argent. Welcome to America.
Œuvre emprunte d’une force et d’une liberté assez remarquables, Hazard privilégie justement les instants de pur hasard comme la rencontre de deux jeunes femmes –elles aussi très libres, la présentation plutôt mouvementée à Shin du quartier New-Yorkais par deux blacks improvisés guides touristiques, les guets-apens de la police ou encore les sessions crèmes glacées qui virent au trip portnawak jouissif, sous les hurlements incessants d’un Lee, grande gueule attachante et attraction du film. Ce vent de liberté est bien retranscrit par l'image virtuose au gros grain de Yanagida Hiroo, plus connu comme étant le chef opérateur du Flower and Snake de Ishii Takashi ou de l'étrange Starlit High Noon de Nakagawa Yosuke repéré à Berlin en 2005. Le côté alerte de cette caméra, éprise de toutes les libertés possibles, n’est plus qu’un simple moyen de capter l’image, elle transgresse les codes du cinéma en bousculant les personnages, pour se frayer un chemin dans une allée d’épicerie ou pour échanger avec le trio une réelle complicité en restant constamment à leurs côtés. Elle est l’œil du spectateur, le moyen unique de pénétrer l’univers de ces gangsters aux rêves utopiques. Et le fait que Sono Sion fasse preuve d’une neutralité absolue face aux personnages, aussi bien dans les moments de délires passagers que dans d’autres bien plus dramatiques, l’alchimie diabolique entre vent de fraicheur et utopie qui vire au massacre n’en est que plus grande, plus viscérale. L’épilogue pose également tout un tas de questions sur l’avenir de Shin, impeccable Odagiri Joe, l’être timide et lâche –il le dit lui-même - qu’il était au début laisse place à quelqu'un de plus respectable mais aussi de plus méprisable aux yeux des forces de l'ordre. Avec son retour, Tokyo n’a qu’à bien se tenir.