Arno Ching-wan | 2 | Quand Kill Bill rencontre Derrick |
Ordell Robbie | 3.25 | Flammes éteintes |
Xavier Chanoine | 3.5 | Faire du neuf avec du vieux, une recette idéale pour l'avant-dernier de Gosha |
Si Heat Wave est un yakuza eiga signé Gosha bien plus convaincant que son Wives of the yakuza à succès, reste qu'il demeure moins abouti que ses réussites passées. On ne peut pourtant retirer au film quelques qualités. Des acteurs excellents, Nakadai en tete, par exemple. Ou encore une mise en scène le plus souvent de bonne facture classique. Mais quand meme pas sans reproche: utilisation du ralenti sentant l'artifice formel et deux scènes -un spectacle sensuel, une scène de sexe- sentant un certain esthétisme clinquant eighties. Le script? La façon dont paradoxalement un attachement entre Rin et Tsunejiro se construit progressivement est très peu creusée. Le script évoque également le thème du conflit entre désir individuel et contraintes collectives, thème déjà traité brillamment par Gosha dans le ninkyo eiga Les Loups. Le score est quant à lui écoutable mais bien moins inspiré que d'autres scores de films de Gosha. Qui plus est, on sent cette fois Gosha trop distant vis à vis de son sujet. On ne retrouve pas ici la profonde empathie du cinéaste pour ses figures de révoltés qui faisait le prix de ses meilleurs films. Le gachis se fait des plus évidents lors du climax final classiquement ninkyo: tous les ingrédients de la grandeur (intensité de sentiments des personnages, exécution de bonne facture) sont là mais là folie faisant le prix de ce genre de scènes manque. Du coup, on obtient un bon yakuza eiga "à l'ancienne" mais pas un grand Gosha. Des qualités mais plus de flamme...
Kagero, c'est du Gosha Hideo d'un autre temps, d'une époque révolue qui tente tout de même de résister tant bien que mal en imposant son caractère résolument "cinéma classique" du genre sixties et seventies où chambara, yakuza et romance peuvent se mêler avec énergie à l'esthétique d'un film des années 90. Et on reconnaît en Gosha Hideo (ainsi que sa "troupe" d'esthètes Morita Fujio et Yoshinobu Nishioka) un véritable talent d'esthète et d'amateur de belles toiles car Kagero, en sus d'un filmage alternant très souvent formalisme d'époque sixties et solutions visuelles plus récentes (comme cette incroyable lune rouge), dispose d'éléments visuels marquants qui ne sont pas fortuits. Si la séquence de démonstration sexuelle saphique peut paraître indigeste, du fait d'un éclairage marquant, elle est en contradiction avec d'autres séquences filmées de manière plus classique, sans artifices visuels clinquants. Pourtant le pari sur l'esthétique moderne confrontée au filmage plus classique fonctionne à merveille et fait véritablement écho au superbe travail opéré sur Death Shadows : ces couleur vives apparentes, l'utilisation du format 1.85 créant la rupture avec ses films de sabre tournés en scope et ce parfum de théâtralité notamment dans sa séquence finale réussie témoignent de cette volonté à faire du "neuf" avec du "vieux". Gosha n'a pas oublié qu'il sait mettre en avant les émotions de ses personnages, leur volonté de ne pas être dépassés par les évènements ni même de se résigner face à la contrainte. Humainement les protagonistes sont bien dépeints, notamment la belle Orin, joueuse officielle et tueuse officieuse qui retrouve des années après, le bourreau de son père, un ancien joueur qui n'a pas accepté la défaite. Cette première est d'ailleurs devenue une joueuse de qualité et tentera d'aider son frère, lui aussi criblé de dettes et qui vient de perdre la propriété de son restaurant.
Ce sont donc ici encore des destins croisés qui mouvementent le film, cette capacité à faire croiser les chemins de personnes qui se sont effleurées par hasard et qui se retrouvent pour la même cause : le jeu. Le film se dessine autour du jeu de pari, classique des films de yakuza (voir Pale Flower de Shinoda, par exemple) et classique des films de sabres, pas une surprise lorsque l'on sait que Kagero est la somme de ces deux identités, le résultat est sans surprise mais le traitement est intéressant. Outre ses longues séquences de jeu filmées avec une véritable rigueur du cadre, suffisamment vues de loin pour ne pas accentuer le trop plein d'émotion véhiculée par la concentration des joueurs (dont un Nakadai Tatsuya inspirant le malaise), Kagero privilégie aussi les valeur du cinéma de genre nippon auquel le cinéaste nous avait habitué : le film culmine donc dans son duel final barbare et nihiliste mais garantit un esprit punk proche du manga lorsque Gosha termine son oeuvre par la présentation de tous les personnages du film, en photo, sous une bande-son électrique. Un choix esthétique, voir "stylistique" douteux mais que l'on salue pour son audace et parce qu'il contrarie ce qui s'est déroulé sous nos yeux deux minutes avant. En définitive, cette intéressante période du Japon sous l'ère Showa est aussi l'un des facteurs qui fait que l'on aime ce cinéma : la disparition au fur et à mesure des vrais samouraïs au profit des armes à feu et autres explosifs, la séquence où Orin dynamite le restaurant en est la meilleure définition, surtout lorsque cette dernière manie aussi bien le sabre que le revolver. Kagero est donc un film classique au sens propre, délicieusement érotique, d'une belle beauté plastique faisant la part belle à l'éclatant rouge vif, l'avant dernier film de Gosha Hideo est aussi bien écrit, sans grosses surprises, mais le résultat est là : s'il n'a pas été un succès, il demeure suffisamment atypique pour captiver.