Xavier Chanoine | 4 | Superbe remake. |
Ordell Robbie | 4 | Moins réussi que l'original |
MLF | 3.5 | |
Ghost Dog | 3.5 | Nomades et sédentaires |
Attention, révolution dans la filmographie du cinéaste! Ouvrez bien grands vos yeux, prenez un carnet et notez ce qui suit : deux jeunes gens vont s'embrasser et en gros plan s'il vous plaît. Oui, un baiser des plusieurs secondes dans le cinéma d'Ozu n'est clairement pas monnaie courante et rien que pour cela, Herbes flottantes vaut le détour. Outre cette petite anecdote ironique, précisons aussi le ton parfois très sombre de l'oeuvre, comme si Ozu voulait créer une véritable rupture avec son film précédent Fleur d'Equinoxe, avant de se consacrer à la comédie irrésistible un an plus tard avec Bonjour. Dans Dernier Caprice, Nakamura Ganjiro était touchant et amusant dans la peau d'un vieil homme qui prenait la vie comme elle venait. Ici, il est presque détestable, lâche et primaire, comme si il n'acceptait pas le fait d'être un saltimbanque, un mal-être ressentit dans la relation tumultueuse qu'il entretient avec l'actrice principale de la troupe qu'il dirige, jalouse de le voir revenir chez son ancienne maîtresse. Ce n'est pas non plus ici une révolution, mais la virulence des propos qu'il tient à l'égard de son actrice, étonne pour un mélo Ozuesque. Le cinéaste nous avaient déjà habitué à la "maltraitance" des femmes dans sa période noir et blanc, surtout muette, mais le fait que le contexte ici soit particulièrement coloré, la musique joviale et le cadre agréable, l'ensemble contribue à créer cet espèce de contraste déroutant.
En tant que remake du très bon Histoires d’herbes flottantes, Ozu n'avait pas intérêt à se vautrer. Pari réussi puisque ces Herbes flottantes évitent l’hermétisme et la froideur de l'original que l'on aurait pu craindre ici, surtout en couleur. Si l'aspect dramatique poussé d'Histoires d’herbes flottantes fonctionnait, c'est parce que le contexte d'époque (noir et blanc, cinéma muet) favorisait cette approche glaciale des rapports entre le père et son fils. Ici, Ozu ne tombe pas dans le pathos et offre à ces nouvelles herbes une dynamique totalement différente : complexité des personnages, complexité des rapports (la jalousie rapprochera les deux êtres en crise, Kiyoshi ne montrera aucun signe d'étonnement lorsqu'il apprendra qu'Arashi est son père, pour finir par aller pleurer dans sa chambre) et complexité du visuel. En effet, nombreux sont les moments peu éclairés (les baisers que s'échangent Kiyoshi et Kayo, les intérieurs paraissent même être sans vie), une pratique guère courante chez Ozu, surtout pour sa période couleur. Ce que l'on retiendra donc de ces Herbes flottantes c'est tout simplement une superbe histoire, peut-être d'avantage plus riche que l'opus original (bien que les dialogues soient souvent réduits à leur plus simple expression chez Ozu, un dialogue de "tous les jours") et surtout, superbement interprété. Des portraits de femmes d'une richesse surprenante, chacune ayant son mot à dire et une véritable beauté à revendiquer. Les femmes chez Ozu n'ont jamais été aussi belles que durant sa période couleur. Tout simplement un grand film.
La version de 1959 vaut par la précision de ses cadrages mais elle est à mon sens un des moins bons Ozu de la période couleur patissant de la comparaison avec l'original. Déjà parce que ce ne sont pas que quelques plans qui y sont trop longs de quelques secondes au point de susciter un léger endormissement mais le montage de toutes les séquences qui souffre de ce travers. Les défenseurs me diront surement à raison que cette sensation se rapproche de ce qu'on peut ressentir lors d'une période de chaleur excessive, période durant laquelle se déroule le film.
Il se pourrait effectivement que je puisse bien plus apprécier le film si je le revisionnais en période caniculaire mais à mon sens les vrais chefs d'oeuvre du cinéma n'ont pas besoin de certaines conditions météorologiques ou de vécu du spectateur pour pouvoir etre pleinement appréciés, surtout que la création par un film de l'état somnolent chez celui qui le voit est rarement une sensation agréable au cinéma, ça veut meme dire qu'on est en face d'un film soporifique. Les scènes de dispute fonctionnaient bien mieux par exemple dans l'original parce que leur découpage ne tuait pas leur tension. Qui plus est, je n'ai rien contre les moments inutiles narrativement -j'adore les digressions fordiennes entre autres- à condition qu'ils m'apportent un plaisir de spectateur -comme chez Ford justement- mais là ces moments-là rallongent un film déjà trop long sans rien offrir en compensation rayon émotion. L'autre point qui ne fonctionne pas ici, ce sont les passages comiques qui arrachent tout au plus un sourire.
Bref, il y a des choses excellentes dans le film, ses défauts ne sont pas si graves mais ils ne sont pas négligeables non plus.
N’ayant pas vu le film original de 1934, je ne peux établir de comparaison entre les 2 versions.
Cet Ozu-là n’est pas pour moi le plus réussi. Bien sûr, l’atmosphère inimitable de cet auteur est présente, avec ses cadrages et son découpage au cordeau, sa petite musique en sourdine qui vient égayer le propos, et cette nouvelle histoire de famille centrée sur un père qui aime trop la liberté et l’absence de responsabilités pour reconnaître et élever son fils, préférant courir les jupons et voyager de port en port avec sa petite troupe de théâtre. Nakamura est détestable bien comme il faut dans ce rôle, insultant à tout va, faisant mine de n’être bouleversé par rien tout en souffrant intérieurement. Autour de lui, les personnages sont plus convenus : les deux jeunes amoureux qui résistent à la pression de cet homme autoritaire et illégitime à leurs yeux, la vieille maitresse compatissante, la jeune amante jalouse.
Pour son seul film produit par la Daiei, Ozu nous livre un remake de qualité, qui surprend par sa simplicité et sa limpidité narrative (comme souvent), mais qui ne se révèle pas une œuvre majeure de sa filmographie.