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3.45/5
Histoire du Japon d'après-guerre racontée par une hôtesse de bar
les avis de Cinemasie
3 critiques: 4.08/5
vos avis
7 critiques: 3.54/5
un point de vue passionnant sur le Japon d'après 1945
Avec Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar, Imamura offre un regard décalé et passionnant sur le miracle économique japonais d'après-guerre au travers d'une arriviste commentant les actualités d'époque et sa propre existence. Des interviews de ses proches et des hommes qui l'ont cotoyée viennennt offrir un contrepoint bienvenu à sa vision. Au travers de ce film sont passés en revue l'occupation américaine, les GI's (dépeints de façon plus humaniste que chez Fukasaku ou Suzuki), la montée du communisme et sa répression, la contestation de l'oocupation américaine et des bases militaires, les attaques contre la monarchie, la guerre de Corée, l'assassinat de Kennedy et le Viet Nam. Le point de vue de l'ex-hôtesse sur les événements est plus lié à sa vie quotidienne qu'à une réelle réflexion politique: elle ne parle de Kennedy que dans la mesure où sa mort a affecté ses compagnons GI's, elle voit dans les photos des massacres de vietnamiens des manipulations car elle imagine que des hommes qu'elle a fréquentés et plus appréciés que les japonais (les Gi's) sont incapables de barbarie.
Son personnage est attachant malgré une ligne de conduite amorale: après avoir séduit un homme plus jeune qu'elle pour se venger des infidélités de son premier mari, elle déclarera que si on est prêt à tout pour avoir quelque chose on obtient ce que l'on veut; elle ne voit dans ses maris que des moyens d'avoir un enfant et d'obtenir ce qu'elle veut (d'abord de l'argent, un bar mis à son nom aux States puis la nationalité américaine en épousant un américain de 20 ans son cadet dont elle espère un jour soutirer une bonne pension alimentaire après un divorce, preuve qu'à la fin du film son élévation au sommet par le charme et la volonté n'est pas achevée); elle se comporte de façon dure avec ses filles car elle aimerait qu'elles fassent un bon mariage (elle est complexée par ses origines sociales et avait grandi dans une époque où une fille de boucher ne pouvait épouser un homme de condition). Imamura la montre comme une personne ayant tout fait pour survivre dans des temps durs mais en fait aussi une métaphore du miracle économique japonais: il montre ainsi que la résurrection du pays s'est faite au travers de gens feignant d'ignorer les repères moraux et pointe ainsi les fondations de la reprise économique.
Mais Imamura utilise aussi le documentaire comme un champ d'expérimentation formelle et narrative: l'ouverture du début juxtapose de façon saisissante les images d'Hiroshima et des plans d'abattoirs (qui seront la première source de fortune de l'héroine avec l'explosion du marché noir), les plans rapprochés de l'hotesse sont entrecoupés de split-screens qu'un Godard ne renierait pas, ils alternent avec des plans de l'hotesse commentant les actualités d'époque, des interviews où les propos sont désynchronisés des mouvements de bouche des interviewés et enfin Imamura utilise une profusion de zooms et d'arrêts sur image pour rythmer le récit.
Le film nous offre un point de vue alternatif passionnant sur l'histoire du Japon.
La petite histoire dans la grande
Imamura a toujours été un cinéaste singulier, et ce n’est pas ce documentaire datant de 1970 qui viendra contredire cet état de fait puisqu'il a choisi de revenir sur les 25 dernières années de l’Histoire de son pays en interviewant une japonaise «moyenne» en la personne d’Akemi, propriétaire de bar joufflue à la franchise cinglante. Ecouter cette femme bavarde raconter avec ses mots et sa vision des choses des évènements aussi importants que la bombe nucléaire, l’occupation américaine, les guerres de Corée ou du Viet-Nam, ou encore les violentes manifestations des années 60, avec images d’archive à l’appui, est alors aussi intéressant qu’agaçant, voire grinçant ; à la voir nier l’évidence des massacres perpétrés par les américains dans la jungle vietnamienne ou expliquer qu’elle souhaite se marier avec un militaire US dans l’unique but d’avoir cette nationalité américaine tant convoitée lui permettant de quitter un Japon plein de « japonais incapables », cette femme au demeurant sympathique choque par son arrivisme, son opportunisme et son cynisme. Doit-on déceler à travers ce personnage une parabole sur le comportement du Japon vis-à-vis d’un pays à la fois bourreau et guide spirituello-économique ? Peut-être. Il n’empêche que les avis contradictoires qu’apportent les parents, la fille et l’ex-mari d’Akemi sont des contrepoids bienvenus au discours trop sûr et trop bien huilé de celle-ci, preuve que Imamura ne rentre pas dans son jeu aussi facilement.
En signant ce documentaire original dont l’abatage de vaches, le discours dérangeant et les transitions de plans composées de zooms rapides sur des images fixes ont peut-être inspiré Gaspard Noé pour ses Carne et Seul contre tous, Imamura réussit brillamment à confronter histoire personnelle et Histoire collective. Une curiosité à découvrir.
La vérité sort toujours de la bouchère des enfants
Suite au cuisant échec de son ambitieux "Profonds désirs des Dieux", Imamura entame sa reconversion (provisoire) dans le documentaire – et trouve un sujet en or, qui n'est pas loin de constituer un parfait aboutissement à toute sa filmographie qui ait précédé.
En retournant dans le quartier "chaud" de al ville portuaire de Yokohama (principal décor de son "Cochons et Cuirassés", il tombe sur la patronne d'un discret café à l'écart tenu par une hôtesse originaire de "l'arrière-Japon". Une fille de la campagne, ayant "réussie" dans l'économie souterraine en devenant hôtesse d'un bar dans la zone occupée par les américains. Imamura ne pouvait avoir eu de meilleur flair, car à écouter l'histoire de sa vie (frappée à coups de base-ball par sa mère dans sa jeunesse, elle se met en ménage à 15 ans avec un flic pour que les forces de l'ordre cessent d'inquiéter le marché noir de ses parents. Elle avorte deux fois avant de décider son nouvel enfant pour espérer à ce que son mari, la trompant avec sa mère, cesse de la frapper; puis elle entretient des liaisons extra-conjugales, finit par ouvrir un bar d'hôtesses en compagnie de sa sœur, rejoint une secte pour pouvoir divorcer, et s'amourache de divers marins américains, dont elle a d'autres enfants pour finalement épouser un homme de vingt ans son cadet pour convoler en justes noces aux Etats-Unis et espérer étendre son commerce là-bas…et son histoire est loin d'être complète en l'état…), elle rappelle maints personnages de al filmographie passée du cinéaste, à commencer par "La Femme Insecte". La comparaison avec ce dernier est bien évidemment d'autant plus flagrant en raison de sa "carrière" menée en parallèle avec les événements historiques du Japon (d'à peu près la même période).
Une curieuse – et pourtant ô combien efficace – mise en parallèle entre la description glaçante d'un "abattoir" à l'ancienne (on y achève encore le bétail d'un coup de marteau piqué dans la tête de l'animal avant de le dépecer à moitié conscient) et les cadavres des soldats de la Seconde Guerre Mondiale trouvent une rapide "explication" dans la descendance et le premier métier de l'hôtesse, bouchère au moment de la Seconde Guerre Mondiale. Imamura s'amusera à dresser d'autres mises en parallèle tout au long de son documentaire (l'hôtesse parle d'amours fleur bleu sur fond de répressions musclées des manifestants; elle énumère ses différents amours avec des GI US, alors qu'à l'écran els tensions entre militaires et japonais progressent de simples provocations en bagarres de rues en rixes mortels, …), car peu de fois l'hôtesse semble réellement inspirée en vue des images d'archives – tout au plus se rappelle-t-elle de certains épisodes de sa vie personnelle (un rendez-vous galant; la naissance de sa fille; son départ pour al ville, etc), qui sera – en fin de compte – le véritable fil conducteur de ce documentaire. Il est d'autant plus passionnant de constater, que malgré l'insouciance relative de l'hôtesse pour son pays ou d'une flagrante méconnaissance de certains événements ("on avait peur d'être envahis par les coréens; ils étaient tellement nombreux!"), son histoire est intimement liée à celle de son pays: elle ait pu "survivre" aux sombres années de l'immédiate après-guerre en raison du métier de ses parents et du marché noir; ce qui lui donnera suffisamment de fonds pour créer tout d'abord un salon de patchinko – refuge d'oubli pour les japonais fauchés – puis acheter son bar. Bar, qui n'ait pu "tourner" qu'en raison de la zone occupée par les américains et dont les va-et-vient sont la conséquence des tensions politiques internationales.
Imamura s'amuse également à travailler l'image même: TOUTES les témoignages des protagonistes AUTRES que l'hôtesse sont désynchronisés, comme s'il fallait leur accorder moins d'importance qu'à celle de l'hôtesse ou en douter; des fréquents arrêts sur image (dans tous les films d'Imamura depuis "La Femme Insecte") avec un zoom rapide sur un personnage dans l'image se focalisent uniquement sur des basses couches populaires, puis même à des personnes pas forcément apparentes au premier regard (personnage de dos face au premier ministre abdiquant; homme blotti dans une devanture en arrière-plan d'une sombre allée).
La fin est tout simplement terrifiante dans la froide détermination de son personnage, dont on ne sait, si elle est totalement blindée, une candide rêveuse ou une froide vengeresse de sa put1 de condition…Et de se voir révéler, que ses filles ne feront que répéter sa propre histoire à l'opposé de l'historie de la "Femme Insecte", qui prônait un retour aux valeurs).
Rarement leçon historique n'aurait été aussi passionnante!
Femme libérée
A travers le parcours d’une hôtesse de bar japonaise décidée à tout pour réussir, nous assistons à un résumé historique partant de Hiroshima jusqu’aux années 70 débutantes. Si certains faits internationaux sont connus de tous, d’autres plus locaux ont le mérite d’éclairer une partie de l’histoire encore récente de l’archipel.
Dans la filmographie extrêmement riche de Shohei IMAMURA, ce documentaire étonnant présente des qualités de narration incontestables pour maintenir l’intérêt jusqu’au bout.
Akemi, la barmaid devenue businesswoman est déjà à elle seule un personnage de roman, mélange d’arrivisme assumé et de naïveté dans sa vision du mâle américain même en cette année 1970, mais aussi de bon sens populaire à la vision du mariage trop somptueux du fils de l’Empereur alors que certains de ses sujets vivent dans la misère. Si ce déballage est parfois rébarbatif comme une sorte de REAL TV avant l’heure, le montage parvient à faire passer les discours nombrilistes par l’insertion de plans d’archives ou de scènes du quotidien des protagonistes. Car plutôt fière de son parcours chaotique, Akemi dé@!#$ un discours bien huilé devant une caméra qui ne s’en laisse pas compter : le cinéaste ira chercher la contradiction auprès d’autres témoins pour éclairer ce parcours d’un jour nouveau.
Mais une telle personnalité expansive, ni spécialement sympathique ni très glamour, est du coup parfaitement représentative de tout un pays choisissant alors la croissance à tous prix. Même pour une femme issue de la caste rejetée des Burakumin (ségrégation encore sensible de nos jours), et peut-être là plus encore, le désir de réussite prime sur tout le reste.
IMAMURA retranscrit cette volonté d’un regard quasi-clinique, pendant que défilent des évènements majeurs qui n’affectent qu’indirectement l’hôtesse. Il foule au passage l’image figée d’un Japon de carte postale : le monde d’Akemi est bien plus pragmatique que spirituel, même lorsqu’il s’agit d’intégrer une secte religieuse, l’hôtesse faisant plus confiance aux tireurs de carte qu’aux autorités religieuses.
Très imprégné par cette époque de contestation de la fin des années soixante, pas seulement par ce qu’il montre mais aussi par sa manière novatrice de le faire, ce long-métrage est un très intéressant témoignage de toute une période pas si lointaine, au-delà de ses qualités cinématographiques. Présentant finalement un mémorable portrait de femme libérée à une époque et dans une société ou cette affirmation ne coulait pas vraiment de source.