Il est bon de voir de temps en temps un cinéma d'auteur résister face à l'avalanche de produits destinés au grand public. Host and Guest s'affranchit de tous les poncifs du genre pour affirmer une approche décalée et riche en humour noir du film social comme on le connaît. Ho-Jun n'a plus d'espoir, ce divorcé tue le temps devant son ordinateur et laisse à la porte les témoins de Jéhovah. Il n'a plus tiré son coup depuis des lustres et se paie les services d'une prostituée le temps de quelques secondes de plaisir. Au bout du rouleau, il se retrouve coincé dans un état proche de la mort à l'intérieur de sa salle de bain avant d'être sauvé in extremis par Gye-Sang, un protestant qui vit lui aussi, seul. Les deux hommes vont alors partager leur vision de la vie et s'apprécier mutuellement malgré le faussé qui les sépare. Si vous voulez découvrir un versant de la Corée qu'on ne trouve décidément pas dans le catalogue mainstream des films destiné à un large public, Host and Guest aura de quoi vous heurter : peinture sans retenue d'une Corée guère reluisante où l'on évoque la prostitution (l'une des prostituées confie d'ailleurs qu'elle gagne plus que Ho-Jun en son temps), les travers politiques du pays (malaise Nord/Sud symbolisé par la pancarte sur les espions), les dangers de la société de consommation et du capitalisme. Si certains propos sont évoqués avec une vrai sécheresse de ton (le mouchoir enduit de sperme jeté sur une photo de Georges W. Bush) tendant parfois à l'exagération (l'incroyable prise de bec dans un taxi entre un fervent défenseur du régime militaire US et Ho-Jun), on ne peut que saluer les convictions du cinéaste dans les domaines qu'il aborde. Reste à présent au spectateur d'y voir plus clair dans tout ce merdier de propagande (on y voit d'ailleurs des spots TV aberrants de mièvrerie rendant encore plus pathétique Ho-Jun) et d'être d'accord ou non avec ce qui est dit. Mais une chose est sûre, Shin Dong-Il n'a pas de vrai parti pris à propos des deux personnages qu'il met en scène, tout deux ont leurs qualités et défauts qui leur permettent d'avancer et d'éviter de stagner dans le vide, si Gye-Sang a redonné goût à la vie à Ho-Jun, ce dernier le décoince le temps d'une partie de karaoké qui tournera hélas au vinaigre.
Le fait d'évoquer la religion et de remettre en question certains principes, acceptés par Gye-Sang, prouve que les deux hommes font preuve d'une vraie écoute d'autrui et ne restent pas coincés dans un extrémisme dangereux. Ils sont humains avant d'être des gens aux convictions très fortes. Mais si le film est suffisamment riche dans le fond, la forme reste à un stade de déjà-vu "auteurisant" : abondance de plan-séquences fixes, présentation du corps dans son état le plus simple (Ho-Jun passe presque la première moitié du film complètement nu), Lee Kang-Sheng aurait très bien pu remplacer Kim Jae-Rok, on y aurait vu que du feu. Aussi, l'absence de musique peut-être bénéfique quant à la neutralité du cinéaste envers les deux personnages, mais cette absence tend à hermetiser le film de quelconques émotions, d'où une approche singulière du sujet qui n'oublie pas non plus quelques savoureux moments : la séquence la plus drôle du film est lorsque Ho-Jun et Gye-Sang prennent un taxi avec une autre personne et discutent politique. Avant l'empoignade, un des passagers demande au taxi ce qu'il pense de Bush, Kim Jung-Il et Roh Moo-Hyun. Ce dernier répond alors que ce n'est pas son affaire parce que ces types là ne prennent pas le taxi. Au final, Host and Guest est un film à part dans le paysage cinématographique coréen. Du cinéma indépendant sans doute plus intéressant que celui qui fait son gagne-pain en évoquant les "oubliés" de la société et en prônant ainsi toute forme de misérabilisme pour mieux nous émouvoir. Ici le spectateur ne subit pas ce qu'il voit, il y réfléchit.
Qu'il est bon de re-voir finalement un VRAI film indépendant; un réalisé sans l'aide de personne, pour quelques sous en poche et avec les moyens de bord. Un, qui ait beaucoup (trop) de choses à dire. Un, qui se permet de longueurs, mais sans que cela soit réalisé dans le seul but de satisfaire une prétendue demande d'un public occidental.
"Host and guest" n'est certes pas exempt de défauts. Des longueurs, des choses trop appuyées, des raccourcis un peu faciles; mais il ne peut que remporter l'adhésion devant la sincérité du propos et le côté véritablement engagé. Le réalisateur aime la société coréenne; mais il lui tend également un miroir pour l'avertir des torts et des travers. A commencer des tracas du quotidien, des effets pervers d'un capitalisme rampant, qui bombarde les citoyens de leurs publicités, qui pousse à la consommation – même du sexe.
Le personnage principal est un anti-héros, antipathique (et pathétique) au possible. Brisé par la société (il a perdu femme et travail), il vit accroché à ses seuls rêves, certainement jamais réalisable. Il manque de maturité et de recul nécessaire et a pris pour parti de ne vivre plus que pour son propre plaisir.
Sa "mort" (après une purification signifiée par la douche) symbolique débouche sur une première "renaissance" en sa rencontre avec un croyant. Opposition des mentalités, le film s'engage sur un "buddy-movie" aux multiples antagonismes; mais finalement n'est pas "instruit" celui qui croyait l'être, mais bien et bel la "brebis perdu". Avec une connotation forcément religieuse, le réalisateur réussit tout de même de ne pas verser dans l'apologie d'un Dieu ou d'une foi quelconque – au contraire; le personnage du fidèle croyant ne lui sert que de démontrer les convictions d'un chacun, le oint d'accroche pour croire en quelque chose pour faire avancer un homme.
Et de re-donner une raison de vivre à une âme éteinte.
Un film qui vous rappelle avec insistance combien il fait de l'Art, ça oui monsieur, comme Godard, un film "Art et Essai" pas comme toutes ces bouses de supermarché, un film que même s'il est filmé avec les pieds il parle des vrais gens et de la vraie réalité et des vrais problèmes socio-économiques de notre époque, tant qu'à faire, un film engagé et qui se renvendique avec tant d'aplomb comme l'avatar contemporain du Chil-Soo & Man-Soo de Park Kwang-Soo (souvent concidéré comme le premier film de la nouvelle vague coréenne, dont d'une certaine manière il reprend le duo de personnages principaux), et bien ça ma brave dame c'est douteux. Oui, douteux.