Autant se préparer psychologiquement à l'aventure sur l'île de Ieodo sous peine de prendre illico presto un rendez-vous chez le psychiatre en fin de métrage. Aventure menée tambour battant, n'évitant pas un côté brouillon très prononcé, Ieodo est une oeuvre singulière à tout point de vue. Une radicalité au niveau de sa narration, pas évidente à suivre car trop étirée sur des détails narratifs pas bien indispensables et sur une accumulation de retours en arrière dans le temps, radicalité dans son interprétation outrancière appuyée par un doublage post-prod qui en fait des tonnes, utilisation quasi expérimentale des couleurs (la même année, Argento allait encore plus loin avec Suspiria) et ambiance sonore d'outre-tombe. Mais Kim Ki-Young dispose d'éléments très intéressants pour donner plus de corps à un script léger qui fait la part belle à la révolte naturelle, une révolte amorcée par cette fameuse île Ieodo amenée à être saccagée par de nouvelles infrastructures pensées par des hommes peu scrupuleux. Il aura pourtant fallut d'un petit quart d'heure pour voir ce qui s'annonçait être une oeuvre classique se métamorphoser en enquête policière teintée de fantastique et de faux-semblants féminins. Apparences trompeuses ou camouflées par du tissu, tentatives d'impressionner les entrepreneurs, enquête pour déterminer la cause de la disparition de Nam-Suk, rituels et sorcellerie à plusieurs reprises (dont une terrifiante cérémonie sexuelle en fin de métrage) et hystérie palpable où le mélodrame classique ne s'avère être qu'une toile de fond dans la dénonciation de Kim Ki-Young sur les intentions lucratives des entrepreneurs se fichant éperdument du lieu qu'ils vont ravager. Le fait aussi que Ieodo soit radical sans être un grand film est sûrement du à des partis pris formels et narratifs déstabilisants à première vue : la différenciation délicate des personnages y est sûrement pour beaucoup, l'absence de naturel des dialogues annihile le semblant de réalisme, on est clairement en face d'une oeuvre parfois inexplicable, brouillonne mais dans la lignée de ce que faisaient certains auteurs nippons bis de la même époque dans la mise en scène : tout y passe dans un festival parfois approximatif mais teinté de quelques fulgurances (dont une magnifique chanson "vivre à Ieodo" mêlée à des plans larges de l'île de toute beauté) qui laisseront quoi qu'il arrive quelques traces dans l'esprit du spectateur venu tenté l'expérience sans trop savoir à quoi s'attendre.
Les diverses thématiques de I-Eoh Island consituent-elles un tout cohérent? On n'en est pas vraiment sur. Ce film du singulier Kim Ki Young brasse des thèmes tels que le désir d'exploiter une ile à des fins commerciales quitte à dénaturer son paysage, la nature se vengeant des hommes dans ce dernier cas en faisant échouer leurs entreprises, la mer comme tombeau potentiel pour ceux qui y travaillent, la femme figure de désir sexuel et de reproduction et la femme piège. On peut à la limite voir dans la question des forces liées à la nature un liant entre tous les thèmes du film. Reste que le scénario a le mérite de faire écho à cette sensation d'éclatement thématique avec les multiples récits que porte sa structure en flash backs. Flash backs d'abord consacrés à la thématique écologique de lutte de la nature contre son exploitation mercantile par l'homme précédemment mentionnée. Avant qu'au fur et à mesure de la progression narrative ils se mettent à plus concerner l'enquete et la vie sue l'ile tandis qu'en parallèle on sent le piège se refermer progressivement sur l'enqueteur désireux de mettre à jour la vérité.
Le film va ainsi plonger dans un univers insulaire dont certaines coutumes ancestrales liées aux esprits n'ont pas disparu, offrant alors quelques scènes de "prières" d'un grand pouvoir hypnotique. Malgré certaines limites formelles, on peut alors conter sur le talent du cinéaste pour donner au film une ambiance unique. Certes, les séquences filmées du point de vue des passagers du bateau font dans l’agitation brouillonne de caméra. Quant à l’emploi de gros coups de zooms, il vire ici à l'affèterie. L’usage de la focale pour les transitions présent/passé est certes intéréssant mais sa répétition vire au tic de mise en scène. Mais pour le reste le film se caractérise par une vraie maitrise formelle et un sens du cadre mettant bien en valeur les reliefs insulaires très particuliers où le film se déroule. Sans compter ces plans soulignant le détail étrange d’une situation : la main d’une femme exprimant ses désirs frustrés et un peu malades vis à vis de l’homme qu’elle aime, une main encerclant un avant-bras d’un personnage du film. On retrouve alors l’art du cinéaste pour faire émerger le dérèglement au milieu des situations en apparence les plus ordinaires. Ainsi que son utilisation de décors très travaillés comme un véritable personnage faisant écho au dérèglement de son univers et participant grandement de l’ambiance de ses œuvres.
On pourrait néanmoins reprocher au film quelques petits débordements cabotins dans sa direction d’acteurs. Mais sans égaler la ServanteI-Eoh Island est une jolie réussite d’un auteur coréen à part.